Des millions de mètres cube d'eau en 2 heures. L'épisode pluvieux de samedi était certes exceptionnel, mais l'urbanisation frénétique sur la Côte d'Azur a aggravé les conséquences de ce phénomène météorologique historique. Le béton est là. Il faut gérer le risque qu'il amplifie.
Christine Voiron-Canicio, géographe spécialiste de l'urbanisation en zone littorale, à la tête d'un laboratoire du CNRS à Nice, explique comment la Côte d'Azur, trop bétonnée et trop accidentée, est particulièrement vulnérable aux pluies diluviennes.
Q: La topographie des villes des Alpes-Maritimes, installées sur des plaines côtières très construites, explique-t-elle en partie le lourd bilan de 19 morts dans des intempéries ?
R:"On est en présence d'une plaine côtière étroite. A l'est du département, c'est la montagne qui tombe directement dans la mer. A l'ouest, vers Cannes et Antibes, la plaine côtière atteint environ deux kilomètres de large. Cette plaine bute vers l'intérieur sur un amphithéâtre de montagnes, dont les pentes très raides sont entrecoupées de vallons et de ruisseaux qui vont tous rejoindre la mer. Les vallons, qui vont à angle droit buter contre la plaine littorale, ne peuvent qu'entraîner un ruissellement intense sur cette plaine littorale.
Et l'eau ne peut pas s'infiltrer dans une plaine littorale totalement urbanisée et imperméabilisée. C'est le cas aussi dans les nombreuses collines très construites et aux pentes raides. Des travaux ont été fait pour construire des bassins de rétention, mais on voit bien que c'est insuffisant. