Témoignage. Le combat d'Aline Duret pour promouvoir les livres à grands caractères pour les malvoyants

"Mon rêve est que chaque livre d'auteur reconnu par les maisons d'édition soit décliné en grands caractères" Aline Duret est malvoyante depuis sa naissance. Cette professeure de lettres et autrice de romans se désole de voir les librairies aussi peu concernées par ces formats spéciaux qui peuvent intéresser aussi les bienvoyants.

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Faites l'expérience. Allez dans une librairie et demandez s'il y a un rayon de livres à grands caractères. 

A Nantes, une librairie connue du centre ville vous orientera vers deux rayonnages disposés au ras du sol où sont exposés une petite quarantaine d'ouvrages. Pas plus.

Dans une autre, on s'excusera platement de ne rien proposer dans ce format mais on aura la gentillesse de vous orienter vers la librairie "La Ville en Bois", sise dans la rue du même nom, dans le quartier Mellinet.

"Dans les médiathèques, vous avez droit à Molière et Maupassant"

Effectivement, cette petite librairie est un peu un OVNI dans le paysage bibliophile de Nantes. Avec ses 400 titres proposés, elle est une rareté, même bien au-delà des frontières ligériennes.

Son propriétaire, Eric Grandguillot, est sensibilisé aux handicaps. Sourd d'une oreille, il se souvient avoir peiné lors de ses études en Angleterre, lorsqu'il était contraint de lire sur les lèvres de ses interlocuteurs britanniques. 

Depuis huit ans, il est également famille d'accueil pour chiens guides d'aveugles. 

Lorsqu'il a hérité de la librairie tenue par sa mère, il a décidé d'investir dans un rayon spécialement dédié aux livres à grands (ou gros) caractères, constatant la pauvreté de ce secteur à Nantes.

"J'ai fait le tour des librairies nantaises, se souvient-il. Et dans les médiathèques, vous avez droit à Molière et Maupassant. Côté éditeurs, j'ai cherché ceux qui sortent des nouveautés en édition grands caractères, ça se réduit comme peau de chagrin."

Au fond de sa librairie, près de la baie vitrée qui y apporte une bonne lumière, il y propose donc un solide rayon de livres accessibles aux malvoyants, mais pas seulement.

Des lecteurs étrangers

"J'ai pas mal de personnes âgées qui recherchent un confort de lecture, constate Eric Grandguillot. Des parents aussi qui viennent pour leurs enfants malvoyants. Et une clientèle à laquelle je ne m'attendais pas : des étrangers qui veulent travailler leur Français. C'est plus facile à lire (en grands caractères) pour eux. Ils n'ont pas à se concentrer sur la lecture mais seulement sur la grammaire ou le vocabulaire."

C'est tout naturellement dans la librairie d'Eric que nous a donné rendez-vous Aline Duret.

"Je n'avais jamais vu ça !"

Cette professeure de lettres d'un lycée de Carquefou, au nord de Nantes, est malvoyante depuis sa naissance. Une maladie dégénérative et comme si cela ne suffisait pas, elle va se faire opérer prochainement d'une cataracte. Elle ne dispose plus que de 1,4 dixièmes, avec ses lentilles de contact.

"La première fois que je suis venue ici, raconte-t-elle, quand j'ai vu tout le rayon de livres à grands caractères, ça a été une rencontre très émouvante. Je n'avais jamais vu ça ! La plupart des libraires se soucient peu des malvoyants ou renvoient vers les livres audio. Mais ce n'est pas pareil. L'émotion passe par le papier !".

Qu'il s'agisse d'une police de caractère de 16, 18 et même 20, il est important pour cette passionnée de lecture que les malvoyants ne soient pas mis de côté. 

"Rien qu'en déficients visuels, dit-elle, il y a un million de personnes concernées en France. Et il y a aussi les gens fatigués qui veulent, le soir, avoir un confort de lecture, les personnes âgées, les dyslexiques..."

"Les personnes handicapées sont en compensation permanente. On dépense une énergie considérable"

Aline Duret

autrice et malvoyante

Aline Duret n'aime pas seulement lire ou enseigner les lettres, elle est aussi écrivaine et autrice de trois romans policiers. Elle a convaincu son éditeur, Palémon, de proposer, en plus des 3000 exemplaires de son dernier roman "Elle s'en repentira", 500 exemplaires en grands caractères.

"Il y a des gens qui recommencent à lire avec les livres à grands caractères" confirme Eric Grandguillot.

Le rêve d'Aline Duret serait que chaque livre (d'un auteur reconnu par une maison d'édition) soit décliné en grands caractères pour un certain nombre d'exemplaires.

"1% de tout ce qui est édité à plus de 150 000 exemplaires, devrait l'être aussi en grands caractères, appuie Eric Grandguillot. Et tous les livres primés !"

Un point de vue que défend Grégory Chaquin, le patron des édictions Libra diffusio, au Mans. 

Cette maison existe depuis 26 ans et édite chaque année 75 à 80 livres en grands caractères. C'est sa spécialité.

"Il y a 26 ans, explique Grégory Chaquin, c’était quelque chose d’extrêmement marginal. Puis, les personnes qui n’avaient pas un intérêt pour ces livres à grands caractères s’en sont emparées. Après une journée passée sur un écran, avec la fatigue, les bienvoyants se sont appropriés les livres à grands caractères."

"Un livre en grands caractères coûte 20% de plus qu’un livre normal."

Grégory Chaquin

Editeur Libra diffusio

Mais l'éditeur ne peut que constater que les librairies se sont peu préoccupées de proposer des rayons dignes de ce nom. Et attention, un bon livre pour déficients visuels ne se contente pas d'être édité dans une grosse police de caractère.

"C’est un livre sur papier ivoiré, précise Grégory Chaquin, un papier mat, antireflets, qui permet un meilleur contraste de lecture. C’est un livre avec une vraie valeur ajoutée !"

Libra Diffusio a ainsi édité quelques 1800 à 2000 ouvrages en grands caractères depuis 26 ans. Et le choix des livres est une alchimie complexe.

"Un livre doit apporter des moments de plaisir, insiste Grégory Chaquin. Pour le lecteur, c’est souvent un moment d’évasion, le sujet du livre, son originalité, les grandes thématiques dont on sait qu’elles peuvent susciter un intérêt."

Et pourquoi en priver les déficients visuels ?

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