Les élections régionales auront lieu dans six semaines dans un contexte marqué par la recrudescence des violences. Des faits divers qui mettent au cœur du débat politique la sécurité et ses délinquants, thème de prédilection du Rassemblement national. Décryptage d'une mécanique bien rôdée.
Des casseurs à Fréjus, des tensions après des saisies de drogue à Cannes, des pompiers encerclés à Lyon, des forces de l'ordre caillassées à Vaulx-en-Velin... Ce week-end encore, les faits divers ont fait la Une des médias alors qu'Avignon rendait hommage au brigadier Eric Masson, tué sur un point de deal mercredi.
Dimanche, les chaînes d'information en continu ont relayé les images de la foule émue, massée à l’hôtel de police en mémoire du brigadier. Et tendu le micro à Gilbert Collard, eurodéputé RN venu partager "un moment de communion dans le deuil".
A un an de la présidentielle, six semaines du premier tour des élections régionales (selon notre sondage, le scrutin serait remporté par le Rassemblement national), deux faits divers ont relancé le débat sur la sécurité : le meurtre du policier de 36 ans abattu lors d'un contrôle de stupéfiants et celui de Stéphanie Montfermé agent administratif au commissariat de Rambouillet par un Tunisien radicalisé fin avril.
Une instrumentalisation politique des faits divers
"C’est d’abord une mise en scène principalement télévisuelle et ensuite une instrumentalisation de ces mêmes faits divers", analyse le sociologue Laurent Mucchielli, spécialiste de la délinquance et des politiques sécuritaires, qui pointe du doigt la responsabilité des médias comme des hommes politiques.
Selon le directeur de recherches au CNRS, le but n'est pas d'analyser, mais "de faire du spectacle et de s'indigner" de plaquer des généralités qui transforment les faits divers "en révélateurs de faits de société".
Sur les quinze dernières années, une vingtaine de policiers et gendarmes ont perdu la vie en service chaque année. Onze fonctionnaires l'an dernier. Jusqu'à dernièrement le brigadier Eric Masson.
"Et on n’a pas vu les fois précédentes, toutes les télévisions débarquer et les hommes politiques venir faire concours de grande déclaration, tout ceci m’apparaît comme une grande hypocrisie", dénonce-t-il.
Le sociologue va plus loin et questionne l'escalade des faits divers en période électorale. "Comme par hasard parce qu’on entre en campagne, on commence à nous faire le coup des faits divers, explique Laurent Mucchielli.
Il y voit un grand classique, "le thème de la sécurité, c’est une des plus fortes et sans doute la plus vieille rhétorique politique qui existe, ça consiste à dire : "c’est la pagaille, c’est le désordre, c’est l’insécurité, votez pour moi et je vais rétablir l’ordre".
"Un petit jeu grossier" qui, selon lui, entre aussi dans la stratégie du pouvoir actuel. Et là on ne parle plus forcément des extrêmes.
La surenchère sécuritaire de la droite
Car les responsables de la droite ne sont pas en reste dans cette surenchère sécuritaire. À l'annonce d'un durcissement des peines encourues pour les auteurs d'agressions à l'encontre de policiers ou de gendarmes faite par Jean Castex lundi, Bruno Retailleau (LR) a réagi en demandant une "révolution pénale pour rétablir l'autorité de l'Etat et faire reculer cette sauvagerie."
Le député LR des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, estime quant à lui que "la France sombre chaque jour de plus en plus dans le chaos."
La seule conséquence de tout ça, ce n’est pas d’améliorer la sécurité des citoyens ou des forces de l'ordre, estime Laurent Mucchielli, "c’est de continuer à légitimer le vote successif de lois toujours plus dures, qui restreignent toujours plus les libertés, des lois toujours plus punitives".
"Emmanuel Macron est sur une politique de répression des trafics de stupéfiants, on est sur un positionnement ultra-sécuritaire de la gouvernance Macron sur cette question-là mais avec des moyens qui ne suivent pas", confirme Christèle Lagier, maîtresse de conférence en sciences politiques à l'Université d'Avignon.
Elle dénonce les défaillances des politiques publiques, seul rempart à la montée de la délinquance dans les quartiers défavoprisés. "Certains quartiers sont des poudrières, on a une situation sociale qui est totalement explosive, ajoute-t-elle, tant qu'on mettra la question sociale sous le tapis, on ne résoudra pas la question sécuritaire."
Ces faits divers et "toute la psychose qui se construit autour", tout comme la tribune des militaires dénonçant "le chaos et la violence" publiée dimanche dans Valeurs Actuelles, "c'est du pain béni pour le Rassemblement national (…) qui intensifie toujours sa communication autour de ces événements-là et on est sur des thématiques qu'il va porter dans le débat public", renchérit Christèle Lagier.
La délinquance en tête des préoccupations
"Quand on met le thème de la sécurité dans une campagne électorale, on sait que ça va polariser fortement, et que c'est un moyen de faire aller voter des électeurs un peu plus à droite", indique Christèle Lagier, qui rappelle que le scrutin régional mobilise traditionnellement peu les électeurs.
Le débat sur la sécurité ne poussera pas les électeurs massivement aux urnes dans ce scrutin régional, selon Christèle Lagier, "mais ceux qui vont se déplacer vont peut-être déporter un peu leur vote à droite."
Le sondage Ipsos pour France Télévisions publié mardi 11 mai montre que la délinquance est la première préoccupation des habitants, devant l'immigration et l'épidémie de Covid.
Selon ce sondage, la liste du président sortant LR Renaud Muselier, avec le soutien ou pas de LREM, serait battue au second tour par le Rassemblement national dont la liste est conduite par Thierry Mariani.