Violences conjugales à Angers. Témoignage : "Ce jour là, il m'a battue pendant 6 heures jusqu'au black-out"

Alison a vécu l'enfer pendant 4 ans. Elle a subi tant de coups qu'elle aurait pu mourir vingt fois. Aujourd'hui elle a créé une association de défense et d'écoute des victimes. Elle se reconstruit doucement mais le chemin, elle le sait, sera long. Un témoignage glaçant.

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Alison a longtemps pensé que ça n'arrivait qu'aux autres, qu'à la première claque elle partirait. Elle a pourtant vécu l'enfer, elle qui était secrétaire médicale. 

"Je me suis mise en couple avec cette personne en avril 2014. C'est quelqu'un que j'ai côtoyé dans mon enfance. C'était le voisin de ma grand-mère maternelle". Les violences physiques sont arrivées très vite, deux mois plus tard". "Au départ c'est la période lune de miel. Il était bienveillant, presque le prince charmant. Il me valorisait, il était attentionné". Il m'a mise sur un piédestal mais ça c'était pour mieux m'accrocher".

Les premières violences physiques arrivent parce qu'elle refuse de monter dans le véhicule de son compagnon, alors qu'il est ivre.

Il m'a saisie par le bras et m'a balancée dans la voiture comme un simple objet puis il m'a ramenée à la maison et là, s'en suivent quelques heures de violences.Il m'a jetée par terre. Après c'est un déferlement de coups de pied et de coups de poing. J'ai été fracassée au sol.

Bien avant cette première soirée, les violences étaient déjà installées. Des agressions verbales, psychologiques. "Il m'a cassée, traitée comme une bonne à rien, une pauvre fille, incapable de tenir la maison ou de préparer un repas à son goût. J'ai été rabaissée, insultée, coupée de mes amis et de ma famille".

Au quotidien, l'ancien militaire en demande toujours plus à Alison. Il la surcharge de tâches, pour mieux la traiter d'incapable. Elle gère tout, l'éducation de ses deux filles âgées de 14 et 11 ans, nées d'une première union, la maison, le moindre des papiers. Alison n'a jamais un seul  instant de répit. Même pas au travail. Elle est formatrice dans le milieu éducatif.  Régulièrement, son compagnon vient faire des scandales parce qu'elle finit trop tard. 


" A deux reprises il a fait irruption, une fois j'étais en réunion de travail avec mon responsable d'équipe et mes collègues. Ils ont vu le malaise et m'ont dit : rentre chez toi. C'était la honte, l'humiliation, j'ai préféré arrêter."

"Je n'ai pas envie de t'enterrer"

A cette époque l'entourage professionnel et amical d'Alison sait et alerte la jeune femme. Tous ont compris le danger. Un proche lui conseille même de partir en lui disant "Je n'ai pas envie de t'enterrer".

Partir, c'est plus compliqué qu'on ne le pense. Lorsque je travaillais en médecine légale et que je voyais revenir des femmes à plusieurs reprises, je ne les comprenais pas. Je disais après une seule claque moi, je m'en vais.

"J'étais conditionnée. Au début, les violences, on ne les voit pas. J'étais une petite chose formatée à ne pas répliquer". Et puis il y a ce qu'Alison appelle les mécanismes, le cycle, tout ce qui fait que vous ne fuyez pas tout de suite.

Après l' explosion des coups, il y a la phase du transfert de culpabilité et ces phrases que la jeune femme a entendu à chaque fois : "Tu vois ce que tu me fais faire. Tu me pousses à bout. Tu me rends fou." . "En fait je portais la responsabilité de ce que je venais de vivre. J'ai du caractère et pourtant face à ce genre de personne, je n'en ai pas eu du tout. Personne n'est à l'abri, ça peut vraiment toucher tout le monde. Et c'est un fait sur lequel vraiment je veux insister aujourd'hui".


