Témoignages. Paloma, un camion, des boissons chaudes, un sourire, pour accueillir les travailleuses(eurs) du sexe

Quand elles voient le camion arriver dans la nuit, ces femmes et, parfois, ces hommes, quittent leur bout de trottoir pour venir prendre une boisson chaude et parler quelques minutes. L'association Paloma sillonne Nantes pour améliorer la vie des prostituées, ou, plutôt, des travailleuses du sexe. On a passé une nuit avec elles et eux.

Quand Marie gare le camion de l'association, un petit camping-car, c'est souvent "à l'arrache" dit-elle. Pas évident de trouver une place assez grande, bien propre, bien dispo, là où il faut quand il le faut. Alors, le camion se pose à cheval sur un trottoir,  un arrêt de bus...

Il faut dire qu'à l'heure où Marie circule, ça ne gène plus grand monde. Et puis elle n'y reste pas bien longtemps.

Avec Tracy, ce jeudi, elles ont commencé leur nuit à 21h, au local de l'association Paloma, rue Fouré, à Nantes. Un quartier où l'on trouve pas mal d'organismes dédiés à la solidarité, à l'aide de ceux qui sont les plus en difficulté, le GASPROM, la CIMADE pour les personnes étrangères, AIDES, Médecins du Monde...

Créé par Médecins du Monde

En 2000, Médecins du Monde a créé un programme d'intervention devenu en 2017 l'association Paloma et lui a fourni un local et un camion. lls sont aujourd'hui quatre salariés, dont Marie, et une quinzaine de bénévoles, dont Tracy.

Le but : améliorer la vie et les conditions de travail des travailleurs du sexe. On dira d'ailleurs travailleuses, car cela concerne presque exclusivement des femmes.

L'association vit aussi grâce à des financements de fondations privées et des subventions de l'Agence Régionale de Santé, de la Ville de Nantes et un peu du Département de Loire-Atlantique.

Dans son local de la rue Fouré, elle assure un accueil quotidien en semaine, la journée. On y trouve un petit coin salon, une penderie de vêtements pour les plus démunis. Un coin bureau pour aider dans les démarches administratives, demandes d'aide sociale, rendez-vous médicaux.

On y organise aussi des ateliers à thème, par exemple une formation au self-défense. On n'est pas dans le monde de Oui-Oui ici. La rue, la nuit, ça peut être violent. Surtout quand on est seule et qu'on a quelques billets glissés dans ses vêtements.

"Paloma is like my family"

Cette solitude, la nuit, par toutes les météos, à attendre le client, Tracy l'a connue pendant un temps. Cette Nigériane toujours prête à éclater de rire a fini par en sortir, elle donne aujourd'hui de son énergie à l'association Paloma.

Ce soir, elle a préparé un grand sac de divers matériels et des thermos de boissons. Elle servira aussi, si besoin, de traductrice avec ses compatriotes qui forment la majeure partie des TDS (travailleuses du sexe) dans le centre-ville et qui parlent une langue mélange d'Anglais et de langues ethniques, le Pidfgin. "Paloma is like my family", dit-elle.

On croise aussi dans la rue beaucoup de Roumaines.

Avec Marie, elles rejoignent ensuite l'hôpital Saint-Jacques, dans le sud de la ville, pour prendre le volant du camion qui y est stationné.

Marie a découvert l'association Paloma lorsqu'elle était étudiante en sociologie puis en criminologie. Elle a fini par y prendre un poste d'intervenante de terrain et assure maintenant une multitude de tâches. 

Une fois sorties du parking de l'hôpital, les deux jeunes femmes roulent en direction du centre-ville. Une partie de la nuit sera consacrée à l'axe Bellamy-Schumann, deux longs boulevards qui traversent la ville, de Nantes à Orvault.

Des ronds-points, des aubettes de bus, des portes cochères, Marie et Paloma savent où l'on croise la prostitution. Un mot que Marie n'emploie pas d'ailleurs. Elle préfère parler de "service sexuel tarifé", plus adapté, plus respectueux.

Quand une fille a un accident de capote, on l'accompagne aux urgences pour prendre un traitement (antiviral).

Marie

Coresponsable association Paloma.

Là ! deux jeunes femmes ! Marie se gare précipitamment, coupe le moteur et descend avec Tracy. Le camion blanc siglé Paloma avec un parapluie rouge, pour symboliser la protection, est bien connu des TDS. Lorsqu'elles l'aperçoivent, elles le rejoignent spontanément. 

