Ce dimanche 9 juin, elles pourront, elles aussi, voter, comme tous les autres citoyens. Depuis 2019, les personnes sous tutelle vivant avec un handicap mental peuvent exercer leur droit de vote, sans condition. Reste le défi de sa mise en œuvre.
Derrière les rideaux bleus de l'isoloir, Chantal, que ses pieds trahissent, trépigne d'excitation. Elle était la première de ses collègues à aller voter "pour de faux" ce mercredi 22 mai, dans le bureau de vote fictif mis à disposition par la mairie de Port-Brillet, en Mayenne.
Un parcours sans faute pour cette fidèle électrice, en témoigne sa carte électorale emplie de tampons depuis 2019.
Avec le même enthousiasme, en file indienne, ses camarades lui emboîtent le pas vers la table où seront présentés les bulletins de vote, "en veillant bien à en prendre au moins deux, rappelle le maire Fabien Robin, et attendez d'être dans l'isoloir pour mettre le bulletin de votre choix dans l'enveloppe !".
Le passage dans l'isoloir est obligatoire et il faut bien penser à fermer le rideau !
Fabien RobinMaire de Port-Brillet
Ces électeurs, ce sont des personnes qui souffrent de déficience mentale et qui vivent en milieu protégé, à l'Esat Robida, à quelques kilomètres de Laval.
Depuis la loi du 23 mars 2019, le droit de vote a été élargi à toutes les personnes sous tutelle vivant avec un handicap mental, sans distinction, ni autorisation préalable du juge.
"On est des citoyens comme tout le monde"
"A voté". Deux mots qui résonnent encore dans la tête de Ludovic, qui se souvient de son baptême électoral, en mai 2022, lors de l'élection présidentielle. La première fois que le Mayennais, alors âgé de 45 ans, glissait un bulletin dans l'urne.
"C'était la première fois que je rentrais dans un vrai bureau de vote, j'en tremblais, se rappelle le primo-votant. Pour moi, c'est très important de voter, on est des citoyens comme tout le monde", ajoute Ludovic, qui travaille à la menuiserie de l'établissement depuis une vingtaine d'années.
Une avancée historique et inclusive
Pour le directeur de cet établissement, cette réforme du code électoral est un grand pas vers une démocratie plus inclusive.
"Voter, c'est un droit fondamental et c'est reconnaître pleinement leur statut de citoyen dont ils ont été trop longtemps privés, estime Emmanuel Gerboin, conscient du défi de la mise en œuvre de cette nouvelle politique.
Pour aider les résidents à exercer leur droit de vote, il est "impératif de les accompagner, ce qui exige pour les équipes, un travail de réflexion sur la façon de mettre en place cet apprentissage, précise le directeur de l'établissement. Et beaucoup d'entre eux ne savent pas lire".
Voter une loi et la rendre accessible, c'est deux choses différentes
Emmanuel GerboinDirecteur de l'Esat Robida
Et c'est là toute la difficulté, car la loi laisse à chaque établissement la liberté de sa mise en œuvre. Sur ce point, l'Esat Robida se fait un devoir de favoriser l'autonomie et la participation des résidents à la vie publique.
Depuis des années, par exemple, les professionnels ont mis en place un "Conseil de la vie sociale". Tous les trois ans, les résidents votent pour élire, parmi leurs pairs, celui où celle qui les représentera au sein de l'établissement. L'occasion de rappeler le fonctionnement du vote et les règles à respecter.
Il faut arrêter de les considérer comme des citoyens de seconde zone !
Fabien MaillardEducateur spécialisé
C'est dans cet esprit que les équipes, avec l'aide d'un élu de la commune, ont élaboré des ateliers théoriques et pratiques en vue des élections européennes.
Un projet dans lequel Frédéric Maillard, l'un des éducateurs spécialisés, s'est personnellement investi. "Cette loi, c'est l'occasion de leur permettre de s'ouvrir à des questionnements un peu plus larges, au-delà des préoccupations du quotidien, sur lesquelles ils sont souvent centrés".
Voter, c'est la reconnaissance de leur existence
Au-delà de l'apprentissage, se pose la délicate question des enjeux électoraux. Comment aider les personnes vivant avec un handicap mental à exercer leur droit de vote de manière autonome et éclairée ?
Pour le directeur de l'Esat Robida, la réponse est sans équivoque. "Lors de la présentation du contenu des programmes des candidats, on s’interdit strictement de prendre la moindre position qui pourrait influencer leur raisonnement. On reste sur une présentation factuelle des programmes, de l'extrême gauche à l'extrême droite".
Informer sans influencer
"On évoque les grands thèmes comme l'environnement, l'éducation, la santé, avec un focus sur les propositions en matière de handicap". Pour faciliter la compréhension des enjeux électoraux, les professionnels se reposent sur des supports adaptés, écrits en FALC, "Facile à lire et à Comprendre".
Une méthode qui a pour but de traduire un langage classique en langage compréhensible par tous, avec des mots simples et des phrases courtes. Avec, pour ceux qui ne savent pas, ou peu, lire, des pictogrammes significatifs.
Et comme beaucoup d'électeurs, les résidents regardent aussi la télévision pour connaître les candidats, "voir à quoi ils ressemblent". C'est l'une des principales occupations du moment pour Fabien qui "adore la politique" ! Mais inutile de lui demander pour qui il votera le 9 juin. "Je ne dis pas mon vote, c'est secret. Mais j'attends les programmes pour faire mon choix".
Nous, on a un rôle d’information et surtout pas d’orientation politique
Emmanuel GerboinDirecteur de l'Esat Robida
Comme Chantal, Ludovic ou Benoit, en France, près de 400 000 personnes en situation de handicap mental pourront voter aux élections européennes, comme tous les autres citoyens. À condition, bien sûr, d'être inscrits sur les listes électorales !
Le reportage de Séverine Bourgault, Carine Mordrelle et Christophe Person
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