"A chaque fois que l'on revient le seuil de tolérance s'abaisse"

En janvier 2015, Alison subit une heure et demi de violences parce que le repas n'était pas prêt.

Il m'a jeté au sol au milieu des poubelles, c'était symbolique pour lui. J'étais un déchet. Je suis restée prostrée là. Lui, il faisait des allers-retours pour me frapper. J'ai réussi à appeler une amie pour partir. Elle est arrivée. Je lui ai demandé de mettre mes deux filles à l'abri. J'ai accepté de rentrer avec mon ex-compagnon. Et les violences ont repris de plus belle. Il m'a arraché le cuir chevelu et cassé quatre côtes. J'ai dû porter une ceinture abdominale pendant trois mois.

Cette fois, Alison décide de porter plainte. Á l'arrivée de la police, son compagnon s'enfuit. Les forces de l'ordre ne le rattrape pas. "Je suis allée aux urgences, j'ai dormi chez une amie pour être en sécurité puisqu'il n'avait toujours pas été retrouvé. Le lendemain matin, je suis passée à la maison pour venir chercher des papiers pour l'hôpital. Il était à l'intérieur".

C'est à moment là qu'il a été arrêté, placé en garde à vue, et relâché sous-contrôle judiciaire. Il donne une fausse adresse, qui concrètement n'existe même pas. Il finit par agresser Alison un jour où elle fait ses courses. Deux policiers arrivent, prévenus par des témoins. Le conjoint violent est placé en mandat de dépôt et jugé. Il est condamné à 6 mois de prison ferme. 

Sans domicile fixe pendant deux ans

Alison, elle, est hébergée, avec ses enfants par SOS femmes. Pendant ces cinq mois elle conserve son logement.  "J'avais besoin de me mettre en retrait, de me reconstruire mais je n'envisageais pas de quitter mon appartement, donc je payais mon loyer. Et 45 euros par mois pour le foyer. Mais la CAF m'a réclamé les APL qu'elle m'avait versées, pendant ce temps-là parce que je n'occupais plus mon logement depuis plus de quatre mois. J'avais une dette de 2 000 euros. Alison touche à cette époque, l'allocation adulte handicapée et l'invalidité CPAM.

"On m'a tout pris, je me suis retrouvée avec 348 euros par mois". Abandonnée, sans aucune solution, la jeune femme se retrouve pendant deux ans sans domicile fixe, avec ses deux enfants à charge. Elle est logée par sa famille ou des amis.
 

Un calvaire sans fin

4 mois après son incarcération, le 2 juin 2015, l'ex-conjoint d'Alison est dehors. En octobre, il reprend contact avec elle et la jeune femme replonge. Il lui dit être désolé. La prison l'aurait fait "réagir". Il fait mine d'assumer sa violence passée et fait profil bas devant les proches du couple.

Ce mea culpa de pacotille, cette sincérité de façade, Alison veut y croire dur comme fer. "J'avais l'impression d'avoir en face de moi quelqu'un qui était capable de se remettre en question et qui mettait tout en oeuvre pour changer. Il avait des injonctions de soins, il voyait un psy" . L'ex propose à Alison de l'héberger, elle, et ses filles. Le piège se referme. Pendant plusieurs mois, le manipulateur donne le change. Et puis de nouveau les coups pleuvent pour un oui ou pour un non.

Parfois, il y a des accalmies, des moments de bonheur même. Je me sens aussi terriblement seule, autour de moi : plus personne ! Je n'ai que lui. Je suis découragée. J'ai peur de me retrouver de nouveau à la rue. Je ne veux pas refaire vivre ça à mes filles

Depuis Alison a lu le rapport d'expertise psychiatrique. "Selon les médecins il souffre d'un trouble de la personnalité de type antisocial, avec un niveau de dangerosité élevé. Il est dans l'incapacité de se remettre en question. Il n'a aucune empathie et ne peut pas se conformer aux normes de la société". Aujourd'hui, elle voit clair dans l'effrayante personnalité de son bourreau mais à l'époque, elle se pense amoureuse. En réalité elle sous l'emprise de cet homme particulièrement violent et diablement manipulateur.
 

