Il avait posé ses valises à Saint-Paul-de-Vence en 1970, où il a trouvé la mort dix-sept ans plus tard. Compagnon de lutte de Martin Luther King, le Noir-Américain James Baldwin s'est battu toute sa vie pour les droits des communautés noire et homosexuelle. Un combat plus que jamais d'actualité.
Il a fait de la lutte pour les droits des minorités le combat de sa vie : le Noir-Américain James Baldwin est devenu l'un des symboles de sa génération et des suivantes.
Le 25 mai dernier, la mort de George Floyd, interpellé par un policier blanc à Minneapolis, a ému le monde entier. Elle a aussi mis en lumière les injustices subies encore aujourd'hui par la communauté noire. Depuis, les rassemblements en hommage à ce père de 46 ans se multiplient aux quatre coins de la planète : ses derniers mots, "I can't breathe" ("Je ne peux pas respirer" en français), sont repris en boucle dans les cortèges pour dénoncer l'oppression.
Cette oppression, James Baldwin la combattait à l'époque avec sa plume : il est l'auteur d'une trentaine d'essais, de romans, et de pièces de théâtre (dont "La Chambre de Giovanni", "La Conversion" ou encore "Face à l'homme blanc"). Certaines oeuvres ont d'ailleurs vu le jour dans sa maison de Saint-Paul-de-Vence dans les Alpes-Maritimes, où il s'était installé avec son compagnon en 1970.
C'est dans ce mas, alors situé Chemin du Pilon, qu'il s'est éteint dix-sept ans plus tard. Une association perpétue aujourd'hui la mémoire de l'auteur.
"Je ne suis pas un nègre, je suis un homme"
Né en 1924 à Harlem à New York, l'écrivain grandit dans un milieu ouvrier, où l'église noire-américaine a beaucoup d'importance. À l'âge de 10 ans, il est confronté pour la première fois aux violences policières : battu par des policiers blancs, il prend alors conscience de sa couleur de peau.
À l'adolescence, James Baldwin découvre son homosexualité et vit de plus en plus mal les discriminations vis-à-vis des communautés noire et LGBT+. À 24 ans, il décide de s'installer à Paris, où il devient alors un auteur influent mais aussi l'une des figures du Mouvement des Droits Civiques, aux côtés d'un certain Martin Luther King.
Loin de son pays d'origine, il parvient à coucher ses frustrations sur le papier : il écrit principalement sur l'identité sexuelle et la condition des Noirs.
Ce que les Blancs doivent faire, c’est essayer de trouver au fond d’eux-mêmes pourquoi, tout d’abord, il leur a été nécessaire d’avoir un “nègre”, parce que je ne suis pas un “nègre”. Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Mais si vous pensez que je suis un nègre, ça veut dire qu’il vous en faut un.
Saint-Paul-de-Vence, la renaissance
En 1970, cap au sud de la France : l'intellectuel s'installe avec son compagnon Bernard Hassell dans un vieux mas à Saint-Paul-de-Vence.
La même année, il écrit une lettre ouverte poignante à sa "soeur" Angela Davis, qui bousculera l'Amérique.
La formidable révolution de la conscience noire qui a touché ta génération, ma chère sœur, signifie le commencement ou la fin de l’Amérique. Certains d’entre nous, Noirs et Blancs, savent quel prix a déjà été payé pour faire éclore une nouvelle conscience, un nouveau peuple, une nation sans précédent. Si nous savons et ne faisons rien, nous sommes pires que les mercenaires meurtriers (...) engagés en notre nom.
Pendant cette période de sa vie, James Baldwin consacre beaucoup de temps à ses amis : parmi eux, on compte les artistes Joséphine Baker, Miles Davis et Nina Simone ou encore les acteurs Yves Montand et Simone Signoret.
Il se prête également aux mondanités et foule quelques fois la Croisette pour le Festival de Cannes.
Durant ses 17 dernières années passées à Saint-Paul-de-Vence, Baldwin organisera de nombreuses fêtes chez lui.
Atteint par un cancer de l'estomac, James Baldwin s'éteint en décembre 1987. Ses mémoires ne seront pas publiées.
Aujoourd'hui à Saint-Paul, l'activiste et écrivaine américaine Shannon Caine agit pour faire connaitre l'oeuvre et la pensée de Baldwin. Elle a aussi été à l'initiative de l'ouverture au village d'un centre d'accueil et d'une résidence d'écrivains en mémoire du grand homme.
Un modèle pour les générations futures
En 2016, le cinéaste Raoul Peck adapte les textes de l'écrivain en long-métrage : "I Am Not Your Negro" ("Je ne suis pas votre nègre" en français) reçoit un accueil très positif et remporte l'Oscar du meilleur film documentaire en 2017.
Un film fédérateur pour le mouvement "Black Lives Matter", pour qui James Baldwin reste aujourd'hui, plus que jamais, un modèle.
Pourquoi faire une série de reportage sur lui ?
Olivier Chartier-Delègue, journaliste à la rédaction de France 3 Côte d'azur, nous explique l'envie pour lui de dévoiler cette page de l'histoire culturelle des Alpes-Maritimes :
Comme de nombreux Français passionnés de culture américaine, j’avais entendu parler de James Baldwin, sans bien savoir qui il était réellement.
C’est en tombant par hasard sur cette archive de la télévision américaine que j’ai pris la pleine mesure du personnage : le charisme, l’incroyable puissance de la rhétorique, la profonde intelligence du regard porté sur le monde qui l’entoure, sa dignité et son courage.
Le 16 mai 1969, à New York, James Baldwin est l’invité d’une émission populaire de la télévision américaine, le Dick Cavett Show.
Sur le plateau, un second intervenant, le professeur de philosophie Paul Weiss, lui apporte la contradiction. En substance, Weiss reproche à Baldwin de n’envisager les rapports humains que sous l’angle du seul racisme, alors qu’il existe tant d’autres modalités de relations entre les individus.
Au terme d’un débat tendu, Baldwin conclut avec cette longue tirade indignée :
"Vous me demandez de faire quelque chose d’impossible. Vous me demandez de prendre vos souhaits pour la réalité.
Je ne sais pas ce que pense la majorité des blancs de ce pays. Je peux seulement déduire leurs sentiments par l’état de leurs institutions. Je ne sais pas si les chrétiens blancs détestent les noirs.
"Mais je sais qu’’il existe une église chrétienne qui est blanche, et une église chrétienne qui est noire. Ce qui revient à dire que l’heure où la ségrégation est la plus forte dans la vie américaine, c’est le dimanche en plein midi.
(…)
Vous attendez de moi un acte de foi. Vous voulez que je risque ma vie, celle de ma femme, de mes enfants, au nom d’un idéalisme dont vous m’assurez qu’il existe en Amérique, mais que je n’ai jamais vu."
Voici l’extrait dans son intégralité en anglais :
Quel improbable chemin James Baldwin, enfant du ghetto de Harlem, figure éminente de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, acteur d’un combat d’une violence morale et physique inouïe, avait-il pu emprunter pour arriver dans ce havre de douceur provençale ? Comment avait-il vécu son exil sur la Côte d’Azur ? A quoi l’avait-il employé ?
Par ces reportages cet article, un début de réponse.