L'annonce d'une potentielle vente du club de l'AS Monaco pourrait aboutir à un record pour le football français. Particularité fiscale monégasque, actifs importants, et aura internationale pourraient séduire les acquéreurs qui peuvent s'offrir le club.
Un des fleurons du football européen pourrait changer de main. Le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, propriétaire de l'AS Monaco, a mandaté une banque d'affaires pour étudier la possibilité d'une vente du club azuréen. Raine est un poids lourd dans son secteur, spécialisé dans l'investissement et le conseil.
L'information révélée par le quotidien Les Echos ce dimanche 21 janvier, que l'AFP a fait confirmer auprès du "family office" du propriétaire (son bureau du patrimoine, NDLR), a surpris certains observateurs. Les ventes de club en France s'enchaînent depuis quelques mois, le business du foot a le vent en poupe.
Combien vaudrait le club qui s'est qualifié pour les 8ᵉˢ de finale de Coupe de France, ce même week-end, en battant Rodez (Ligue 2), sur le score de 3 buts à 1 ? Pour plusieurs experts et suiveurs avisés du monde du ballon rond, cette vente pourrait signer un record pour le football hexagonal.
De 350 à 500 millions d'euros pour l'ASM ?
La vente de l'ASM pourrait faire passer celle de l'OM à l'Américain Franck McCourt, en 2016 pour 45 millions d'euros, pour une transaction de second rang.
Seuls quelques milliardaires passionnés, des fonds spéculatifs ou des fonds souverains, peuvent prétendre à de telles dépenses. Pour Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport et auteur, qui distille ses analyses régulièrement dans les médias nationaux, le tarif du club monégasque pourrait avoisiner le demi-milliard. L'effectif est déjà estimé aux alentours des 300 millions d'euros pour le site Statista.
À cette somme viendrait s'ajouter le coût de la marque, les infrastructures du club et son centre de formation.
500 millions d'euros, cela ne me paraitrait pas déconnant, et un milliard, cela me surprendrait, vu le contexte conjoncturel.
Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport
Au-delà de toutes ces considérations, la valeur d'un club est essentiellement basée sur "ce que les repreneurs sont prêts à mettre" précise Pierre Rondeau. Autant dire que le champ des possibles est ouvert. D'autant plus que des négociations essentielles pour le football français sont en cours.
La Ligue de football professionnelle est en train d'étudier les offres pour l'attribution des droits télévisés pour la période 2024-2029. Tant pour les diffusions sur le sol national qu'à l'étranger. Alors que Vincent Labrune a toujours cru que le milliard d'euros serait acquis, les dernières supputations sont légèrement inférieures. Elles laisseraient toutefois augurer de belles recettes pour les clubs français pour les toutes prochaines saisons.
Il faut voir si les droits de diffusion augmentent ou pas, ce sera un enjeu avant la négociation de la vente. Si demain on apprend que BeIN (la chaîne qatarie, NDLR) - c'était dit hier dans L'Equipe - pourrait se positionner pour sauver la Ligue 1, ce qui permettrait d'atteindre 900 millions d'euros pour les droits nationaux et internationaux, ce serait un bon signal pour les vendeurs. Cela mettrait en avant que la Ligue 1 rapporterait plus qu'aujourd'hui. Ce serait impactant pour la portée et le poids des négociations.
Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport
"Si demain un milliardaire saoudien veut mettre un milliard d'euros, il mettra un milliard" poursuit Pierre Rondeau.
Un contexte favorable ?
L'envie de Dmitri Rybolovlev de vendre le club serait-elle due à un alignement des planètes ? À l'international, le football est sur une pente ascendante. Pour preuve, deux joueurs majeurs qui évoluaient récemment en Europe, des Ballon d'or - Lionel Messi et Karim Benzema - sont partis renforcés des championnats jugés il y a peu comme exotiques. L'Argentin évolue à Miami, aux États-Unis, et le Français dans le championnat saoudien. Tous deux ont quitté le Vieux Continent l'été dernier.
Le projet de Super Ligue - qui viendrait concurrencer la Ligue des champions - pourrait émerger avec les "marques" les plus influentes des championnats européens.
