Sur l'Ile d'Yeu, il est devenu extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de s'installer à l'année, tant les prix des locations ou du foncier sont élevés. Le risque : que l'île se dépeuple de ceux qui la font vivre au quotidien.
Ce soir-là, des Islais de tous âges, natifs ou non, sont venus relayer le cri d'alerte lancé par le collectif Les Enfants de Tempête.
''Ça regarde tout le monde, la politique de logement et ça regarde aussi les gens qui sont venus un jour se promener à l'île d'Yeu et qui ont trouvé ça extraordinaire, explique Clément Bertrand, de l'association Enfant de Tempête, l'île est extraordinaire en elle-même mais l'île est extraordinaire parce qu'elle est peuplée. Le jour où elle ne sera plus peuplée, elle perdra beaucoup de cette particularité qui est magnifique".
Il y a des gamins derrière, on n'a pas envie que, dans 20 ans, on leur dise, vous ne pouvez plus habiter là, parce qu'on en est là !
Clément Bertrand
"Je suis arrivé sur l'île il y a bientôt trois ans pour travailler, raconte Antoine Brault, cuisinier au restaurant le Navigateur, très vite j'ai été confronté au problème du logement. Du coup, ça fait à peu près une dizaine de fois que je déménage : j'ai été chez la maman de mon patron, je ne voulais pas la déranger très longtemps"
J'ai été dans un cabanon au fond d'un jardin avec un matelas sur palettes
Antoine Brault, cuisiner sur l'ile d'Yeu
"J'ai dormi aussi ici, sur mon lieu de travail, plusieurs fois, ça m'a bien dépanné, avec un matelas gonflable, admet Antoine, actuellement je suis logé dans un petit studio de 18m². Je paie hors charges 500 euros. Voilà, c'est le tarif ici".
"Comment peut-on avoir des ouvriers si on ne peut pas les loger, s'interroge Hugues Augereau, patron du restaurant le Navigateur. Moi je veux bien mais à un moment ça va tiquer, ou alors il faut faire des bateaux qui partent le matin et qui reviennent le soir !"
La solution ne peut donc être que locale. Venir travailler sur l'île, en saison ou à l'année, demande de la détermination et de la chance.
"C'est ici que l'hôpital loge ses saisonniers. J'y ai logé pendant les neuf premiers mois de mon contrat, même plus, explique Marie, infirmière en CDI à l'hôpital de l'île d'Yeu, en montrant une petite maison. Comme c'était un poste vacant, il fallait que je trouve un logement, et ça a mis au moins six mois pour que je trouve. De toutes façons, mon contrat s'arrêtait en octobre, si je ne trouvais pas de logement, je ne pouvais pas signer mon CDI et donc l'hôpital devait retrouver quelqu'un d'autre, reloger quelqu'un d'autre dans le logement et moi je devais partir".
Finalement, Marie a trouvé un logement à l'année, à un prix raisonnable, par le biais d'un couple d'Islais enclins à favoriser l'ancrage sur l'île de ceux qui la font vivre.
Depuis des décennies, le succès touristique de l'île d'Yeu a généré une activité de location saisonnière lucrative, qui permet aux islais d'amortir leur investissement, voire de compléter leurs revenus, pénalisés par le coût de la vie insulaire.
Même phénomène pour l'achat d'une maison secondaire, avec des terrains bien vendus, certes, mais au bout du compte, hors saison, une île aux volets clos dans 60% des cas.
"Un couple qui travaille n'a plus les moyens aujourd'hui de pouvoir accéder directement à la propriété en achetant du bâti, explique maître Marc Rieu, notaire à l'île d'Yeu. Les jeunes de l'île se retournent aujourd'hui plus vers les terrains à bâtir et font après de l'auto-construction avec les amis, s'entraident entre eux. Mais c'est également de plus en plus difficile du fait de la hausse des prix également sur le terrain à bâtir et de la tension foncière".
Le bail réel solidaire, une option pour les communes
Face à un tel marché immobilier, la municipalité exerce régulièrement son droit de préemption afin de favoriser l'accès à la propriété pour les actifs de l'île.
Le Covid a rajouté de l'huile sur le feu et on observe à ce jour 20 à 25% de flambée des prix, le coût des matériaux et leur acheminement n'expliquant qu'une partie des choses. Pour tenter de contrer la tendance, l'idée du Bail Réel Solidaire fait son chemin.
''La collectivité va rester propriétaire du terrain, qui sera loué, et les gens seront propriétaires de la maison. Cela permet de garder la maitrise foncière à très long terme, de garantir qu'on soit toujours dans du logement à l'année et cela enlève une partie du coût d'acquisition", explique Bruno Noury, maire et conseiller départemental de l'île d'Yeu.
Une bonne idée, ce bail réel solidaire, sans doute, mais la municipalité aurait besoin d'autres leviers. Le classement en Zone Tendue, par exemple, la reconnaissance de l'exception insulaire. Sinon, les jeunes comme Charlotte auront du mal à rêver d'avenir, malgré un CDI.
"Là, c'est un terrain de 264 m2 à 128 000 euros, détaille Charlotte Bonnin devant les offres d'une agence immobilière. Il ne me resterait que 60 000 euros pour la maison, donc c'est impossible", explique la jeune salariée dans la restauration.
Je suis pleine de rêves et d'ambition, j'y crois, mais plus le temps passe et plus l'espoir diminue. 2 000 m2 à 600 000 euros, ou des maisons à 300 000 euros... La banque m'autorise 180 000 pour mon projet donc tout me passe sous le nez!
Charlotte, 23 ans, en CDI
Tout n'est pas négatif cependant. Des initiatives voient le jour comme au port de plaisance où les besoins ponctuels ou saisonniers ont trouvé réponse.
''Avant, c'était notre hangar technique. Cet espace ne servait à rien, on l'a isolé, réaménagé pour offrir des solutions d'hébergement à nos jeunes'', explique Christophe Guena, directeur du port de plaisance de l'île d'Yeu. Ce logement permet aussi d'héberger si besoin les salariés des entreprises extérieures travaillant sur le port.
L'explosion récente du marché a précipité l'île d'Yeu dans une urgence inédite de logement.
Le collectif les Enfants de Tempête a alerté et pris le sujet à bras le corps, tandis que la mairie et le Département utilisent les anciens et les nouveaux outils. Mais la prise de conscience de tous est nécessaire, du parlementaire au propriétaire, pour que l'île d'Yeu reste ce joli caillou avec des islais dessus, toute l'année.