L'avocate générale avait demandé 10 à 12 années dans un réquisitoire implacable faisant état de «la souffrance de tant d'enfances brisées», «de tant de personnalités effractées».
Une peine de 10 à 12 ans de réclusion criminelle a été requise à l'encontre de Régis de Camaret jugé devant les assises du Rhône pour le viol de deux anciennes pensionnaires mineures de son centre d'entraînement de tennis, il y a plus de 20 ans.
"Que de souffrances exprimées à la barre des témoins, d'enfances, d'adolescences brisées, de rêves détruits, de femmes en détresse après tant d'années", a lancé à l'adresse de l'accusé, impassible, l'avocate générale Jacqueline Dufournet.
Au terme d'un requisitoire d'une heure quinze, elle a également demandé contre lui 10 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, assortis d'une "interdiction définitive d'exercer une activité professionnelle en lien avec le tennis".
Elle a aussi rappelé que, l'accusé ayant 70 ans, la loi pénitentiaire de mars 2012 lui permettra de bénéficier très vite d'une demande de liberté conditionnelle.
"Il faut parfois toute une vie pour dénoncer ces faits, car on se sent salie, souillée" et les victimes "ont enfoui ça au fond d'elles-mêmes, elles sont incapables de parler car elles ont trop honte et elles étaient sous une forme d'emprise", a souligné la magistrate pour expliquer pourquoi ces accusations ont été révélées près de 20 ans après les faits.
D'où la prescription pour la plupart d'entre elles, et notamment pour la plainte en 2005 de l'ex-numéro deux du tennis français Isabelle Demongeot, à l'origine de l'affaire.
Elle affirmait avoir été violée pendant neuf ans, de 1980 à 1989, par son ancien mentor au tennis-club des Marres de Saint-Tropez (Var).
Seules deux jeunes femmes, Stéphanie Carrouget et Karine Pomares, 36 ans chacune, sont parties civiles dans ce procès durant lequel l'accusé, imperturbable, a simplement reconnu des "attouchements" avec la première, "amoureuse" de lui, et une "relation consentante" avec Isabelle Demongeot.
La thèse du complot :
L'avocate générale a souligné l'arrêt "fort étonnant" de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui, en 2009, avait prononcé un non-lieu en faveur de Régis de Camaret, arguant notamment de l'insuffisance de charges contre lui. Mais la Cour de cassation l'avait invalidé, d'où ce renvoi devant les assises.
"Vous allez dire qui ment, avec votre intime conviction!" a lancé à la cour Mme Dufournet, alors que l'accusé, "qui ne ressent aucune compassion", a persisté dans le "déni", jetant à ses victimes un "regard glacial".
"Il n'était pas violent avec les enfants, mais il avait une telle emprise" sur elles, a-t-elle dit.
Durant les sept jours du procès, 26 de ses anciennes élèves, retrouvées par les enquêteurs, sont venues à la barre pour exprimer leur "détresse" des années après et raconter les viols dont elles ont été victimes.
L'avocate générale a aussi demandé à la cour de "rejeter la thèse du complot" qu'aurait ourdi Isabelle Demongeot, détrônée par sa rivale Nathalie Tauziat.
Et de rappeler que la première plainte pour viol avait été déposée dès 2002 devant le parquet de Draguignan par l'une des victimes prescrites. "Ces filles ne sont pas de la même génération, elles ne se connnaissaient pas et les faits se déroulent sur plus de dix ans", a-t-elle souligné.
"C'est la parole des plaignantes contre celle de l'accusé", a plaidé Me Catherine Gambette, l'un des conseils de Régis de Camaret, demandant son "acquittement au bénéfice du doute".
Elle a dénoncé la volonté du ministère public d'avoir fait citer 26 victimes prescrites pour faire un "procès hors norme, pour l'exemple".
"Il faut dépasser ce sentiment de céder devant l'émotion, je ne nie pas la souffrance mais ce n'est pas elle qui doit guider votre décision", a-t-elle dit, demandant à la cour d'avoir un "regard critique sur la parole des plaignantes".
Résumé des débats du Jeudi 22/11/2012 :
La défense des victimes au procès de Régis de Camaret a dénoncé l'insensibilité" et les "dénégations" de l'ex-entraîneur de tennis face à la "souffrance" des victimes.
"Il a bénéficié de la plus extraordinaire circonstance atténuante : la prescription
et il ne sera jugé" que pour deux victimes, a déploré Me Baudoin Dubelloy, l'avocat de Karine Pomares, l'une des deux seules parties civiles avec Stéphanie Carrouget.
En effet, les viols dénoncés par les 26 autres jeunes femmes, qui se sont succédé à la barre des témoins, sont prescrits. Et notamment la plainte en 2005 de l'ancienne N°2 du tennis français Isabelle Demongeot, grâce à qui l'affaire avait été révélée.
L'accusé "admet des agressions sexuelles a minima, car il sait que c'est prescrit", s'est insurgé l'avocat, alors que Camaret, âgé de 70 ans, nie "tout geste déplacé" avec Karine Pomares, et reconnait seulement des "attouchements" avec Stéphanie Carrouget.
"Il fallait ce procès, car il y a eu trop de silence", a poursuivi Me Dubelloy soulignant que si sa cliente avait eu le "courage" de renoncer au huis-clos c'était pour "offrir aux autres victimes la possibilité de voir Camaret leur demander pardon".
Pour son confrère Me Jean-Claude Guidicelli, "elles attendaient ce procès avec
impatience" car pour elles la prescription "c'est un peu la double peine". "Elles
ne voulaient pas de vengeance mais être reconnues comme victimes et vous avez déshumanisé ce procès", a-t-il lancé à l'accusé, qualifié de "narcissique, égocentrique, manipulateur", mais aussi d'"infirme du cour".
Il a évoqué "l'humiliation judiciaire" de ces femmes contraintes de "déballer leur vie sexuelle" devant la cour et face à un "homme insensible à leur douleur".
Mais "le plus difficile pour elles est d'avoir été traitées de comédiennes", a-t-il
dit.
Ces fillettes venues au tennis-club des Marres à Saint-Tropez (Var) "persuadées qu'elles allaient faire une grande carrière" se sont retrouvées "sous l'emprise" de cet homme devenu le "maître de leur vie" a-t-il résumé.
Pour Me Guidicelli, "on peut difficilement parler d'un complot ourdi par Isabelle Demongeot" dans un contexte de rivalité avec l'ex-N°1 du tennis Nathalie Tauziat, car toutes ces victimes "ne se connaissaient pas, elles n'ont pas le même âge et sont disséminées géographiquement".
"Violer une personne, c'est la tuer en la laissant vivante", a plaidé pour sa part Me Isabelle Colombani, conseil de Mme Carrouget, pour qui "quelle que soit la peine infligée à Régis de Camaret, les victimes ont déjà effectué la leur".