"Année de foin, année de rien", ce proverbe concerne aussi les paludiers dont la récolte de sel 2024 est plus que faible

La nature s'impose à ceux qui travaillent dehors, les agriculteurs, mais aussi les paludiers. Stéphane Bouleau, paludier indépendant dans les marais salants de Guérande, a démarré très tard sa récolte, et voilà qu'elle est déjà terminée. Sauf miracle,il ne dépassera pas la tonne de sel récolté sur la saison 2024.

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Les données climatiques pour la saison estivale 2024 ne ressemblent pas à celles des années précédentes, pas du tout.

Selon MétéoBretagne, le pays de Guérande aurait reçu 68 mm de pluie, rien qu'au mois d'août. C'est moins que les Pays de Lorient et Brest avec leur 112 et 109 mm qui sont sur le podium national, mais bien plus que la moyenne nationale qui affiche un net recul par rapport aux années 1991/2020 pour le mois d'août : - 23 %.

Bilan des courses, la saison 2024 est une des plus mauvaises en matière de récolte de sel de Guérande, de mémoire de paludier.

C'est mort, les oeillets sont noyés. Y a 6 cm d'eau dans les salines, certains oeillets sont noyés, ça redémarrera pas.

Stéphane Bouleau

Paludier indépendant à Guérande

Nous avions rencontré Stéphane Bouleau le 10 août dernier. Ce jour-là, c'était presque fête tant le soleil était de retour sur le marais, ainsi que la chaleur et le vent. 

Chemise blanche et chapeau noir, Stéphane nous avait expliqué le parcours de l'eau de mer jusqu'à ses œillets, ces parcelles où s'achève l'évaporation de l'eau et où sel se matérialise.

Le mois de juin ayant été raté en raison de la pluie, Stéphane savait que la saison serait médiocre. Mais à écouter les cristaux de sel rouler jusqu'à ses pieds, le plaisir de tirer du sel était revenu. Le lendemain de notre rencontre, le vent de nord est tant attendu par les paludiers était enfin là, le thermomètre avoisinait les 30 degrés, Stéphane se disait que limiter les dégâts serait possible, si Éole voulait bien continuer de souffler sur le marais.

En chiffres, il parlait d'une tonne à l'œillet. Rien à voir avec les trois tonnes à l'œillet récoltées lors des grandes années comme 2022. Toutefois, selon ses calculs, cela permettait de sauver la saison. Mais, ce matin du 2 septembre, au téléphone, le chiffre tombe, court et brutal : ce sera une tonne pour quarante œillets ! Autant dire : rien.

Et que dire du limu, cette algue présente chaque année, mais qui d'habitude est éliminée par le taux de sel qui monte en puissance dans les salines ? Cette année, l'eau de pluie lui a permis non seulement de rester, mais de se développer considérablement et a contraint les paludiers à ajouter cette tâche aux autres, alors que d'habitude le sel fait le travail tout seul.

De mémoire de paludier

Stéphane Bouleau est paludier indépendant, il est installé à son compte depuis 1995, autant dire que les aléas climatiques, il connait.

Depuis que je suis installé, je n'ai jamais connu ça, même en 2001. Cette année, c'est le comble ! Tous les paludiers le disent sur Guérande : c'est cuit.

Stéphane Bouleau

Paludier indépendant à Guérande

La plus mauvaise année qui lui revient en mémoire est la saison 2001. Mais ayant pu tirer du sel au moins de juin, ses œillets avaient pu se réveiller au mois de septembre où le beau temps était revenu. Bilan de la saison : il avait pu limiter la casse avec 400 kg à l'œillet.

D'autres paludiers avaient été moins chanceux et avaient fait une saison à vide, sans la moindre récolte de sel.

Stéphane explique en partie cela par la situation géographique de ses salines. Il est au centre du marais de Guérande, pas très loin de Batz, il reçoit peut-être mieux le vent, et il se trouve à bonne distance du coteau de Guérande qui lui reçoit plus de précipitations en moyenne. Contrairement aux apparences, le marais n'est pas le même partout.

La saison qui démarre tard....la saline, le paludier, c'est tout un ensemble. Certains n'ont pas fait un seul gramme de sel cette année

Stéphane Bouleau

Paludier indépendant à Guérande


Quelles conséquences ?

Une saison blanche, le terme n'est peut-être pas approprié pour évoquer le bilan des paludiers, mais 2024 est clairement une année catastrophe.

Lorsque la question lui est posée sur les débouchés de sa tonne de sel récolté cette année, le paludier guérandais veut encore croire à septembre. Non plus pour produire, mais pour espérer une fréquentation touristique du marais et une vente intéressante en bordure de route. Les visiteurs de septembre sont souvent retraités, ou sans enfant. Ils ont le temps de visiter, de parler, d'écouter. Peut-être entendront-ils le blues du paludier ?

Autre conséquence : le roulage. Ce va-et-vient des tracteurs en fin de saison où les paysans des terres roulent pour les paysans de la mer. Les tonnes de sel sont évacuées du marais dans de grandes remorques, direction les grossistes, ou la coopérative, selon les appartenances (sur plus de 300 paludiers du marais de Guérande et du Mès, environ un tiers est indépendant, deux tiers sont affiliés à la Coopérative).

Comment voulez-vous que les tracteurs roulent pour transporter une seule tonne de sel ? Non, il n'y aura pas de roulage pour moi en tout cas.

Stéphane Bouleau

Paludier indépendant à Guérande


Pas de sel, pas de paie

Autre conséquence, dramatique quand on est saisonnier : pas de récolte, pas de paie.

Les saisonniers employés d'habitude à transporter le sel de l'œillet vers le terre-plein, à l'aide de pelles et de brouettes, ne pourront être payés faute de récolte.

Les paludiers travaillent de nombreuses heures par semaine en période de récolte et ne peuvent cesser leur activité pour déplacer le sel tant que le vent et le soleil sont là, ils font alors appel à des saisonniers. Mais faute de production, leurs employeurs ne peuvent les rémunérer. 

Souvent des jeunes de l'entourage des paludiers qui apprennent ainsi le marais, le métier, mais qui comptent aussi sur le fruit de leur labeur pour leurs études ou leurs loisirs. Cette année sera une année sans rien. 

Le paludier indépendant, lui, doit faire appel à ses stocks, s'il en a, à sa trésorerie s'il en a, à sa passion du métier, et ça, il l'a.

Certaines saisons durent plus de trois mois, la saison 2024 aura duré 3 semaines

Fort de ce constat qui nous rappelle que la nature s'impose à tous, Stéphane Bouleau a déjà la tête à la récolte 2025. Mais à la fin de notre entretien au téléphone, il reste une petite lueur d'espoir.

Celui que septembre réchauffe les cœurs et les routes du marais. S'il ne peut réchauffer suffisamment les œillets, il pourra éventuellement donner le sourire aux visiteurs et l'envie d'acheter un peu de Sel de Guérande.

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