INTERVIEW. Les Cowboys sont toujours à l'ouest, une BD de Damien Geffroy et Olivier Supiot qui pourrait bien vous faire perdre le nord

Rangez vos colts, l'heure est aujourd'hui à la détente avec le western humoristique des Angevins Damien Geffroy et Olivier Supiot, une série d'histoires courtes compilées dans le bon sens aux éditions Fluide Glacial. Rencontre...

Le monde se divise en deux catégories, ceux qui racontent des histoires et ceux qui les lisent. Damien Geffroy et Olivier Supiot appartiennent assurément à la première même si rien ne les empêche de fricoter avec la deuxième. 

D'ailleurs, pour ce nouvel opus qui nous invite dans l'Ouest américain, les deux hommes se sont bien évidemment inspirés des livres et des films du genre, réalisant là assurément un hommage même si la chose est tournée en dérision. 

Et de fait, l'humour est partout, dès la couverture de l'album avec ce cavalier renversé et renversant, avec ce titre prometteur, avec ces pages de garde en forme de gag et bien évidemment avec toutesces histoires, une douzaine, réunies autour d'un personnage, John Casey Carson, le dernier des cowboys devenu milliardaire.

À la demande d'une journaliste, Mlle Wiloughstone, soucieuse d'écrire un article sur l'homme et sa fameuse collection de tableaux, Carson accepte de dévoiler ses peintures comme autant de vestiges de son passé d'aventurier livrant au passage, pour chacune d'elles, une histoire de l'Ouest complètement à l'ouest avec des femmes fatales, des gâchettes faciles, des salopards sans frontière, des bons, des brutes, des truands, des John Ouène, Clint Aistewoude et autres Gary Coupeur plus faux que nature...

Comment toutes ces joyeusetés ont-elles pu germer dans l'esprit des auteurs ? Réponse ici et maintenant...

La conquête de l'Ouest, mieux vaut en rire ?

Olivier Supiot. La conquête de l’Ouest peut être un immense terrain de jeu, c’est un sujet inépuisable, à chacun d’en avoir une approche personnelle. Pour notre part, nous avons choisi l’angle de l’humour noir et parfois de l’absurde, on l’espère, dans une lignée Fluide Glacial. 

Damien Geffroy. Armes à feu, esclavage, misère, génocide, alcool, capitalisme… je pense, en effet, qu’il vaut mieux en rire, parce qu’en vrai, le Far West, ça ne devait pas être drôle tous les jours…

Le ton est à l'humour tous azimuts, certains pourraient vous en vouloir de réduire à néant le mythe du cowboy, de flinguer les codes du genre, mais on sent tout de même en filigrane votre amour pour le western, vous confirmez ?

O. Supiot. Je pense qu’on ne peut pas s’amuser et jouer avec un thème s’il n’y a pas un minimum d’amour ou de respect. Sur le scénario, je n’ai pas la prétention de plaire à tout le monde. Quand on revisite un sujet comme le western, on n'est ni le premier, ni le dernier, et quand on rajoute à cela une approche humoristique, ça ne facilite pas les choses. On peut vite se retrouver avec une balle dans le dos et finir entre quatre planches. C’est la dure loi de l’Ouest.

D. Geffroy. Idem pour le dessin, les plus grands dessinateurs ont illustré le grand Ouest. Des œuvres incroyables jalonnent le genre, des œuvres qui forcent l’admiration et le respect. Mais avec une bonne dose de second degré et beaucoup d’humilité, on y trouve aussi un formidable terrain de jeu… on s’est fait plaisir !

Quel est votre rapport au genre, peut-on être fan du western et plus réservé envers les États-Unis et son histoire ?

O. Supiot. Je pense que cela n’est pas incompatible. Quand on voit un film comme La porte du paradis, le réalisateur Michael Cimino nous en fait la démonstration. La conquête de l’Ouest distille toujours sa part de mystère auréolé de noirceur. L’histoire d’un pays se façonne dans une succession de bouleversements : Guerres, crises, révolutions… Parfois, il est difficile de faire la différence entre un héros et un salaud.

D. Geffroy. Il est bien loin le temps où le gentil cowboy blanc massacrait les méchants peaux-rouges. Voilà bien longtemps que le western nous donne à voir des héros plus nuancés, dans des contextes moins manichéens, si bien qu’aujourd’hui, chacun sait que l’histoire de la conquête de l’Ouest n’est pas très glorieuse … mais le bon côté des choses, c’est qu’elle se prête d’autant plus à l’humour noir.

Comment est né ce projet ? Avec quelle envie ?

O. Supiot. Nous avions réalisé avec Damien Geffroy un premier album chez Fluide Glacial intitulé Taj le survivant. Nous avions envie de retravailler ensemble sur un autre sujet et Les Cowboys sont toujours à l’ouest s’est imposé avec l’envie de jouer avec les codes du western, des envies d’aventures qui sentent bon la peau tannée d’un Mustang au galop. Le dessin de Damien est initiateur d’histoires, il donne envie de s’installer autour d’un bivouac et de conter.

D. Geffroy. Et des anecdotes de cowboys, Olivier en a plein les fontes ! Des paysages, des sales trognes, le dessin de cet album a été très récréatif.

De nombreux clins d'oeil ponctuent la BD. Quelles ont été vos influences ? Quels films, quelles bandes dessinées, quels romans ont bercé votre enfance, votre vie ?

