Coronavirus - Discours officiels : la Langue des Signes, visible par tous... Enfin !

Cela n'aura échappé à personne, depuis le début du confinement, tous les discours officiels sont traduits à la télévision par un ou une interprète en langue des signes. Un grand pas en faveur de l'accessibilité réclamée depuis des années par les sourds...même s'il reste encore beaucoup à faire.

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Ce mardi 31 mars 2020, Marion Béguier, interprète en langue des signes à Angers, n'est pas près de l'oublier.

" J'ai été prévenue dans la matinée que je traduirais le discours d'Emmanuel Macron en langue des signes, lors de sa venue à Saint-Barthélémy d'Anjou. Dès qu'on a eu accès aux grandes thématiques du discours, on a préparé l'interprétation en binôme avec ma collègue Julianne. Il a fallu faire vite...s'adapter! À 13h10, c'était parti..." raconte t-elle.

Le stress, n'a pas eu le temps de s'installer. "Je pense que, si je l'avais su trois ou quatre jours avant j'aurais mal dormi, mais là, il fallait y aller. C'est une expérience incroyable, je pense que jamais dans toute ma carrière je n'aurais l'occasion de traduire à nouveau un Président de la République !".

Marion, comme sa collègue Rachel Fréry à Mulhouse, sont apparues à l'écran à la même échelle qu'Emmanuel Macron. À ses côtés.

"En fait, décrit Marion, je ne crois pas qu'il y ait de dispositif acté. Je ne suis pas sûre que ça ait été réellement voulu. 
Dans ces deux situations, il n'était pas possible de nous filmer dans une autre pièce, pour être ensuite insérées dans un médaillon. C'est pour ça que j'apparaissais entièrement à l'image...mais ce serait pourtant bien que cela devienne sytématique!
Nous, les interprètes, on ne cesse de répéter que pour les spectateurs sourds, nous regarder dans un médaillon est très inconfortable. Ils doivent faire des efforts considérables, ça limite leur compréhension, c'est contre-productif".

 

Un contexte inédit, une aubaine pour les sourds

Malgré tout, la visibilité des interprètes, est une victoire pour tous ceux qui militent pour que la langue des signes soit -enfin- reconnue.

"Un moment historique" même selon l'Association Française des Interprètes en Langue des Signes (AFILS).

Alors que depuis des années, interprètes,éducateurs, sourds, associations, parents d'enfants sourds, se battent pour une plus grande accessibilité, notamment à la télévision, il aura fallu une pandémie et une communication de crise pour que les sourds et les malentendants aient accès aux informations délivrées par le gouvernement.

"Quand j'ai vu mes collègues Rachel et Marion aux cotés d'Emmanuel Macron lors de ses déplacements, j'ai été très émue ! c'était génial de voir cette prise de parole traduite en langue des signes. Le fait que l'interprète et le président soient côte à côte, c'est plus que symbolique: ça signifie que la langue des signes est reconnue comme faisant partie intégrante du pays, qu'elle n'est plus considérée comme s'adressant à une minorité dans un médaillon de la taille d'un timbre-poste" raconte Agathe Lacoste, interprète, à Saint-Nazaire.

Pour elle, comme pour beaucoup d'interprètes et de sourds, l'apparition de la langue des signes à une heure de grande écoute, vue par des millions de français, est une reconnaissance indéniable de la valeur et de l'intérêt de cette langue. "c'était vraiment une surprise positive...après, j'espère que cette habitude va perdurer au delà de la crise"

L'interprétation en langue des signes, une mesure de santé publique!

On compte plus de 300.000 sourds en France (source: FNSF, Fédération Natinale des Sourds de France) mais on estime que 6 millions de français ont des déficiences auditives.
Pour eux, sourds ou malentendants, il est essentiel que les informations, de l'importance de celles qui sont actuellement diffusées, soient comprises. Qu'elles soient traduites en LSF et sous-titrées. C'est une question de santé publique.

Delphine Thomas, membre du CA de l'AFILS, précise, "quand est apparue l'épidémie de SIDA, dans les années 80, certains sourds qui recevaient les résultats de leurs prises de sang voyaient marqué positif, ils se disaient qu'ils étaient donc à l'abri de la maladie...à l'époque les informations qui circulaient étaient tellement minimes que beaucoup de personnes ont contracté le virus par méconnaissance, et par manque d'accessibilité LSF aux sensibilisations qui pouvaient être faites". 

