Trafic de cocaïne. "Vous n'avez plus qu'à avaler et à déféquer", enquête sur les mules de Sarthe

C'est un fléau qui se développe dans notre région et plus particulièrement en Sarthe : le trafic de cocaïne venu directement de Guyane via des passeurs, qui n'hésitent pas à avaler des boulettes de poudre blanche. Des femmes et des hommes de plus en plus jeunes qui font la mule pour le compte des trafiquants.

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Chaque jour, deux vols en provenance de Cayenne atterrissent à Orly. Parmi les passagers, au moins 30 % d'entre eux seraient des mules.

Lorsque la drogue n'est pas interceptée à l'aéroport avec un scanner, c'est sur les routes ou dans les trains que les douanes agissent.

En 2022, 434 kilos de cocaïne ont été saisis par les douanes des Pays de la Loire. C'est 15 % de plus qu'en 2021. La grande majorité des mules sont arrêtées sur les routes sarthoises.

Une fois interpellées, elles sont prises en charge par des médecins contraints de se spécialiser. Le service de réanimation du Mans est devenu pionnier dans le domaine.

Là, il y a 122 boulettes de comptabilisées qui vont de l'estomac jusqu'au rectum

Mickael Landais

Médecin réanimateur au CH du Mans

"Donc là, on a reçu un malade de 20 ans qui a pris 122 boulettes de cocaïne, il a atterri hier à Paris, venant de Guyane, explique Mickael Landais, médecin réanimateur au CH du Mans. Il prend bien ses traitements, il prend ses laxatifs, alors il commence à exonérer ces boulettes petit à petit".

"Le processus s'est nettement professionnalisé, poursuit le médecin, c'est-à-dire que les boulettes ne sont plus comme à l'époque, ou encore nettement moins, avec des préservatifs ou de cellophane. Maintenant, ce sont des boulettes professionnelles entourées de cire".

"Si jamais une boulette venait à se fendre ou à s'ouvrir, il y aurait une overdose massive immédiate. Il faudrait pouvoir intervenir rapidement, immédiatement, en réalisant les soins de réanimation et la chirurgie".

En comparution immédiate

Une fois les ovules expulsés, après 96 heures de garde à vue, la mule doit passer devant un juge en comparution immédiate. Et au Mans, la réponse pénale se veut dissuasive.

En moyenne, c'est une mule chaque semaine qui est interpellée dans le département de la Sarthe

Delphine Dewailly

Procureure du Mans

"Le tribunal correctionnel les condamne, toujours à de l'emprisonnement ferme, avec un mandat de dépôt immédiat, raconte Delphine Dawailly, procureure de la République du Mans, le soir même de la comparution devant le tribunal, la mule dort en détention. Nous tentons également, nous requérons et obtenons une interdiction de séjour en Sarthe pendant plusieurs années à l'issue de la peine d'emprisonnement ferme".

"C'est plusieurs années de travail sur un voyage"

La justice du Mans est engorgée par le trafic de cocaïne. Au mois de novembre dernier, toute une famille Guyano-Mancelle était jugée pour transport et revente de cocaïne.

Quinze personnes dans le box des accusés, du jamais vu. Pour les avocats, la réponse de leurs clients est toujours la même.

"Il ne savait pas, il ne comprend pas. À la fin, ce qu'il voit, c'est qu'on va lui donner entre 3 000 et 5 000 euros, alors que la majorité de la population a 600 euros par mois. C'est plusieurs années de travail sur un voyage, avec les risques que ça comprend", explique Me Jonathan Proust, avocat au barreau du Mans.

"Le billet d'avion est payé, le taxi est payé, la cocaïne est payée. Vous n'avez plus qu'à avaler et à déféquer, entre guillemets, ces stupéfiants une fois arrivés en métropole", poursuit l'avocat.

D'autant que les trafiquants en Guyane font courir la rumeur qu'une mule mineure ou bien enceinte avec des enfants serait jugée moins sévèrement. Mais pourquoi sont-elles aussi nombreuses au Mans ? La proximité avec Paris, certes, mais aussi la présence d'une communauté guyanaise importante, quartier Bellevue.