Les coups de trop

Au mois de décembre 2018,  j'ai dit stop quand il s'en est pris à ma fille, la plus petite de 11 ans. Il lui a fracturé le coude. Moi je venais de subir six heures de violences j'ai fait ce qu'on appelle un black-out. Il m'avait tapé la tête contre les murs et le carrelage. J'ai lu ça dans le rapport d'audition de mes deux filles, parce moi je ne me souviens pas de toute la soirée. Ça a été extrêmement violent ce jour-là, j'ai eu un traumatisme crânien et des cervicales déplacées. J'aurai des séquelles à vie.

Ce jour là, les deux filles d'Alison interviennent pour tenter de protéger leur mère. Laurine, l'aînée, âgée de 14 ans s'interpose.

"Ça je m'en souviens très bien, c'est très net dans ma tête. Laurine lui a dit "Tu laisses ma mère tranquille,. J'ai pas peur de toi !" Il a voulu la frapper.  Je lui ai tapé dans le dos pour détourner son attention vers moi, pour qu'il l'épargne. C'est moi qui ai pris, ma grande a pu s'échapper dans la rue mais la petite était encore dans l'entrée. Il l'a écrasé entre la porte et le mur". Il a dit à mes filles je vais vous tuer".

Dés le lendemain, Alison porte plainte. Le temps de l'enquête n'en finit pas, les expertises médico-légales, les démarches à faire seule sans aucun accompagnement.

La jeune mère a le sentiment qu'il ne se passe rien. Elle, est à priori mise à l'abri par une ordonnance de protection.  "Il n'a pas le droit de m'approcher mais il le fait sans arrêt. Il vient devant chez moi. Il me harcèle jour et nuit. Parfois j'appelle la police à 5 heures du matin pour dire qu'il est là devant chez moi. On me répond : si vous avez verrouillé votre porte vous êtes en sécurité. Éteignez les lumières , il n' y a plus rien à craindre. Je dormais avec un marteau près de mon lit. J'avais peur pour ma vie et celle de mes enfants"

"On n'a pas que votre dossier, avec les gilets jaunes on a beaucoup de travail"

Les démarches sont longues et lourdes. Alison les fait seule ou avec son avocat. Il y a l'épuisement moral et physique à gérer. Et parfois  Alison se sent sursollicitée, convoquée à plusieurs reprises par le commissariat dans la même journée. A cette époque l'Angevine est à bout.

Parce qu'elle ne se sent pas en sécurité, elle appelle le commissariat pour savoir où en est l'enquête. Elle s'entend répondre : "On n'a pas que votre dossier, avec les Gilets jaunes on a beaucoup de travail".
 

"Ce jour là , il m'a violée mais il aurait pu me tuer"

Le 12 mars 2019, Alison est chez elle. Depuis des mois déjà, son ex-conjoint est là tapi dans l'ombre, à l'observer. Ce jour là, il attend que les filles partent à l'école, il entre. Il est 8 heures 30, Alison est encore en peignoir, elle prend son café. Lorsqu'elle voit son ex-conjoint, elle est terrorisée.

Face à lui, pourtant Alison tient bon, et lui demande de la laisser tranquille, de la laisser être heureuse,  mais le prédateur ne lui laisse aucune chance. Il allonge Alison sur le ventre et la viole. Avant de partir il lui glisse : "tu es ma femme à vie".

Alison va mettre quelques jours à réaliser. 

Je suis restée prostrée très longtemps. Mon corps et mon esprit ressentaient le viol mais c'est compliqué de l'intégrer et tellement violent

Alerté, l'entourage d'Alison lui conseille d'aller porter plainte. Mais elle n'a plus confiance,  ni en la police, ni en la justice. "Je ne me sentais plus la force de me battre. J'ai occulté pendant 15 jours. et puis j'ai vu mon avocat. J'ai finalement porté plainte le 26 mars. J'ai été reçue comme une moins-que-rien par une femme policier qui a griffonné quelques informations sur une feuille de papier volante. Elle m'a dit je transmettrai. L'après-midi même, un enquêteur m'a téléphoné pour me dire que le comportement de sa collègue n'était pas acceptable et que je n'aurai pas dû être reçue de la sorte".