L'accessibilité, c'est plus d'égalité


Aujourd'hui, on n'en est plus là, et c'est heureux.
La société a évolué, les nouvelles  technologies, les réseaux sociaux, les médias sourds comme Média'Pi! (voir encadré) permettent de relayer des informations vérifiées auprès de la communauté sourde.
Mais si les sourds s'organisent de leur côté en multipliant les sites ou les groupes facebook, la communication institutionnelle, les médias traditionnels (en particulier la télévision)  ne sont pas beaucoup plus accessibles qu'il y a trente ans.
 

"Pourtant, indique encore Delphine Thomas, une charte du CSA de 2015 indique que pour être parfaitement accessible, la personne qui traduit doit être cadrée de façon à occuper 1/3 de l'image...dans certains pays, l'interprète prend même plus de place à l'écran que le locuteur principal... mais en France, on a beaucoup de mal a comprendre que la surdité est un handicap partagé, ce qui signifie que la personne entendante et la personne sourde sont aussi handicapées l'une que l'autre pour communiquer!".
 


"En situation d'interprétariat, quand on me remercie "d'accompagner" une personne sourde, je dis souvent à la personne entendante que je suis là aussi pour elle car sans un intermédiaire qui connait la langue des signes elles ne pourrait pas dire ce qu'elle a à dire, ni comprendre ce que la personne sourde exprime".

De fait, les interprètes sont souvent confondues avec des aides sociales, des "assistantes de vie quotidienne".
"On a du mal à faire reconnaitre notre métier. Nous, on est là pour faire un pont entre deux mondes linguistiques, pour que la parole de l'un et de l'autre, sourd et entendant, soit traduite fidèlement et que les propos soient respectés...à égalité".


La langue des signes moquée? 


Est-ce la rançon du succès?
Sur les réseaux sociaux, de nombreux "sketchs-vidéos" grossiers et grotesques fleurissent.  Les humoristes s'emparent de la LSF ou, plutôt, des expressions des interprètes.
Ils miment, gesticulent, en profitent pour glisser des gestes obscènes. Un phénomène qui irrite la communauté sourde au plus au point. 

"Moi, je relativise, dit Véronique Gourriou, sourde et enseignante en langue des signes à Nantes, franchement cela ne me gêne pas.
Je ne trouve pas ça drôle, mais je comprends qu'en fait les entendants qui ne connaissent pas notre langue se moquent plus de la personne qui parle que de l'inteprète et de la langue des signes. 
Je sais bien que c'est une forme de critique politique mais il faut comprendre que certains sourds sont très susceptibles. Cette langue nous est précieuse, elle fait partie de notre culture et comme le message humoristique n'est pas toujours clair pour nous, ce n'est pas étonnant que certains sourds réagissent vivement!
"

Anthony Joubert l'a bien compris...à ses dépens. Et il jure qu'on ne l'y reprendra pas. L'humoriste originaire d'Arles a même reçu des menaces de mort après avoir diffusé une vidéo ou il parodiait un discours présidentiel, "mimé" dans un médaillon.
 
"Je ne voulais absolument blesser personne et surtout pas les sourds et les malentendants ! je ne voulais pas me moquer de la langue des signes mais me moquer de mon personnage"

Seulement voilà, la vidéo vue par de nombreux sourds a suscité émoi et colère sur le réseau.
Anthony a fait amende honorable et a tenu à s'excuser. Platement. Publiquement. Et en langue des signes sur Sourdoscope, une page d'informations dédiées à la communauté sourde.
 

"J'ai voulu rectifier le tir. plusieurs personnes sourdes bienveillantes m'ont aidé à refaire une vidéo, m'ont montré les signes qu'il fallait. Je les ai reproduit avec maladresse, certes, mais je tenais vraiment à réparer ma connerie. Je n'ai jamais voulu faire du mal".

Anthony Joubert a profité de cette expérience malheureuse pour se pencher sur l'histoire de la langue des signes et la place des sourds dans la société. "En toute humilité, je le dis, j'ai appris plein de choses et je remercie les sourds qui m'ont aidé à comprendre pourquoi ma vidéo avait été aussi mal perçue !"

►Pour en savoir plus : L'Afils a réalisé un dossier "Regard sur l'actu" sur cette thématique,
LSF à la télé: Humour et moqueries


L'arbre qui ne doit pas cacher la forêt


Si aujourd'hui, les sourds et les entendant signants se réjouissent de la visibilité de la langue des signes, la situation reste fragile.
Fragile, car l'accessibilité n'est pas systématique, loin s'en faut.
Et notamment à l'hôpital.

