Un livre, publié le 6 mai par un chercheur de l'université de Nice décrypte les habitudes sémantiques du président de la République. La technologie d'intelligence artificielle permet de prédire par exemple son discours de 2022 en vue de l'élection présidentielle.
Chercheur au CNRS, professeur à l'Université Côte d'Azur et membre d'une unité de recherche sur le corpus du langage, Damon Mayaffre étudie le discours politique depuis sa thèse.
Entretien avec ce docteur en histoire, qui après avoir écrit sur Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, prédit le discours d'Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2022. Son livre "Macron ou le discours du Verbe" aux éditions de l'Aube vient de sortir ce 6 mai.
Voilà, à quoi pourrait bien ressembler le discours d'Emmanuel Macron en 2022 :
Chères concitoyennes, chers concitoyens
Les transformations profondes que j’ai souhaitées en 2017 ont changé la France et l’Europe. Elles demandent aujourd’hui à être renforcées afin que la reconstruction engagée porte désormais ses fruits au bénéfice de toutes et de tous. J’ai entendu vos inquiétudes, parfois vos colères, et je partage votre impatience.
Face aux nationalistes, au populisme, à la tentation du repli, qui ne signifient rien d’autre que l’immobilisme, je veux incarner le choix de l’espoir, du progrès et de la réconciliation. Je veux porter le projet d’une société nouvelle dans laquelle la libre expression des talents, l’égalité entre les femmes et les hommes et les mobilités sociales assureront l’émancipation véritable.
Au cœur des territoires, les innovations technologiques, l’intelligence artificielle et le numérique offrent aux acteurs, entrepreneurs, chefs d’entreprise ou salariés, une liberté historique et concrète de s’épanouir, sous condition d’une démocratie renouvelée dans laquelle l’ordre, le dialogue réel et la pleine concertation seront les meilleurs gages de notre renaissance. C’est en profondeur que je veux refonder l’agora et le pacte social pour que le projet qui est le nôtre advienne sans peur, sans jalousie, ni tabou.
Des idéologies mortifères et des violences ressurgissent partout en Europe espérant étouffer les solutions que nous allons mettre en œuvre tous ensemble de manière pragmatique, loin des dogmes et des fondamentalismes, chacun et chacune prenant sa part, chacun et chacune saisissant sa chance.
C’est pourquoi je vous appelle à porter en avant ma candidature, parce que je veux que le travail et l’innovation soient enfin récompensés […]
En lisant ces lignes, on entend déjà l'actuel président s'exprimer. Nous avons demandé, sans l'aide de l'intelligence artificielle, à Damon Mayaffre de présenter son travail et ses méthodes.
Quelle était l’idée principale de votre livre ?
L’idée, c’est que le discours d'Emmanuel Macron a une forme de complexité, c’est un « objet politique non identifié », il y a une sorte de mystère ou d’originalité dans son discours. C'est pour cette raison, que l'on voulait faire un traitement technologique plus abouti. Je suis épaulé par Laurent Vanni, également du CNRS, avec lui on marche sur deux jambes, une linguistique et l'autre plus technologique.
J’ai engendré plus de 1.000 discours et l’intelligence artificielle (IA) va les comparer avec des discours d’autres présidents de la République, depuis le général de Gaulle.
C’est une prise de position : on ne peut définir qu’en comparaison. Le contexte historique est primordial tout comme, on ne peut définir la gauche sans le contraste avec la droite.
L’analyse peut-être généalogique, historique et géographique par exemple, j’ai comparé Emmanuel Macron à Tony Blair, et c’est une comparaison quasi littérale du "Blairisme" : le "en même-temps" de Macron est fondateur, c’est une traduction "as well as" qui a caractérisé Blair. Comme E. Macron, T. Blair disait "il faut libérer et en même temps protéger".
Comment fonctionne l'intelligence artificielle, l'IA?
Globalement, l’IA n’est pas l’intelligence humaine, mais elle est "bioinspiré", c’est-à-dire que comme le cerveau, on fait faire réagir des connexions comme les synapses avec les neurones. Un mot stocke de l’information puis, ces mots ont des règles de combinaison et vont produire un discours.
L’IA pour Google sait par exemple, sans se tromper reconnaître l’image d’un chat ou d’un chien sur la base d’un agencement de pixels.
