"On ne s'habitue jamais à l'agonie..." L'ex-urgentiste Nicolas Bonnemaison, jugé en appel à Angers pour "empoisonnement" de patients en phase terminale, a retracé mardi l'enfer de l'extrême fin de vie, et défendu ses décisions de sédation, "en aucun cas" pour tuer mais pour "soulager".
Mais le procès, à son deuxième jour à la Cour d'assises du Maine-et-Loire, a aussi dressé le portrait d'une France "en retard sur les soins palliatifs". "Un grave dysfonctionnement" et une "inadéquation criante" qui voient des dizaines de milliers de patients âgés d'EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) envoyés vivre leurs dernières heures à l'hôpital, aux mains d'urgentistes dont la fin de vie n'est "ni le métier, ni le rôle".
Avec une calme conviction, Nicolas Bonnemaison s'est expliqué sur les injections administrées en 2010 et 2011 à sept patients âgés et incurables, au traitement arrêté et au pronostic vital engagé à court terme. Des patients en proie à des convulsions, des crises d'épilepsie qu' "on ne va pas laisser agoniser", qu'on doit "aider à partir" sans souffrances, affirme-t-il.
La sédation, 'mon devoir'
"Vous dites "on" ?, Pourquoi pas "je" ?", l'a relancé l'avocat général. "Je, il n'y pas de souci. Je pratique la sédation et j'estime que c'est mon devoir de le faire", a répondu Nicolas Bonnemaison qui a dépeint, sans gants, le tableau du déclin de patients agonisants."C'est terrible". "Extrêmement fort". "Impressionnant pour tout le monde...", a martelé l'ex-urgentiste bayonnais, décrivant les convulsions "pendant 48 heures", avec des "gasps" ("un peu comme un poisson qui sort de l'eau"), ou encore les crises d'épilepsie "si rapprochées qu'il n'y avait pas de prise de conscience entre deux".
"J'insiste sur ce point; l'intention n'est en aucun cas de provoquer le décès", a-t-il répété, rappelant qu'à partir du moment où décision a été prise d'arrêter une thérapie active - "une décision collégiale indispensable" -, il est admis que "la sédation va être obligatoire". Une décision qui appartient au médecin.
"Les patients pour lesquels je réponds avaient tous un pronostic vital engagé de quelques heures à quelques jours (...) A ce jour, on n'a pas d'outils pour évaluer la souffrance psychique", a-t-il dit, rappelant le contexte des gestes pour lesquels il est jugé, après avoir été acquitté en premier ressort à Pau en juin 2014. Des crimes pour lesquels il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Une nouvelle fois, il a été mis face à l'opacité de ses décisions, prises sans avoir informé les familles: "J'ai déjà vécu avant des sollicitations de l'avis de la famille (qui se sont avérées) catastrophiques". Et pas plus le personnel soignant: "Trop souvent dans ma carrière, j'ai vu des infirmières qui se retrouvent à faire les injections (...) des équipes en grande difficulté".
La loi ne résoudra pas tout
Seul ? Ou tout-puissant ? Régis Aubry, spécialiste reconnu de la fin de vie, chefs des soins palliatifs au CHU de Besançon, a apporté une note dissonante, d'extrême prudence: "On ne peut pas décider seul" d'une sédation. "Nous sommes tous fragiles". "C'est peut-être nous que nous essayons de sédater, notre propre angoisse. Ce n'est pas simple".Ancienne ministre des Personnes âgées, mais aussi cancérologue, Michèle Delaunay, entendue comme témoin par visioconférence, a exprimé "sa réserve à suivre trop l'avis des familles. Il est fragile. Il peut changer dans le deuil, être source de culpabilité".
Surtout, dans un contexte de loi sur la fin de vie en train de changer au Parlement, avec un "droit à la sédation finale et continue", Michèle Delaunay en a appelé à l'humilité de tous, dans un domaine où "la loi ne pourra jamais tout résoudre".
"Il y aura toujours un "colloque singulier" entre la personne qui est là, le médecin, et celle qui va se retirer, qui va mourir". A ce moment-là, a-t-elle joliment ajouté, "la loi devra se retirer sur la pointe des pieds".