13 ans après le tragique bilan de février 2010, les leçons de la tempête Xynthia ont-elles été tirées sur le littoral français ? Dans une passionnante enquête, la réalisatrice Camille Robert apporte des réponses qui ont de quoi inquiéter face aux nouveaux risques de submersion et d’érosion. Le niveau de la mer monte, et nous regardons ailleurs.
Xynthia, le nom d'un drame
C’est un prénom dont tous les Français se souviennent. Xynthia a fait irruption dans les mémoires de façon aussi soudaine que l’eau qui s’est engouffrée dans les terres de Vendée et de Charente – Maritime dans la nuit du 27 au 28 février 2010, piégeant 47 personnes noyées dans leur propre maison.
La Faute-sur-Mer en Vendée avec 29 victimes paiera le plus lourd tribut de cette catastrophe. Xynthia est la conséquence d’un évènement climatique exceptionnel. Mais également, d’un urbanisme qui avait depuis longtemps tourné le dos à l’histoire et à la topographie pour permettre à des vies de labeur et d’économies de trouver une récompense par une vue imprenable sur la mer.
L'histoire se répète
Historien du climat, Emmanuel Garnier fait partie des experts missionnés par l’État après la catastrophe, il a épluché registres paroissiaux et documents maritimes conservés aux archives départementales de Charente-Maritime. Xynthia était-elle sans précédent ? La réponse est non. Des documents des siècles passés en attestent. C’est la mémoire qui s’est perdue.
"Si des tempêtes similaires conjuguées à de fortes marées n’ont pas fait de victimes dans les siècles précédents, c’est qu’à l’époque, l’homme évitait de vivre de façon permanente sur les rivages" rappelle-t-il.
Destruction des maisons inondables et rénovation des digues
Dès 2011, 700 maisons de La Faute-sur-Mer situées en zone inondable, notamment dans la "cuvette de la mort" sont détruites. Elles seront 56 à Port-des-Barques en Charente-Maritime. À Charron, dans ce même département, 40 ha sont libérés de toute construction.
Ces premières mesures prises par l’État seront suivies d’un vaste état des lieux des digues. Celle de La Faute-sur-Mer était vétuste. Un vaste plan de rénovation de près de 1200 km de digues partout en France est lancé.
Camille Robert nous emmène sur l’île de Ré, elle aussi durement touchée par Xynthia, deux personnes y ont péri. Président de la communauté de communes de l’île, Lionel Quillet n’a pas oublié lui non plus la nuit du 27 février, il a eu un mètre d’eau chez lui et a failli perdre son fils.
La digue a été mise à bas par la tempête, Xynthia nous a rappelé qu’une digue, c'est bien, mais l’entretenir c’est mieux.
Lionel QuilletPrésident de la communauté de communes de l’Île de Ré
Une brigade d’entretien a été créée pour lutter contre les effets de l’érosion. Mais surtout, l’ensemble des digues et des enrochements sont en cours de rénovation et d’élévation à un niveau "Xynthia + 20" soit bien au-dessus du niveau de la mer, à horizon 2050. Coût de l’opération : 100 millions d’euros.
Les budgets que les collectivités littorales et l’État seront capables de mobiliser, apparaissent aux yeux des populations et des élus comme la meilleure défense face aux dangers de submersion.
Les dangers du réchauffement climatique
Un danger accentué aujourd’hui par la perspective de montée des eaux dans un contexte de dérèglement climatique, ou encore l’érosion. Mais quelle sera la pérennité de ces dépenses, parfois pharaoniques sur nos littoraux ?
Et au fond, ne marquent-elles pas le refus de voir la réalité en face ? L’homme s’est installé trop près du rivage. Mais, quand la vente d’une maison se négocie à 8 000 € le m2 comme sur l’île de Ré, ce nouveau Mur de l’Atlantique se révèle rassurant. Quand bien même son efficacité sur le long terme pourrait le faire ressembler à la ligne Maginot.
Lionel Quillet en convient : "la digue, elle est obligatoire pour protéger les personnes, il faut gagner du temps pour trouver des solutions et les collectivités se sont mobilisées, c’est le premier temps. Mais je ne vois pas arriver le deuxième temps qui serait un choix de l’État qui lancerait une vaste réflexion sur le littoral pour y vivre autrement". Un "autrement" qu’il faut traduire par "déménagement".
