On les appelle hybrideurs, obtenteurs ou encore sélectionneurs. Souvent méconnus, ces créateurs travaillent dans l’ombre au service de la fleur la plus vendue au monde. Rencontre avec ces passionnés en Provence-Alpes-Côte d’Azur et ailleurs.
Il est pour ainsi dire né dans les roses. "J’avais 4 ans quand ma grand-mère m’a demandé de l’aider à faire les hybridations. Je prenais une fleur, j’enlevais les pétales et je récoltais le pollen pour elle au printemps. Et puis à 7 ans, on m’a demandé de faire ma première sélection en choisissant, parmi différentes variétés, une rose qui allait porter mon nom."
Matthias Meilland est la 6ème génération d’une grande famille de créateurs. "Mon arrière arrière arrière grand-père était jardinier au parc de la Tête d’Or et il s’est piqué d’amour pour les roses…"
Sous l’oeil de la caméra, le voici déambulant parmi des rosiers aux noms évocateurs – Pierre Cardin, Charles de Gaulle, Louis De Funès, Marcel Pagnol, Laetitia Casta, Julio Iglesias… – et décrivant amoureusement les caractéristiques de chaque variété.
Basée au Cannet-des-Maures, dans le Var, la modeste entreprise familiale est devenue au fil des décennies un véritable empire, à la renommée internationale.
Aujourd’hui, les Meilland font partie de la cinquantaine d’obtenteurs recensés dans le monde. Et bon nombre de leurs créations ont remporté le très convoité Hall of fame, le titre de "rose favorite du monde entier".
C’est ce savoir-faire ancien, souvent méconnu, que la réalisatrice Camille Béglin nous dévoile, au gré de rencontres passionnantes.
De la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’Ille-et-Vilaine, en passant par le Maine-et-Loire, on apprend beaucoup sur le travail des obtenteurs, des producteurs et des éditeurs de roses, et plus largement sur l’univers et le commerce de cette fleur tant appréciée.
Le travail d’obtenteur consiste à courir après un rêve.
Dans le monde occidental, la rose est la reine des fleurs et occupe une place de choix dans presque tous les jardins et bouquets. De tous les parfums, de toutes les couleurs, elle est symbole de paix, d’amour, de célébration, d’amitié ou encore de bonheur… Mais on ignore souvent que la rose originale est une plante sauvage, née il y a 60 millions d’années et dont la fleur n’a que cinq pétales. Pour arriver à la rose que l’on connaît aujourd’hui, il a fallu des générations de cultivars et d’hybridations !
Le simple travail d'une abeille
C’est à partir du 19ème siècle que l’on nomme "obtenteurs" ceux qui trouvent de nouvelles plantes : ils obtiennent des roses au prix de longues années de travail, en moyenne une dizaine d’années par variété.
La technique en elle-même est très simple : il s’agit d’échanger le pollen de deux fleurs choisies et d’observer le résultat. "Le simple travail d’une abeille" résume Jacques Mouchotte, responsable de sélection chez Meilland International pendant près de 40 ans.
Mais une fois les graines germées, toute la difficulté – et le talent - est de savoir déceler, parmi les milliers de pousses, la variété nouvelle qui sera la star des jardins et des bouquets. Bref, pour obtenir une nouvelle fleur, il faut de l’imagination, de la rigueur… et beaucoup de patience !
Jacques Mouchotte, qui présentait chaque année une collection d’une trentaine de variétés, a fait les comptes : "un succès sur 15 000 échecs. Je me suis rendu compte que j’étais payé pour me tromper !" dit-il en riant.
Il y a une manière d’approcher la rose qu’on ne peut pas définir, j’appelle ça le grain de folie.
Autre personnalité, autre style. Dans les Bouches-du-Rhône, à Allauch, Dominique Massad s’affranchit volontiers des standards.
Descendant et dernier créateur d’une famille lyonnaise, il s’est lancé dans le métier d’obtenteur il y a 40 ans, "un peu en autodidacte".
Lui recherche dans ses croisements des caractères toujours plus surprenants et il est connu pour ses roses novatrices. Plus proches de l’œuvre d’art que de la plante... "Un jour, à la demande d’une amie, j’ai fait visiter mon jardin à son père, qui adore les roses. Une fois que je lui ai tout montré, ce monsieur m'a dit gentiment "Mais elles sont où, les vraies roses ?!"
Si la France a vu naître de nombreuses dynasties de rosiéristes professionnels, la passion gagne tout autant les amateurs, comme Michel Adam.
Installé à Liffré, en Ille-et-Vilaine, Michel est devenu l’un des plus grands obtenteurs français, alors qu’il n’avait au départ aucune expérience. "Il faut pratiquer" dit-il. "Moi, je n’ai pas de pression, ça aide. Mais j’ai tout de même créé 6 ou 7 fois la plus belle rose de France !"
Les aspects scientifiques de la sélection sont également abordés. "Une vie en rose" nous emmène ainsi à Angers, où l’INRAE a décodé en 2018 le génome du rosier. On y développe un programme de sélection unique au monde pour découvrir les gènes de résistance aux maladies.
"Il existe 150 à 200 rosiers sauvages, on n’en a utilisé que 10 à 15 pour faire les rosiers cultivés aujourd’hui" souligne Fabrice Foucher, directeur de recherche. "Cela veut dire qu’il y a une très grande diversité dans le pool sauvage, qui pourrait être réutilisé pour obtenir des rosiers avec de nouveaux caractères". Les possibilités sont immenses…
Une concurrence redoutable
La rose est la fleur la plus vendue au monde. Pour les professionnels du secteur, les enjeux économiques sont considérables. Le film cite ainsi des chiffres révélateurs : le marché de la fleur coupée génère un chiffre d’affaires annuel de 325 millions d’euros. Pour les rosiers de jardin, il est de 50 millions et de 30 pour les rosiers d’intérieur.
La course à la nouveauté se fait donc dans un contexte de redoutable concurrence. D’autant que les critères de sélection évoluent pour répondre aux défis actuels, comme la résistance au climat ou l’attractivité pour les abeilles…
Aujourd’hui, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis dominent le commerce de la rose. Et ce succès fait des envieux. Ici aussi, la contrefaçon fait rage : "elle représente 1/3 du marché global mondial" constate Matthias Meilland, qui s’attache à traquer les copies illégales. "Chaque année, on commande beaucoup de rosiers sur internet, surtout des rosiers Meilland, pour vérifier qu’ils portent bien leur étiquette d’authenticité. Dernièrement, en Italie, on a été obligé d’aller jusqu’au procès et de faire détruire une partie de la production car ils refusaient de payer la royaltie..."
Malgré tout, et en dépit de cette rude compétition pour la survie, les connaisseurs sont tous d’accord, la rose demeure une passion qui efface toutes les barrières et continue à faire rêver.
Comme le dit Jacques Mouchotte, "la rose la plus belle reste encore à créer..."
"Une vie en rose"
Un documentaire de 52’ de Camille Béglin.
Une coproduction France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur / Maydia Production.