Le lendemain l'ex militaire est arrêté. Il faudra 6 policiers pour maîtriser l'individu. L'homme passe en comparution immédiate pour violences conjugales, révocation de sursis et outrages et rébellion sur représentants des forces de l'ordre. Il écope au total de 19 mois ferme. Le viol sera jugé aux assises en 2020. L'ex-conjoint risque de 8 à 12 ans de prison.

Deux mois après l'incarcération de son compagnon, Alison croit pouvoir souffler un peu. Mais elle reçoit un appel du commissariat. Son ex-conjoint demande un régime de semi-liberté. "Les policiers m'ont demandé ce que je pensais de cet aménagement de peine. Je leur ai répondu; s'il sort, vous pouvez directement commander ma pierre tombale". Finalement, elle a été entendue. L'homme ne bénéficiera d'aucun régime de faveur avant son procès devant les assises du Maine-et-Loire.

Il y a des hauts et des bas. Certaines choses sont encore compliquées. Aujourd'hui, je me reconstruis. Je fais un gros travail sur moi. j'essaye de comprendre, j'ai déjà compris beaucoup de choses. je m'entoure des bonnes personnes. Je trie ma vie pour ne pas retomber entre les griffes de ce genre de tortionnaire. Je ne suis pas morte mais il a tué une partie de moi et de ma vie.
 

Une reconstruction longue et douloureuse

Alison a refait sa vie avec Nicolas, un homme "adorable et attentionné". Elle reste pourtant fragile : "Quand je sors avec des amis je lui demande s'il est d'accord. Il me regarde à la fois interloqué et souriant, en me disant qu'il n'y que les enfants qui demandent de telles autorisations. C'est quelqu'un d'exceptionnel. Il m'aide énormément. La reconstruction sera longue. Il restera forcément des séquelles physiques et psychologiques. mais on y arrive. Il y a un après et il y a de l'espoir quand même."

Avec une amie qui a, comme elle, subi des violences Alison Pertué a crée l'association "Les roses de l'espoir ". "Je dis aux victimes qu'elles ont des qualités, que ces qualités leurs bourreaux s'en sont servies pour les détruire. Pour les retrouver,  il faut du temps, beaucoup de temps, mais rien n'est perdu".

Avec mon association je veux démontrer aux femmes que ce n'est pas à la victime de supporter le poids de la honte.

"On n'est pas responsable. Je veux aussi sensibiliser l'entourage à ne pas juger ces femmes qui ont du mal à s'extirper. Ce n'est pas aussi simple qu'on pourrait le penser. Le public doit aussi connaître la réalité des difficultés des procédures que l'on peut rencontrer. Il est impératif de mettre nos politiques face à leur propre responsabilité. Il y a des failles énormes dans notre système judiciaire".

A ce jour, 132 féminicides, dont huit en Pays de la Loire, ont eu lieu en France depuis le début de l'année 2019. "Parler des féminicides c'est très bien, mais toutes celles qui sont mortes psychologiquement, on ne les comptabilise pas", conclut Alison.

Violences conjugales : les chiffres
  • Á ce jour 132 féminicides depuis début 2019.
  • En 2018, 107 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints, 130 en 2017.
  • En moyenne, 219 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année.
  • 3 femmes victimes sur 4 déclarent avoir subi des violences physiques répétées.
  • Parmi ces femmes, 19% des femmes victimes  disent avoir déposé plainte à la gendarmerie ou au commassariat après ces violences.
  • 8 femmes victimes sur 10 ont aussi vécu des violences psychologiques et des agressions verbales.
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