O. Supiot. Tout le monde, lors de son enfance, a joué aux cowboys et aux indiens. J’adorais me déguiser, dessiner et raconter des histoires. Je lisais Lucky Luke, Capitaine Apache dans Pif gadget, mais aussi Smith & Wesson, Horace cheval de l’Ouest et tant d’autres. À la télévision, j’étais fou des Mystères de l’Ouest. Enfant je me rappelle avoir vu sur petit écran Alamo en espérant à chaque rediffusion que la fin change, et plus tard les westerns spaghettis, le génialissime Clint Eastwood, et puis des pépites : La porte du paradis, Le grand silence, Deadman… En ce moment, je lis un roman de Ian Manook aux éditions Paulsen : Ravage. Bien que l’action se passe en 1932 (un peu tardif pour la conquête de l’Ouest), il relate une traque incroyable dans un univers de trappeurs digne des plus grands westerns, un régal .

D. Geffroy. Je suis né un peu trop tard pour profiter de la grande époque du western et ceux qui garnissaient les rayonnages des bibliothèques de mon enfance jouaient déjà du second degré et de l’antihéros. Je citerai Lucky Luke en premier lieu, puis Blueberry, à eux deux la quintessence du western selon moi. Depuis il y eu les Bouncer, Undertaker, l’excellent Texas cowboys ou encore Lincoln, qui brillent par la virtuosité du dessin ou la qualité du scénario, et souvent les deux à la fois… En dehors de la BD et des films cultes de Sergio Leone, ce sont sans doute les romans de Jack London ou La Ruée vers l’or de Blaise Cendrars qui ont le plus marqué mon enfance. Ma dernière lecture du genre était Mille femmes blanches de Jim Fergus.

Humour, western... Est-ce qu'on peut dire qu'il y a beaucoup de Morris et de Goscinny dans l'album ?

O. Supiot. Je suis très intimidé par cette question, ces deux messieurs ayant tellement marqué mes lectures d’enfance. Ils ont en tout cas planté une petite graine dans l’imagination du petit garçon qui lisait leurs créations, au même titre qu’un Gotlib, Uderzo, Tranchand, Poirier. On espère que le plaisir que l’on a eu à créer cet album se ressent à la lecture.

D. Geffroy. Toute proportion gardée, le cocktail fait immanquablement penser à ces deux auteurs talentueux qui font bien sûr partie de nos sources d’inspiration…

Olivier, passer de Monsieur Hulot à John Ouène et autre Buffalo Yves, c'est un peu faire le grand écart non ?

O. Supiot. Depuis que je fais de la bande-dessinée, presque 25 ans, j’ai toujours eu besoin de varier les plaisirs. Alterner entre jeunesse et adulte, joyeux et sombre, entre Marie Frisson et Le Dérisoire… Je pense que la bande dessinée est un vrai laboratoire de création : libre et inépuisable. Je ne veux pas être cantonné à un style ou à un public… Je veux juste créer en liberté, sans prétention mais avec sincérité. Tati et le film sans fin est un album pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Chaque livre est une aventure.

Surtout que sur le premier, vous êtiez dessinateur, sur le second scénariste...

O. Supiot. Idem, j’aime dessiner, j’aime écrire. Parfois je suis au service d’un scénariste, ou j’écris une histoire pour un dessinateur, parfois je fais les deux, c’est une grande chance. Ce sont les projets qui me portent et surtout les rencontres.

Idem pour Damien, est-ce facile de passer d'un thriller comme Inspecteur Balto à un western ? Cela a-t-il nécessité quelques réglages ?

D. Geffroy. Le ton de la BD induit l’approche. Inspecteur Balto s’apparente à la comédie dramatique, les personnages sont plus réalistes, les traits plus fins, les émotions des personnages plus mesurées… Dans Les Cowboys sont toujours à l'ouest, on est dans la démesure, les traits sont plus caricaturaux, les expressions plus appuyées, les personnages plus fantasques… C’est pourquoi je parlais plus tôt de l’aspect récréatif de ce genre de dessin. Nous avons réalisé l’album au rythme d’une histoire par mois pour les pages du magazine, j’ai donc alterné les deux univers tout au long de l’année avec un plaisir à chaque fois renouvelé.

Effectivement, on sent que vous vous êtes vraiment amusés sur l'album. Peut-on imaginer vous revoir ensemble sur une suite ou sur un one shot ?

O. Supiot. Oui, il y a eu beaucoup de plaisir. Merci à l’équipe Fluide pour leur confiance. Damien est un dessinateur talentueux et généreux. J’espère avoir la chance de retravailler avec lui. On se retrouvera peut-être à nouveau chevauchant sur de grandes plaines sauvages ou peut-être ailleurs… Qui sait ?

D. Geffroy. Il y a encore de quoi faire dans l’univers du western et je sais qu’Olivier est loin d’être à sec, alors pourquoi pas un second tome ? Mais je le suivrai les yeux fermés quel que soit le genre abordé car travailler avec Olivier est toujours un réel plaisir et je lui dois beaucoup. Aguerri et toujours inspiré, c’est un grand raconteur d’histoires !

Merci Olivier, merci Damien

Les Cowboys sont toujours à l'ouest, de Supiot et Geffroy. Fluide Glacial. 15,90 €

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