"J'étais dans un poste précédent à Rennes et j'étais surprise de voir que toutes les mules qui étaient en prison, lorsqu'elles demandaient des permissions de sortir pour un week-end ou lorsqu'elles donnaient l'adresse à laquelle elles allaient résider à l'issue de leur peine, c'était toujours au Mans", témoigne Delphine Dewailly. "Ces mules ne ressentent pas toujours l'envie ou la possibilité de retourner en Guyane pour plusieurs raisons. Parfois parce qu'elles ont noté qu'une partie de leur famille est en métropole et que les conditions de vie sont peut-être un peu moins rugueuses. Et puis, la deuxième raison, c'est qu'elles ont parfois aussi une dette envers le recruteur".

"Dès que tu es en prison, tu es dans la merde"

Des dettes, cette jeune femme de 23 ans que nous avons rencontrée, anciennement mule, en a. Elle a purgé deux ans de prison ferme. Elle n'a pas souhaité nous parler de sa dette aux trafiquants, mais elle rembourse chaque mois au Trésor public. Elle lui doit plus de 8 000 euros.

"J'avais pas d'argent pour acheter une valise et des trucs comme ça. Du coup, il y a quelqu'un qui m'a dit, je vais te prêter une valise. Et il y avait de la drogue dedans, de la cocaïne dedans".

Une ancienne mule

"Dès que tu es en prison, tu es dans la merde. Parce que, imaginez, il n'y a personne qui va t'aider pour payer ton loyer. Déjà un, quand tu vas sortir, tu vas recommencer à zéro. Imagine, quand tu as donné deux ans de prison, que tu as un logement et que tu ne veux pas le perdre. Il y a les dettes qui vont venir et c'est comme ça, qu'il y a des gens qui peuvent dire 'bah moi, je vais recommencer'. Et moi, ce n'est pas le cas en fait'.

Diminuer le risque de récidive

Comment éviter la récidive ou la vengeance ? C'est l'une des missions des agents pénitentiaires d'insertion et de probation, le SPIP.

"C'est vrai qu'à ce niveau-là, forcément, nous, on va essayer de travailler avec la personne, notamment, sur la gestion de ses émotions, raconte Corentin Pennec, agent du SPIP de la Sarthe. Après, on n'est pas psychologue pour autant, donc, on va aussi les orienter si on sent vraiment qu'il y a une rancœur, une amertume".

"On fait en sorte que ça se passe pour le mieux, afin que d'ici à la fin du délai de suivi, la personne puisse avoir une situation suffisamment stable et se soit engagée auprès de la justice à respecter ses obligations pour considérer que, effectivement, le risque de récidive est grandement diminué".

Le chômage, première insécurité

La récidive en Guyane est, elle, beaucoup plus fréquente. Lors de leur détention en métropole, les détenus peuvent demander de purger la fin de leur peine à Cayenne ou à Saint-Laurent-du Maroni.

"Elles sont condamnées à deux ou trois ans de prison, donc la peine est légère pour elle, explique Hervé Latidine, président de l'association Le Germe, donc deux trois ans après, elles recommencent".

"La première insécurité, c'est le chômage. Elles nous ont dit 'vous êtes la seule association à vous intéresser à nous. On est toutes inscrites à Pôle emploi'... quand elles ont le papier.

Hervé Latidine est président de l'association "Le Germe" en Guyane. Il travaille avec des femmes, anciennement mules, et tente de les réinsérer socialement. Comme Raisa, qui a passé 10 mois de sa vie derrière les barreaux.

"J'ai entendu qu'ils voulaient construire une prison. C'est mieux de construire des centres de formation, des universités. On n'en a pas d'universités à Saint-Laurent. On est obligés d'aller à Cayenne. C'est tout ça qu'il faut développer, en fait, au lieu de créer encore plus de chômage et de mules".

En avril 2024, l'association inaugurera son premier centre de formation agroalimentaire, à Mana, à l'ouest de la Guyane, pour ces femmes trop souvent oubliées et abandonnées.

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C'est un fléau qui se développe dans notre région et plus particulièrement en Sarthe : le trafic de cocaïne venu directement de Guyane via des passeurs, qui n'hésitent pas à avaler des boulettes de poudre blanche. Des femmes et des hommes de plus en plus jeunes qui font la mule pour le compte des trafiquants. ©France Télévisions

Le reportage de Maïna Sicard-Cras, Amélie Lepage, Charles Lemercier, Charles Proult, Bertrand Cogny, Eva Clouet et Nathalie Saliou

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