Mahmoud, sa femme et ses trois enfants sont arrivés à Saint-Nazaire le 25 janvier 2016. Ils étaient parmi les premiers réfugiés en provenance de Syrie à être accueillis par la ville et les associations. Aujourd'hui, ils viennent d'ouvrir leur restaurant. Accueil, générosité et cuisine ''maison''.
L'expression ''revenir de loin'' leur va parfaitement. Mahmoud et Reem, les parents, Shahd, Asaad, Suad, leurs enfants ont quitté Alep et la Syrie.
Ils aiment pourtant leur pays, mais ils ont dû fuir. Fuir la guerre, les bombes et la mort.
Dans cette ville d'Alep, la plus bombardée de tout le pays, la mort les attendait à chaque pas qu'ils faisaient dehors. Suivant le bruit émis, le projectile pouvait contenir des ingrédients chimiques et, contrairement à ce que dicte le bon sens, il fallait alors se précipiter sur les terrasses. Les gaz restant près du sol épargnaient ceux qui se réfugiaient en hauteur. Encore faut-il le savoir....
L'Europe, oui mais où, en Europe?
Rester voulait dire mourir. Alors, Mahmoud s'est mis en marche vers l'Europe. Et il a tout laissé. Son entreprise, ses ordinateurs... tout sauf un sac, une valise, sa femme et ses quatre enfants.
Arrivés à la frontière turque, il mettent le cap vers la Grèce, porte d'entrée vers la liberté et la paix, porte de l'Europe. Reem opterait bien pour la Suède ou la Norvège, elle connaît des compatriotes là-bas. Mahmoud, lui, préfèrerait la France. Il y a fait ses études d'informatique et a travaillé dans le sud de la France, ainsi qu'à Monaco.
L'accident, si près du but...
Après des jours et des jours de marche et d'errements nocturnes pour se cacher, se présente à la sortie de la forêt un talus surmonté d'une voie ferrée qui semble désaffectée. Marchant sur l'étroit ballast, la famille syrienne a la surprise de voir arriver un train. Ils se mettent sur le côté en essayant de ne pas dévaler ce talus, un sac glisse sur l'épaule de Mahmoud qui se penche pour le rattraper et quand il se redresse, sa petite fille Rand, âgée de 6 ans, ne lui tient plus la main.
Elle a été emportée par le train à plusieurs mètres de là. Elle repose aujourd'hui dans un cimetière musulman, en Grèce.
Quand il rencontre les services français de l'immigration, à Athènes, Mahmoud apprend qu'il aurait pu entamer ses démarches en Turquie. Francophone et francophile, il a un profil qui lui aurait permis d'être accepté rapidement.
Saint-Nazaire, escale attachante
Le 25 janvier 2016 au soir, des bus s'arrêtent place P.Sémard, tout près de la gare. Les tout premiers réfugiés accueillis dans la cité portuaire en descendent. Parmi eux, Mahmoud, Reem et leurs trois enfants.
Mahmoud les a déjà un peu initiés au français....un, deux, trois, quatre....le reste suivra.
Un appartement leur est proposé, ils peuvent enfin poser leurs valises. Les services publics français, ceux de la Ville ainsi que les associations locales et les collectifs d'accueil des réfugiés vont leur permettre d'entamer une seconde vie, loin de la guerre et de la mort.
En retour, Mahmoud et sa famille participent aux différentes initiatives autour des réfugiés et des précaires et c'est au cours d'un grand repas de 300 personnes que les talents de Mahmoud et Reem son remarqués. Une réflexion leur revient souvent aux oreilles : ''vous devriez ouvrir un restaurant!''.
Rand Alep est ouvert!
Il a encore fallu beaucoup de travail pour concrétiser l'idée, mais ''nous sommes un peuple travailleur!'' se plaît à répéter Mahmoud. Les coups de main nazairiens se poursuivent et au final, le restaurant Rand Alep ouvre à la fin de l'année 2019, dans les murs de l'ancien restaurant Ar Blaz Mad, avenue de Gaulle, une adresse déjà bien connue des habitants.
Elan de solidarité ou idée lumineuse? En tout cas, les clients se précipitent chaque jour chez Mahmoud et Reem, pour se régaler des spécialités syriennes et libanaises qu'ils proposent. A tel point qu'il est indispensable de réserver et que la famille ne ferme qu'un jour par semaine, trop heureuse de pouvoir à son tour accueillir et faire plaisir. Sur place ou à emporter, c'est au choix. Il faut juste prévoir un peu de temps, car le plat est réalisé à la commande, pas à l'avance.
Aux vacances scolaires, les enfants donnent un coup de main, en cuisine ou en salle. Surtout Asaad, bientôt 15 ans et Shahd qui va sur ses 12 ans. Suad, du haut de ses 5 ans 1/2, observe et amuse le monde.
Mahmoud a appris aux côtés de son père, de son grand-père, la valeur du travail, il veut aussi la transmettre à ses enfants. Ceux-ci sont scolarisés à Saint-Nazaire et parlent un français impeccable.
Ainsi va la seconde vie de la famille Al Hayek dans le Saint-Nazaire d'aujourd'hui, avec le meilleur des traditions et des spécialités en provenance d'Alep, ville martyre de Syrie.
Le nom choisi pour le restaurant Rand Alep a été inspiré par l'histoire même de cette famille : Alep, la ville qu'elle a dû fuir mais qu'elle aime tant et Rand, la petite fille tuée par un train, quelque part entre Alep et Saint-Nazaire.
Le reportage de C.François et F.Grunchec