Camille, 24 ans, et Maria, 23 ans, viennent s'y abriter, Tracy ouvre les placards, dans la petite pièce munie d'une table et de banquettes, derrière la cabine et commence à préparer des cafés.

Il peut y avoir de la violence de la part de voisins qui se plaignent, on fait appel alors aux médiateurs de rue de la ville.

Marie

Coresponsable de l'association Paloma.

Juchées sur des talons compensés pour paraître plus grandes, les deux jeunes femmes travaillent sur ce boulevard tous les soirs, depuis deux ans. 

"Paloma ? C'est bien pour le café, les préservatifs, les mouchoirs et quand on a un problème de maladie" avoue Maria. 

La conversation est spontanée, facile, et même enjouée avec les deux intervenantes de Paloma. Camille sort son portable et montre fièrement à Marie une vidéo de son petit, prise dans l'appartement où elle vit.

On donne de ses nouvelles, on rigole. Et puis le camion de Paloma repart.

Pour compléter un revenu

Quelques centaines de mètres plus loin, nouvel arrêt improvisé, et voilà Irina et Monica qui s'avancent, un grand sourire aux lèvres. 

"C'est bien quand on a besoin de quelque-chose, on demande à l'association" confirment à leur tour les deux femmes d'une trentaine d'années.  

Le quelque chose, ça peut être des préservatifs, mais aussi un rendez-vous à l'hôpital.

Monica dit travailler dans un chantier d'insertion et complète ses revenus avec cette activité de sexe tarifé.

"J'ai commencé à 9h30 ce soir, dit-elle et j'arrêterai... ça dépend s'il y a du monde."

Un docteur à qui on dit tout

Irina demande où est Ben, un autre salarié de Paloma. "Il est en week-end", répond Marie.

Monica touche le pantalon de Tracy "C'est chaud ça ?" demande-t-elle. 

Compliquée le travail de TDS ? "Parfois oui, parfois non", répondent les deux Roumaines.

Il arrive que les femmes montent dans le camion pour confier leurs difficultés, tant privées que professionnelles ou parler de la pluie (qui tombe à verse ce soir-là) et du beau temps.

"Paloma, c'est un peu comme un docteur à qui on dit tout" explique Tracy.

Paloma, c'est important ? "Oui" répond Monica avec un grand sourire.

Lors de ses tournées nocturnes, le jeudi ou le vendredi soir, Paloma suit une cinquantaine de femmes en divers lieux du centre-ville. Particularité, à Nantes, la prostitution est toujours présente dans le centre.

Mais l'association effectue aussi des "tournées virtuelles", sur le net.

"On va sur les sites d'escorting, explique Marie, on envoie des messages de présentation de Paloma." L'association a ainsi pu venir en aide à des travailleuses du sexe dans d'autres villes. Elle a, dans ses contacts, 170 TDS qui travaillent sur le net.

"Je ne le ferai pas sans préservatif"

Au détour d'une rue, le camion a croisé Nickie. Tout en dégustant un chocolat chaud, la jeune femme évoque une fièvre passagère. Elle se sent mieux aujourd'hui.

Tracy sort un sac de préservatifs. Nickie en prend deux et se renseigne sur le préservatif interne.

Tracy sort alors une boite contenant une "vaginette", une reproduction en plastique du sexe féminin et montre à Nickie comment l'on place le préservatif interne. Marie ajoute quelques conseils d'utilisation en manipulant une reproduction de sexe masculin et vante les qualités du préservatif interne, plus résistant.

"Même si on me propose 1 000 €", précise Nickie, je ne le ferai pas sans préservatif."

La conversation se prolonge et Nickie en vient à parler d'une agression qu'elle a subie peu de temps auparavant. Le copain d'un client qui a voulu, lui aussi, bénéficier des services de la jeune femme, mais sans payer. Un couteau est sorti, c'est le blouson de Nickie qui l'a sauvée.

Marie lui explique qu'elle peut bénéficier de l'assistance d'un avocat pour porter plainte et lui propose de venir au local, rue Fouré.

"Je viendrai mardi" promet Nickie.