L’intelligence artificielle développée par l’équipe de @Damon_Mayaffre au laboratoire Bases, Corpus, Langages d'@Univ_CotedAzur et du @CNRS_DR20 signe le discours avatar du Président #Macron pour annoncer sa candidature à sa réélection en 2022.https://t.co/NrXC2bx348
— Univ-CotedAzur (@Univ_CotedAzur) April 30, 2021
Nous, on fait la même chose, mais au niveau du texte. Quand on regarde le texte de Macron, on lui donne une représentation numérique, on attribue à chaque mot 76 identifiants numériques, un champ lexical, si c’est un adverbe ou non, et enfin, sur la base de cette identité la machine va additionner, soustraire, rassembler tous les mots qui vont ensemble.
Comment apprendre à parler comme Emmanuel Macron ?
Pour apprendre à parler le Macron, on va remarquer qu’il adore le suffixe-tion et qu’il y aura toujours du futur derrière. -Tion, c’est le mouvement comme transformation, ensuite Emmanuel Macron va factoriser avec le futur ou le subjonctif. C’est du "deep-learning" c’est un apprentissage profond. J’ai l’impression de rentrer dans la profondeur du discours.
Tout le Macron se résume en une lettre : le « R », parce que son secret c’est d’assortir un vocabulaire de gauche avec une lettre de droite.
Tout comme, le préfixe en re- renvoie à la transformation, il ne dit pas naissance, mais reconnaissance, ne dit pas créer, mais recréer. Comme ça, il plait aussi bien à un électorat de gauche qui veut le changement, mais en "même temps" à l’électorat de droite entend le préfixe et l’idée de retour, l’idée d’un passé glorieux. Typiquement le mot refondation : il adore.
Au départ, d’un point de vue scientifique c’est la machine qui clignote et l’analyse permet de comprendre.
Mais pourquoi donc Hyperbase m'indique que Macron aime la lettre "r" (graphe joint) ? Mais parce que tout le macronisme se résume en elle ! (Cf. p. 293 et suivant de l'ouvrage) pic.twitter.com/xZTKcmVYr6
— DamonMayaffre (@damon_mayaffre) May 5, 2021
Est-ce qu’on peut savoir si Emmanuel Macron est plus de gauche ou droite ?
Oui ! Parce que l’IA arrive à chiffrer le taux d’empreinte, c’est-à-dire que par rapport à ses prédécesseurs, il emprunte beaucoup plus de mots à Nicolas Sarkozy et à Jacques Chirac qu’à François Mitterrand ou François Hollande.
Clairement, le président qui l’inspire le plus c’est Nicolas Sarkozy. Notamment, sur les thématiques du travail ou de la sécurité.
En 2018, déjà Damon Mayaffre décryptait les phrases d'Emmanuel Macron, dans ce tweet il notait que le président actuel avait prononcé plus de fois "je veux" que le détenteur du reccord, Nicolas Sarkozy.
Analyse des 9 "je veux...", heures supplémentaires défiscalisées, et l'Intelligence Artificielle : Macron semble doubler Sarkozy sur sa droite #macron20h pic.twitter.com/YsgwKeBbgO
— DamonMayaffre (@damon_mayaffre) December 11, 2018
Puis, sur l’aspect social on est plus proche de Jacques Chirac.
On a surtout mis un détecteur de discours gauche / droite, la machine sait à peu près reconnaître et à ce révélateur-là, on peut rentrer n’importe quel discours de Macron et voir où il se situe, globalement c’est 60% à droite et 40% à gauche.
Qu’est-ce que les crises du quinquennat ont changé (Gilets jaunes et covid) ?
Avec les "Gilets jaunes", au niveau du langage il s’est rapproché des discours de gauche. Il a renoncé à un langage précieux et a eu un discours plus populaire.
Avec le covid, sa marque de fabrique libérale, c'est "libérer les premiers de cordés". Avec le "quoi qu’il en coûte", il va renoncer à ce libéralisme. Pour l'avoir analysé, en quelques mois il passe de vouloir privatiser les aéroports de Paris à vouloir nationaliser la compagnie Air France.
Et pour la politique locale, la machine pouvait-elle anticiper par exemple, que Christian Estrosi allait quitter Les Républicains en analysant ces discours précédents ?
La condition est presque seulement technique, c’est le corpus d’apprentissage. Il faut lui soumettre des critères. Pour Christian Estrosi, on rentre sur un domaine politique et oui, il y a forme de prévisibilité.
La machine prédit ce qui va arriver sur la base d’un certain existant. La machine va prédire ce que vous allez dire demain parce que ça ressemblera à ce que vous avez dit aujourd’hui et hier. Il y a une sorte d’identité linguistique.
Reste à savoir si le vrai discours du printemps prochain sera celui ou presque, généré dans le laboratoire de recherche de Damon Mayaffre. À moins, que l'Elysée ne le modifie pour ne pas plagier l'intelligence artificielle.