Autre point, l'entité créée conjointement par la Ligue et CVC, une société d'investissement internationale qui, certes, va vampiriser environ un dixième des bénéfices des clubs professionnels à terme, va aussi permettre d'injecter du cash rapidement dans les caisses des clubs.
"Le cashflow apporté par CVC sera étalé sur trois ans, en 2023, 2024 et 2025. Monaco était intégré dans le chapeau 3, donc Monaco avait - de mémoire - pu obtenir 80 millions d'euros de la part de CVC" précise Pierre Rondeau.
Le club monégasque bénéficie aussi d'un particularisme fiscal. Le club ne paie pas les mêmes sommes sur les charges patronales. Un atout décisif lorsqu'il s'agit de signer des joueurs émérites, et que l'émargement est au cœur des négociations.
Dans le dernier rapport de la DNCG, pour Monaco, à la ligne de l'impôt sur les sociétés, il est marqué : 0.
Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport
Un club, deux pistes
Simon Chadwick est professeur spécialisé dans le sport et la géopolitique de l'économie. Il intervient dans le réseau des écoles Skema, qui possède un campus sur la Côte d'Azur, à Sophia Antipolis.
"Monaco a un club qui m'a mystifié depuis longtemps" révèle le Britannique lorsqu'il répond aux questions de la rédaction de France 3 Côte d'Azur, ce lundi 22 janvier. S'il ne devait en garder qu'une, il miserait sur la piste d'investisseurs du nouveau continent.
Si on me demandait, en me mettant une arme sur la tempe, quelle piste je privilégie, je dirais les Etats-Unis !
Simon Chadwick, professeur spécialisé dans le sport et la géopolitique de l'économie
Les clubs européens attirent. "Le football européen en général est dans une situation très intéressante, surtout avec le débat sur la Super Ligue." L'attrait de la star de la NBA, Lebron James, qui a ainvesti au Liverpool FC, ou de l'acteur Ryan Reynolds qui possède le club anglais de Wrexham, révèle le nouvel eldorado que les fortunes américaines voient dans le football européen. Simon Chadwick envisage qu'un conglomérat, avec "un acteur hollywoodien", un fonds spéculatif et un diffuseur ou une plateforme, pourraient "s'allier" pour acheter l'ASM.
L'atout majeur de l'AS Monaco ? Le storytelling, sa narration. "Avec l'Inter Miami, le narratif se fait autour de Messi. Un rachat du club de Monaco pourrait créer un narratif glamour, avec en fond la principauté, la famille princière" explique Simon Chadwick. Et de filmer tout ceci pour en faire une série, ou un programme, "comme pour Formule 1 : Drive to Survive", détaille encore l'expert britannique.
La piste des pays du Golfe est aussi prégnante. Depuis quelques années, cet outil de soft power (capacité d'un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur NDLR) oppose les puissances de la région. Qatar, Arabie saoudite...
Mais aussi "Oman, et le Koweït" précise Simon Chadwick. Une offre aux alentours de 400 millions d'euros est plausible pour ce spécialiste, ce serait ni "sous-évalué, ni surévalué".
Dmitri Rybolovlev et le Trésor
Cette vente, Simon Chadwick l'explique aussi pour des raisons plus pragmatiques. Il pense que ce souhait de Dmitri Rybolovlev pourrait être "la reconnaissance qu'il n'a pas les ressources ou l'appétit pour contrer ces clubs" impliqués dans le projet de nouvelle compétition européenne.
"He could try to step out of the spotlight" affirme aussi dans la langue de Shakespeare Simon Chadwick, lorsqu'il aborde les liens du Russe avec la mère patrie et le Kremlin. Des liens que le propriétaire de Monaco a toujours niés. En français dans le texte, la vente du club pourrait être un moyen de mettre ses actifs hors des projecteurs, lui qui est depuis 2018 sur la "Putin list", le fichier du Trésor américain, référencé dans les CAATSA Reports - le Countering America's Adversaries Through Sanctions Act.
Le résultat, aussi, de la guerre en Ukraine. Simon Chadwick y voit la possibilité de rapatrier pour lui des sommes importantes en misant sur un "cash in".
Raine, intermédiaire idoine
Raine group est une banque d'affaires internationale, spécialisée dans le conseil et l'investissement, comme le précise l'AFP. Elle intervient dans de nombreux secteurs et sa liste de clients est impressionnante.
