Le réalisateur cannois, Jérôme Bermyn, a été particulièrement touché par sa rencontre avec Alain Delon. Il est le dernier à avoir travaillé avec l’acteur, en octobre 2020. Alors qu'Alain Delon est inhumé ce samedi, le réalisateur revient sur sa collaboration avec le monstre sacré du cinéma.
L'acteur français Alain Delon est décédé, dimanche 18 août, à l'âge de 88 ans. Il sera inhumé dans sa résidence à Douchy (Loiret), ce samedi 24 août. Pour l'occasion, Jérôme Bermyn, dernier réalisateur avec qui l'acteur a travaillé, a répondu à nos questions concernant sa rencontre avec Alain Delon.
Pourquoi avoir choisi Alain Delon ?
Jérôme Bermyn : "En septembre 2020, on a cette envie, avec Raphaëlle Baillot, de faire un documentaire sur l'artiste, l'écrivain, le comédien De Gaulle, qui se servait des arts pour asseoir son pouvoir et porter la grandeur de la France. Il s'agissait de lire, de porter par la voix les fameux textes des mémoires du Général De Gaulle. Et là, j'ai réfléchi et je me suis dit : Delon, évidemment !"
"Au début, on se dit que c'est un peu un rêve et, en même temps, on connaît son attachement très fort au Général. Il l'a souvent confié. Il est très attaché à la figure du père de la nation, à ce côté autoritaire, à ce rapport à l'armée. Delon a fait la guerre, on ne le sait pas forcément, mais il a participé à la guerre d'Indochine, il y est allé en tant que jeune combattant quand il avait 17 ans. Pour toutes ces raisons-là, il est fasciné par de Gaulle, mais comme à peu près toute la France à l'époque."
"C'est fort de cette conviction que je décide de contacter l'équipe d'Alain Delon et lui-même, en lui proposant cette idée d'être la voix du Général De Gaulle dans ce documentaire. Très vite, il accepte. Il y a très peu d'hésitation, c'est oui tout de suite."
Comment avez-vous réussi à le convaincre ?
"Il y a peut-être une botte secrète pour le convaincre... J'avais entendu parler d'une lettre écrite de sa main au Général de Gaulle, le soir de la démission du Général, en avril 1969. Une déclaration d'amour qui était restée inédite jusque-là et qu'on est allé chercher aux Archives nationales. Quand j'ai contacté Alain Delon, je lui ai fait part de cette lettre et, évidemment, ça a un peu pesé dans la balance. Quand il nous l'a lu, je ne vous raconte pas les poils !"
Vous n'aviez eu aucun doute ?
"Quand il accepte, c'est quand même une surprise parce qu'on est en 2020, c'est encore la période du Covid et on est surtout un an, à peu près, après son AVC. Il n'a pas fait d'apparition publique depuis, donc personne ne l'a vu à part sa famille. Certes, j'ai un petit lien de confiance avec lui, mais il y a quand même cet enjeu de santé. Je me demande s'il va être capable d'avoir une voix, donc tout l'enjeu est là."
"Il accepte, donc on se dit qu'il est OK, que ça va le faire. Ça commence par cette acceptation et le rendez-vous est très vite fixé, on doit le retrouver dans sa résidence à Douchy."
Comment s'est passée cette rencontre ?
"C'était incroyable parce qu'on a rendez-vous avec Alain Delon chez lui, là où peu de monde n'a la chance de pouvoir pénétrer. On rentre dans cette immense propriété, il y a des paons, des cerfs, un immense jardin, un lac artificiel. Et là, il y a une image dont je me souviendrai toute ma vie : c'est ce monsieur, une stature, presque une statue, posé sur un banc, avec son grand chien blanc. C'est Alain Delon qui m'attend."
"Quand la voiture se gare, il se dresse et nous souhaite la bienvenue. Ensuite, on s'installe à l'intérieur, dans sa cuisine. On a très peu de matériel, on a juste un très bon micro de prise de son. Et très vite, il regarde les textes qu'on a choisis ensemble, je lui avais fait parvenir un peu au préalable, histoire qu'on soit bien d'accord. On s'installe face à face, avec juste le micro entre nous et ces textes, il y en a une dizaine, de mémoire."
"Il commence à les lire, il teste un peu sa voix, c'est un peu difficile au début, il se chauffe, il rouspète, mais il commence à entrer dans la peau du Général et là, il y a eu un moment très fort. Il commence à se sentir à l'aise avec les textes, qu'il connaissait déjà et il se retourne vers moi et me demande si ça va. Je réalise qu'il m'a fait un beau cadeau en acceptant de prêter sa voix mais, en plus, il m'autorise à le diriger. 'Diriger' Alain Delon, ça n'arrive pas à tout le monde !"
Avez-vous été satisfait de son travail ?
"Je vais être très honnête, il y avait des prises qui me semblaient exagérées mais une fois collées sur les images, ça fonctionnait très bien. C'est là que la puissance de l'acteur, la connaissance de sa voix, la connaissance de son personnage, ça marchait. Ce n’est pas la voix du Général de Gaulle, c'est la voix d'Alain Delon vieillissant un peu chevrotante, c'est sûr, mais il y a une magie qui s'opère. On peut se dire que ça aurait pu être la voix du Général, enfin je crois en tout cas."
Avez-vous des regrets concernant son retour à Cannes ?
"C'est vrai qu'en tant que Cannois, après l'avoir ramené à Palerme au Palais Gangi du Guépard, j'avais très envie qu'il revienne sur les traces du tournage mythique de La Mélodie en sous-sol réalisé en 1963, au Palm Beach. D'autant plus que le Palm Beach a été refait, ou presque, à l'identique, à l'époque. Retrouver Alain Delon à côté de cette piscine où tout son casse avec Jean Gabin qui s'évapore sous leurs yeux, ça aurait été assez magnifique. Malheureusement les travaux du Palm Beach ont été un peu trop longs et Alain Delon nous a quittés..."
(Propos recueillis par Magali Roubaud-Soutrelle, à Cannes)