Nouvel arrêt, toujours sur l'axe Bellamy-Schuman. Marie va à la rencontre de Lolita, une Nigériane d'une cinquantaine d'années. Lolita connait l'association depuis 13 ans.

"Mes clients, dit-elle, ont entre 45 et 65 ans. Beaucoup viennent de la campagne autour de Nantes, Saint-Nazaire." Plus loin même parfois.

Je fais ça pour payer mon logement, l'électricité, les assurances...

Lolita

Travailleuse du sexe.

Il arrive à Lolita d'accueillir chez elle ceux qu'elle connait bien. Comme souvent pour les travailleurs du sexe, elle est une écoute pour eux, une oreille attentive, compatissante. Elle leur fait des massages, leur donne un moment de douceur. Certains de ses clients sont des handicapés. 

"Ils pleurent si je leur dis que je vais m'en aller" déclare cette femme qui ne parvient pas à obtenir de papiers en France et vit avec un titre de séjour espagnol.

"Elle vieillit, que deviendra-t-elle au moment de la retraite" s'inquiète Marie.

On frappe à la porte du camion. 

"Salut Fanny !" s'exclame Marie. Entre alors Fanny. Très légèrement vêtu et muni d'une fausse poitrine, le travesti monte les marches du camion et tend une boîte de chocolats. Cela fait plusieurs jours qu'il attendait de pouvoir les offrir aux intervenants de Paloma. 

Fanny dit travailler souvent sur rendez-vous, grâce à la fiche qu'elle s'est créée sur un site spécialisé. 

"Les travestis et les trans ont disparu, constate Fanny. Peut-être qu'elles travaillent chez elles..."

"J'ai des clients qui viennent de Vendée, de Poitiers"

Depuis la crise sanitaire du covid et la loi qui a dépénalisé la prostitution, mais pénalisé les clients, les TDS disent que la clientèle de rue a diminué. 

"Je reçois chez moi et je vais chez les clients quand je les connais, raconte Fanny. Je travaille aussi dans ma voiture. Une sortie par semaine, parfois deux. J'ai des clients qui viennent de Vendée, de Poitiers. Il y a une clientèle pour ça (les travestis), je ne fais jamais le trottoir."

Sophia, comme Lolita, n'a pas non plus de papiers. C'est pour ça qu'elle dit continuer. Elle a commencé à 25 ans. Elle en a 38 aujourd'hui. Elle raconte qu'au début, elle payait quelqu'un. Ce n'est plus le cas. 

"I am my own boss !" dit-elle (je suis mon propre chef).

Le camion reprend sa tournée, le téléphone de l'association sonne. C'est Irina (une autre) qui travaille vers le CHU et s'impatiente. Elle attend le passage du camion pour prendre une boisson chaude et s'y assoupir un moment. La pluie s'est calmée. Marie la rassure et lui promet d'arriver dans quelques instants. La tournée a pris un peu de retard.

Au fil de cette nuit qui nous emmènera vers l'île Gloriette, le quai de la Fosse, le quartier République, nous rencontrerons aussi Carmen, Juliette... Toutes retrouvent avec plaisir le camion de Paloma et ses intervenantes. On se donne des nouvelles, on prend rendez-vous pour des démarches, on rit beaucoup. 

"La plupart ont une vie amoureuse"

Marie dit ne pas croiser de mineurs. Quant à la drogue, elle est tenue à l'écart par ces professionnelles qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, prennent soin d'elles, nous dit-on. 

"Sur les questions de la santé sexuelle, ce sont les personnes les plus au courant que tu puisses voir, estime Marie. La plupart ont une vie amoureuse et auraient tendance à prendre moins de précautions dans leur vie amoureuse que dans le travail."

►Interview de Marie, coresponsable à l'association Paloma.

durée de la vidéo : 00h03mn42s
Marie est intervenante de terrain et l’une des responsables de l’association Paloma à Nantes. Elle nous dit ce que sont les tournées qu’elle effectue avec un camion pour aller à la rencontre des travailleurs du sexe. ©France Télévisions
La tournée se terminera aux alentours de 4h du matin avec le retour à l'hôpital Saint-Jacques, le nettoyage du camion et quelques notes classées faisant le rapport de la nuit.

Tracy laisse échapper quelques bâillements. Il est temps d'aller se coucher pour les deux intervenantes.

Le camion de Paloma repartira pour une nouvelle tournée vendredi de la semaine prochaine.

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