Raine a déjà travaillé dans le football avec de grands clubs européens, comme Chelsea, l'Olympique lyonnais, le FC Girona qui est la sensation de la Liga cette année, mais aussi des clubs aux États-Unis comme l'Inter Miami (la licence de David Beckham où évolue Lionel Messi). Le groupe n'est pas "effrayé d'évoluer dans ces sphères" mêlant géopolitique, sport, et gros sous, affirme Simon Chadwick.
Une présidence qui a permis de renouer avec les sommets
Arrivé en 2011, le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev fait une belle affaire. Le club est au plus mal sportivement, dans les limbes du classement de Ligue 2. Pour acquérir 66,67% des parts (le reste appartenant au Prince Albert II de Monaco), il ne débourse qu'un euro symbolique, avant d'investir massivement dans le recrutement. C'est le retour des stars au stade, de la Ligue 1...
Geoffroy, supporteur du club depuis "Jürgen Klinsmann", l'international allemand qui a évolué en principauté au début des années 1990, se souvient de l'arrivée de l'investisseur russe : "Lors du rachat, c'était un peu le sauveur, forcément. Et avec des recrutements complètement énormes proportionnellement à la Ligue 2, avec Ocampos et Nabil Dirar. C'était le premier moment fort."
En quelques années à peine, face à un PSG ultra-dominateur sous les couleurs qataries, l'ASM est sacrée champion de France en 2017.
On le voyait souvent présent au stade, c'est un amoureux [du club], il s'est pris au jeu.
Geoffroy, fan de l'AS Monaco et membre du site ASM supporters, à propos de Dmitri Rybolovlev
Celui qui est aussi membre du site non officiel d'informations ASM Supporters, se remémore la superbe saison en Ligue des champions qui s'était terminée face à la Juventus Turin.
"L'inauguration de la Diagonale, du centre de performance de la Turbie", restent aussi des moments particuliers dans la tête des supporters qui y voient un "énorme plus pour les joueurs de l'académie et des footballeurs qui peuvent y évoluer."
Sans douter, Geoffroy, qui a connu pas mal de présidents, rend hommage au travail de Dmitri Rybolovlev : "Il y a eu deux présidents qui sont restés longtemps, Campora et lui". Geoffroy espère que de futurs acquéreurs feront des folies pour son club, avec un rachat qu'il souhaite pouvoir compter "en milliards".
Un club rentable, un milliard de ventes en une décennie
Il y a aussi la forme du moment. Le club a occupé la première place du championnat, un temps cette saison, est aujourd'hui quatrième, et reste qualifié en Coupe de France. Son coach autrichien, Adi Hütter, fait pratiquer à son équipe un jeu offensif et souvent chatoyant.
L'effectif est l'un des plus fournis de Ligue 1. Il compte de nombreux internationaux. Français, avec Yousouf Fofana, Wissam Ben Yedder, russe (Golovine), américain (Balogun), suisses (Zakaria, Embolo), mais aussi polonais, brésiliens, etc.
Plusieurs joueurs de l'ASM sont actuellement sélectionnés avec les nations africaines pour disputer la CAN, la Coupe d'Afrique des nations, en Côte d'Ivoire.
Rares sont les clubs de Ligue 1 à pouvoir compter sur une telle qualité et profondeur de banc, sans oublier le centre de formation qui reste l'un des plus cotés du championnat de France.
L'AS Monaco a démocratisé une stratégie de trading autour des joueurs depuis des années, avec succès. Il a effectué au moins "un milliard de ventes en une décennie" souligne Pierre Rondeau. Parmi les plus belles ventes du club, certaines résonnent encore aujourd'hui. Kylian Mbappé, 180 millions d'euros. Aurélien Tchouaméni, 80 millions d'euros. James Rodriguez, même somme. Des chiffres qui donnent le tournis pour des joueurs bonifiés par leur passage sur le Rocher.
Une politique sportive déjà expérimentée, qui a tout pour séduire. L'étreinte ne devrait toutefois pas survenir rapidement. Simon Chadwick voit mal une vente être entérinée avant la fin de l'année 2024, le temps, pour toutes les parties, la Ligue et les autorités, de valider une transaction qui s'annonce record.