L'œuvre d'art, la "Voie blanche" en mémoire du convoi n°8 parti d'Angers vers Auschwitz, a été inaugurée ce dimanche 21 juillet. Elle symbolise un rail qui a transporté vers la mort plus de 800 déportés.
C'était il y a 82 ans. Au moment où survient à Paris la terrible rafle du Vel d'Hiv, notre région est le théâtre d'une autre grande vague d'arrestation de Juifs, entre le 15 et le 20 juillet 1942.
Dans nos cinq départements, plus de 800 juifs étrangers et français sont arrêtés et regroupés à Angers, ville à partir de laquelle les Allemands dirigent une grande partie de l'ouest de la France.
Ils seront déportés par le convoi numéro 8 vers Auschwitz. Le seul train pendant la Seconde Guerre mondiale en France à se rendre directement vers le camp d'extermination sans passer par Drancy.
Ce 21 juillet, une œuvre mémorielle est inaugurée place Giffard Langevin près de la gare d'Angers. "La voie blanche" de l'artiste sculpteur Emmanuel saulnier, symbolise des rails. Les noms des déportés y sont tous gravés.
"Le passé ne s'enterre pas"
"Il n'y avait quasiment pas de visibilité de ce qui s'était passé. La présence d'un monument, c'est quelque chose d'indélébile. C'est une œuvre d'art immense, à côté de la gare. C'est tout un symbole et c'est pour nous un aboutissement. Cela représente des années de lutte pour qu'Angers n'oublie pas cette partie-là du passé", explique Régine Podorowski, petite-fille de déportés et présidente de l'association du Convoi n°8.
"Moi, je suis née à Angers, j'y ai grandi, j'y ai été scolarisée et je n'ai pas entendu parler de cette histoire-là. J'en ai presque les larmes aux yeux aujourd'hui. Tous ces gens-là sont partis. Mes grands-parents étaient dans le convoi, je ne les ai pas connus, ils m'ont manqué toute ma vie", confie-t-elle.
Avec ce monument, ils ne sont pas complétement morts, le passé ne s'enterre pas. Désormais, on se souvient, c'est important dans un contexte politique extrêmement lourd actuellement
Régine PodorowskiPetite-fille de déportés, présidente de l'association du convoi n°8
824 juifs déportés
15 juillet 1942 à Angers, sur ordre des Nazis qui occupent la ville depuis deux ans, des policiers français commencent leur basse besogne.
Partout en Anjou et dans les départements voisins, des familles juives sont arrêtées.
Argent, bijoux, tout leur est arraché. Les prisonniers ne sont autorisés à garder que quelques effets personnels avant d’être emmenés de force, dans un grand séminaire.
"Ce sont 800 personnes qui viennent de plusieurs départements. Ça tombe bien, le séminaire est grand, c'est l'été, le bâtiment est vide, les séminaristes ne sont pas là. Il y a de la place", raconte Alain Jacobzone historien et auteur de "L'éradication tranquille, le destin des Juifs en Anjou".
Les personnes arrêtées sont entassées dans des pièces après les avoir fouillées, après les avoir dépouillées et souvent maltraitées
Alain JacobzoneHistorien
L’un des plus jeunes arrêtés, Henri Borlant. Il vient d’avoir 15 ans et ignore tout de ce qui l'attend.
À aucun moment, on a pu penser ou imaginer qu'on nous arrêtait pour nous exterminer. Si on nous l'avait dit, biens sur nous ne l'aurions pas cru. C'était impensable ! On restera 5 jours
Henri Borlant, mars 2014Rescapé du Convoi n°8
"Vous sortirez d'ici par la cheminée des fours crématoires"
L’attente prend fin le 20 juillet. À la gare d’Angers, 824 Juifs sont emmenés sur le quai du Maroc, entassés dans un train de marchandise, le Convoi numéro 8.
"Ce n'est que le début de l'épreuve, parce que le voyage, si on peut l'appeler comme ça, va durer trois jours, dans des wagons à bestiaux, sans sanitaires, sans eau, sans ravitaillement", rappelle Alain Jacobzone.
Il faut imaginer dans quel état sont arrivées ces personnes au fin fond de l'Europe en Pologne dans le camp d'extermination d'Auschwitz
Alain JacobzoneHistorien
Arrivés sur place, les déportés sont confrontés au pire.
Dès le premier jour, on nous a dit, vous êtes là pour être exterminés, vous ne sortirez d'ici par la cheminée des fours crématoires. Ne vous faites aucune illusion, votre vie ne vaut rien
Henri Borlant, mars 2014Rescapé du convoi n°8
Numéro de matricule 51055, Henri Borlant va rester plus de deux ans à Auschwitz. Il est le dernier rescapé encore vivant aujourd’hui, de ce convoi vers l’enfer.
"Je n'ai pas hésité 30 secondes"
Eux aussi étaient destinés à la mort. Jean-Claude Moscovici, 6 ans, et sa sœur Liliane, 3 ans, raflés près de Saumur, quelques mois après leur père emporté par le Convoi numéro 8. Leur voisine, Odette Bergoffen, âgée alors de 18 ans, décide d’aller les sauver de la déportation au camp de Drancy, près de Paris, où ils sont internés.
"Je me pose moi-même la question. Comment je me suis débrouillée de tout ça ? Je n'en sais rien, vraiment, c'est incroyable. Moi, je n'avais jamais été à Paris", se souvient-elle.
Je suis allée les chercher, je les ai ramenés à Tours. On n'a pas hésité 30 secondes
Odette Bergoffen
Engagée dans la résistance, Odette Bergoffen a reçu le titre de Juste parmi les Nations.
À 100 ans, elle continue son combat, pour ne jamais oublier, cette sombre page de l’histoire angevine.
Le reportage de Jérémy Armand, Laura Striano et Marie-Catherine Georgelin
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