Majastres, dans les Alpes-de-Haute-Provence, quatre habitants, sept conseillers municipaux, 19 électeurs, et un maire, "Jeannot": "Dans un village comme ça, être maire, c'est être le papa de tout le monde", sourit l'élu, candidat à un second mandat.
Troisième plus petite commune de France, Majastres survit au bout de 17 km de lacets au-dessus de Digne-les-Bains. Le boulanger ne monte plus son pain à bicyclette depuis des années et le seul passage quotidien reste celui du facteur.
Artisan maçon à Digne, fraîchement retraité, Jean Sevenier, 61 ans, termine son premier mandat dans la minuscule mairie adossée à l'église. Accroché au mur, face à la photo du président de la République, un tableau noir usé: ici, avant, c'était l'école.
Mais le dernier élève est parti il y a près de 40 ans. Les deux bars ont fermé leurs portes, comme les deux moulins à farine. Et le village s'est vidé, inexorablement, loin des 276 habitants d'avant la Révolution. La lavande sauvage et les ovins ne font plus vivre les Malejactois depuis longtemps.
La troisième plus petite commune de France
Revenu dans son village en 1972, comme cantonnier, et désormais retraité, Raoul Chauvin, un des conseillers municipaux, est l'un des quatre derniers habitants permanents du village, avec Eric et José Cruvellier, deux cousins "montés" d'Aix-en-Provence dans la maison de leur grand-mère, et Marie, l'épouse d'Eric.Jean Sevenier, lui, a découvert Majastres il y a 35 ans, à l'occasion d'un chantier sur le pont du village. A force de monter les week-ends pour chasser le sanglier, le chevreuil ou la grive, il y a acheté une maison, l'a retapée, et s'est retrouvé élu.
"Quand je suis arrivé à Majastres, il y avait encore 10 habitants, mais ils étaient tous fâchés", se souvient le "papa" de la commune. "Ici, il n'y en a qu'une de rue, alors il faut que les gens se parlent. Je suis émerveillé d'être arrivé à faire ça".
"Il a créé une fratrie, une famille", confirme Eric, berger l'été, bricoleur le reste du temps.
"Pas comme un dictateur!"
Et dans dix jours, la "famille" élargie va voter, pour le premier tour des municipales: 19 électeurs en tout sont inscrits, pour la plupart les habitants des résidences secondaires, venus de Digne, d'Aix ou de Marseille. Et une seule liste, avec neuf noms: parmi eux, "Jeannot" bien sûr, mais aussi Raoul et Eric."Neuf candidats, c'est beau, avec notamment deux jeunes qui ont envie de faire avancer les choses, moi ça me ravigote", insiste Jean Sevenier: "Le village en choisira sept. C'est la liberté. Je n'ai pas voulu présenter une liste avec sept noms seulement, comme un dictateur!"
S'il est à nouveau candidat, ce n'est pas pour les 658 euros d'indemnité mensuelle, dont il a d'ailleurs abandonné 200 euros pour les heures supplémentaires de la secrétaire de mairie. C'est pour le village: "Il était à l'abandon. Le premier chantier, ça a été de tout débroussailler, d'évacuer les carcasses de voitures abandonnées".
Puis ce fut le temps des grands travaux: enterrer les câbles électriques qui obstruaient le paysage; mettre en sécurité le puits; et surtout créer une station d'épuration et raccorder tous les foyers au tout-à-l'égoût.
19 électeurs, une liste
Problème: les ressources du village sont minuscules. Quelques centaines d'euros versés par deux bergers qui viennent sur le territoire de la commune avec leurs brebis l'été; 90 euros de loyer mensuel pour un gîte appartenant à la municipalité. Le reste vient de la dotation globale de fonctionnement versée par l'Etat, environ 19.000 euros, et de quelques aides.D'où la nécessité d'aller chercher les subventions: "C'est ça le plus difficile. Les dossiers qui n'en finissent pas, la paperasse qui s'accumule! Moi je pensais qu'être maire, c'était comme gérer mon entreprise. Les soucis, je les ai vus après!". Mais s'il est reconduit comme maire, "Jeannot" a encore des projets: refaire la petite place du village et créer un monument pour les 13 citoyens de Majastres tombés lors de la Grande Guerre, alors que le hameau comptait encore 90 habitants.
"Majastres , c'est une belle histoire, mais elle failli mourir cette histoire", conclut-il.