"Il faudrait que les hopitaux se préparent à accueillir des patients sourds, car l'accessibilité aux soins est encore inégale en France. Il n' y a pas toujours un service d'accueil prévu pour les sourds", constate Delphine Thomas.
Face à la crise, en Occitanie, les interprètes organisent des permanences, le week-end, sur des tranches horaires sur lesquelles le dispositif de visio-interprétation ne fonctionne pas d'habitude, afin de pouvoir répondre aux urgences liées au virus et palier le manque d'interprètes, la plupart confinés chez eux.
Leur rôle est crucial car il permet de traduire les échanges entre les malades et les soignants..."mais franchement, tout se fait de manière informelle. Notre association va d'ailleurs travailler à un recensement des manquements dans le domaine médical pour faire remonter des préconisations...".

Le domaine médical, l'enseignement, l'administration, autant de secteurs ou l'accessibilité est minimale voire inexistante.
La reconnaissance de la langue des signes, c'est un combat que les sourds mènent dans l'indifférence générale depuis des décennies.  
Les organisations sourdes, appellent régulièrement à manifester et revendiquent, l'inscription de la langue des signes dans la constitution française, et le droit des sourds à être considérés comme des citoyens à part entière. 

Si sa popularisation connaît actuellement une formidable accélération, il ne faudrait pas qu'une fois le confinement terminé, la LSF, elle, le reste...confinée.




 
La réaction de Noémie Churlet, directrice de "Média' Pi !", le média des sourds
J'ai contacté Noémie Churlet, l'une des grandes figures de la communauté Sourde de france. Elle s'est battue pour fonder Média'Pi! une plateforme en langue des signes, disponible sur le web, et défend depuis toujours l'accessibilité à l'information.

Aujourd’hui, les discours du gouvernement sont tous interprétés en langue des signes, qu’en penses-tu ?

"Enfin" !!! C'est la moindre des choses en tant que citoyens sourd, de pouvoir avoir accès aux discours qui s'dressent à tous les citoyens.
Dans d'autres pays, ça se fait de manière logique. Le gouvernement est probablement inquiet de la facilité de contamination du Covid19. Une personne Sourde non informée pourrait se balader et transmettre le virus.
Qui serait responsable au final? Le gouvernement qui aurait écarté les Sourds ne maîtrisant pas le français.
Vu comme le Covid19 est un risque pour la population, je me demande si c'est la raison qui le pousse à proposer des traductions de qualité.
Mais si c'était une situation où la personne Sourde n'avait aucun impact sur la société, réagirait-il  de la même manière ? 
En tout cas, je ne vais pas cracher dans la soupe, je remercie et je félicite toutes les personnes, dans l'audiovisuel ou en dehors, qui ont porté ce projet et qui ont tout fait pour rendre cela possible. C'est vraiment formidable. 
 
S’il n’y avait pas ces traductions penses-tu que les sourds prendraient la mesure de l’épidémie ?

Vu comment le public nous appelle pour avoir des informations, je ne pense pas.
Et il y a beaucoup de mauvaises interprétations, certaines dangereuses ou improductives.
Il ne faut laisser personne de côté aux informations, surtout face aux directives gouvernementales !
Il faut accepter qu'il y ait la langue des signes française dans le patrimoine linguistique, au même titre que la langue française. On attend impatiemment que cette langue soit intégrée dans la constitution française, c'est l'attente de tous. 

Es-tu choquée par les caricatures, les mimes qui circulent sur facebook et qui se moque des discours de E. Macron en utilisant des signes grotesques ?

Non pas spécialement.
Enfin, je suis une ancienne comédienne. L'art de la dérision est parfois mal perçu mais ça évoque également le manque de prise de conscience de l'histoire des sourds, toutes les problématiques que les sourds vivent et ressentent. Tout comme pour les interprètes. Pour nous, cela est vu comme un grand évenement, et pour les entendants c'est tourné en ridicule.
Le paradoxe est fort.
Pour la plupart des entendants c'est pas du tout le même ressenti. 

As-tu peur que les traductions s’arrêtent après la crise ?

 "Peur", non mais ce serait très énervant,  aberrant, irresponsable... ça me mettrait plutôt en colère...
Mais, en même temps, je ne serais pas surprise.
J'ai vu au fil des ans, combien le sujet de l'accessibilité du français vers la LSF est esquivé par le gouvernement.
La secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, Mme Cluzel a d'ailleurs refusé l'intégration de la langue des signes française dans dans la constitution.
Mais je suis de nature optimiste! j'ai envie de croire qu'il y aura vraiment un après-2020, les personnes seront plus responsables, engagés,  solidaires.
Espérer, croire, cela donne des forces pour continuer à créer ou à se battre pour une cause. 

 
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