Une érosion qui met en danger les habitations
Les signaux d’avertissement laissés par Xynthia sont nombreux et tragiques, les images saisissantes de l’érosion littorale ne manquent pas de la résidence Signal de Soulac-sur-Mer aujourd’hui détruite aux falaises de Normandie. Mais la prise de conscience, tant collective qu’individuelle, ne progresse guère.
À Lacanau-Océan, en Gironde, tout le monde a encore en mémoire les tempêtes qui se sont déchaînées durant trois mois en 2014. Elles ont mis à mal les dunes fragiles, emportées l’ouvrage d’enrochement du front de mer, révélant sa fragilité.
La municipalité a pris des mesures : aucune nouvelle construction n’est autorisée à moins d’être réversible. "On permet des installations qui de par contrat et par permis de construire doivent partir si besoin" indique le maire de Lacanau, Laurent Peyrondet. Il annonce une deuxième phase qui verra la relocalisation de plusieurs bâtiments publics ainsi que le parking du front de mer. "On va s’adapter à la situation en préservant notre attractivité avec une nouvelle promenade du front de mer re-naturalisée". Une solution qui ménage tout à la fois les intérêts de l’industrie du tourisme et une opinion encore peu sensible aux enjeux d’environnement et de sécurité.
S'éloigner de la plage : sensibilisation et acceptation
Pour nous en convaincre, la caméra de Camille Robert revient en Vendée pour suivre le psychologue Oscar Navarro. Il mène une enquête en porte-à-porte auprès des habitants du bassin du Lay, pour connaître leur degré d’acceptation d’un scénario qui viserait à faire reculer les logements et commerces à l’intérieur des terres. "Aujourd’hui, faut-il continuer à mettre de l’argent public pour la protection de propriétés privées, est-ce que ça va dans le sens de l’intérêt commun ?" s’interroge Jannick Rabillé, Président du Syndicat Mixte du bassin du Lay.
Comment faire admettre que demain, il y a des propriétés qu’on ne va plus protéger ? C’est pour ça qu’on a voulu sensibiliser tout doucement à cette perspective.
Jannick RabilléPrésident du Syndicat Mixte du bassin du Lay
Mais, comme le constate Oscar Navarro au gré de ses entretiens filmés par Camille Robert, le bord de mer, synonyme de vacances estivales et d’art de vivre, étant positivement survalorisé, sa perception d’environnement menacé, voire menaçant est faible.
Faut-il donc se résoudre à d’autres drames dans les années à venir, avec leur lot de "plus jamais ça" dont on mesurera vite les limites ?
Pour Éric Chaumillon, géologue marin, l’effet du réchauffement climatique sur l’élévation du niveau de la mer va accentuer les phénomènes d’érosion, rendant les conséquences des tempêtes de plus en plus importantes. Quant au niveau de submersion atteint par Xynthia, il risque bel et bien d’être régulièrement égalé, voire dépassé lors des tempêtes des années à venir.
La nature doit reprendre ses droits
La sagesse est pourtant à portée, sans grands efforts d’imagination, mais plutôt pétrie de bon sens, comme en témoigne une séquence du documentaire tournée dans les prés salés au nord de La Rochelle.
Une barrière naturelle efficace contre les effets dévastateurs des tempêtes, comme l’explique Éric Chaumillon. "Ces vastes surfaces quand elles sont inondées sont des zones d’expansion de crues qui limitent les conséquences extrêmes. Par ailleurs, la végétation dense et touffue atténue les vagues". Comme souvent, la nature, si on la laisse faire, apporte les solutions aux problèmes que l’homme a provoqués. Qui plus est, ces espaces laissés vierges entre le rivage et l’occupation humaine sont des capteurs de CO2 hors pair : un hectare de prés salés capture neuf tonnes de carbone par an, soit l’empreinte moyenne d’un Français.
Laisser la nature réguler ses propres excès : l’idée saura-t-elle faire son chemin, et aider l’homme à retrouver sa juste place ? Proche de la mer qu’il chérit oui, mais un peu plus loin du bord...
►"Tempête Xynthia, l'avertissement" un documentaire de Camille Robert (52'). Une coproduction France 3 Pays de la Loire - France 3 Nouvelle Aquitaine et Les Nouveaux Jours Productions
► Diffusion jeudi 25 mai à 22h45 sur France 3 Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie dans le cadre de la collection documentaire "Catastrophes, qu'avons-nous appris ?" proposée par le réseau régional de France 3. Le documentaire sera suivi d'un Debadoc enregistré à l'Aiguillon-sur-Mer.
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