Son spectacle "Ma langue maternelle va mourir et j'ai du mal à vous parler d'amour" est nommé aux Molières. C'est d'autant plus une surprise que cette nomination consacre pour la première fois une langue minoritaire, le patois. Rencontre avec le Vendéen Yannick Jaulin.
Sur son site, on apprend avec une certaine frustration qu'il faudra attendre l'automne pour pouvoir le voir sur scène. La tournée commence le 16 octobre, au Théâtre des Ursulines à Château-Gontier, en Mayenne.
Mais, dans la rubrique "actualités", il y a une nouvelle toute aussi importante : "le spectacle Ma langue maternelle va mourir et j'ai du mal à vous parler d'amour, écrit Yannick Jaulin, est nominé dans la catégorie seul en scène aux Molières 2020 ... qui n'auront même pas lieu. C'est tout moi ça !".
Yannick Jaulin, on le savait, pratique avec un grand art l'autodérision, et là, il y avait de quoi s'autodérider. Nommé pour une récompense dont la cérémonie officielle n'aura pas lieu. Enfin si, mais en mode post confinement.
La soirée des Molières 2020 du 23 juin, effectivement, n'aura pas lieu en public mais sera enregistrée au Théâtre du Châtelet.
Yannick Jaulin, conteur en patois vendéen
Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Yannick Jaulin est né à Aubigny, devenu depuis 2016 commune déléguée de Aubigny-les-Clouzeaux, à exactement 10,8 kms au sud de La Roche-sur-Yon, sur la D747 et, le plus important, en Vendée.
Parce que s'il n'y avait pas la Vendée, il n'y aurait pas Yannick Jaulin. Encore que, avec son talent, il aurait pu tout aussi bien nous défendre le patois du Bouchonnois, s'il avait existé. Mais bon, c'est en Vendée qu'il est né et c'est le patois vendéen qui nourrit ses spectacles avec tout ce qui l'accompagne. Et ça fait rire. Même si, le comédien l'avoue, sa carrière est née sur un malentendu.
"Il y avait une foule qui hurlait de rire, raconte Jannick Jaulin en évoquant sa première prestation au pied de l'église d'Aubigny pour une chanson grivoise. Je me disais, c'est extraordinaire de faire rire les gens comme ça. Et en me retournant vers mes camarades, ils m'ont fait comprendre que ma braguette était ouverte et j'avais un slip rouge en dessous. C'est le slip qui avait fait l'ouvrage pour le rire et moi je n'y étais pour rien."
Talentueux et modeste le garçon. Je vous parie ce que vous voulez que vous mettez un slip rouge et une braguette ouverte à mon chef, ça ne fera rire personne. Donc, si ! Yannick est hilarant.
Mais c'est vrai que le patois vendéen est indissociable des spectacles de ce conteur. Et il le défend corps et âme. Encore dans son dernier spectacle "Ma langue maternelle va mourir et j'ai du mal à vous parler d'amour."
"Ça faisait des années que j'étais obligé tout le temps de me justifier, explique Yannick, pourquoi je continuais à parler ma langue. On me disait, faudra bien passer à autre chose. Mais non, je le dis dans le spectacle : dans la langue maternelle, les mots sont comme des flotteurs sur l'océan et sont reliés par un mince fil à nos émotions les plus profondes".
La langue maternelle c'est ce qui permet à un homme d'être vertical, droit. C'est un outil d'émancipation par excellence et peut-être un outil de résistance à la standardisation et au soi-disant bon goût
Voilà, c'est dit, Yannick Jaulin est un résistant.
Et il a son réseau. Comme cette commerçante des Sables d'Olonne, Josette Hervé, propriétaire d'un tabac-presse, qui parle elle aussi le patois vendéen. Faut les voir tous les deux échanger dans leur langue entre le rayon des mots fléchés et celui des derniers romans de plage.
"J'ai quelques clients, dit Josette, qui sont pas forcément des Sables et qui viennent et qui parlent..." Elle allait dire, vendéen, mais Yannick la coupe "Te force par à parler Français", lui dit-il, en bon commandant de réseau de résistance. Et de la questionner quand même pour lui demander comment elle fait pour pratiquer sa langue au milieu des ces "bien peignés " de touristes parisiens ?
Alors, la conversation continue, moitié en Français, moitié en patois et on voit bien que Josette a du mal à poursuivre en patois. Les vieux réflexes sont là : on ne parle pas patois en public, c'est interdit.
"On a tellement eu honte de le parler, témoigne Yannick, on nous a tellement dit qu'on était de mauvais Français."
Et Josette ne cache pas son admiration pour Yannick Jaulin dont elle dit qu'il parle un patois bien dit, alors qu'elle parle plutôt un mauvais Français. Subtilités linguistiques que tout cela...
"C'est une satisfaction d'être le porte-parole de ces oubliés-là"
"J'ai passé dix ans de ma vie raconte Yannick, à aller collecter des anciens. Ça a été une école vie. J'ai commencé comme porte-parole de ces gens à qui on avait dénié la possibilité de parler."
Alors, cette nomination aux Molières, c'est un haut fait d'arme.
"Ça fait extrêmement plaisir, se réjouit le conteur vendéen. Pour la première fois en France on a nominé un spectacle qui parle des langues minoritaires, d'une sous section de la culture. C'est une satisfaction d'être le porte-parole de ces oubliés-là."
Un Molière, ce serait une belle médaille pour ce résistant, non ?
Réponse mardi 23 juin à 21h05 sur France 2.
► Le reportage de notre rédaction
Les nominés en catégorie seul en scène Molières 2020
- L’Effort d’être spectateur, avec Pierre Notte, de Pierre Notte, mise en scène Pierre Notte, Cie Les gens qui tombent.- Féministe pour homme, avec Noémie de Lattre, mise en scène plurielle, Théâtre La Pépinière.
- Ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour, avec Yannick Jaulin, de Yannick Jaulin, Le Beau monde ? Cie Yannick Jaulin.
- Monsieur X, avec Pierre Richard, de Mathilda May, mise en scène Mathilda May, Théâtre de l’Atelier.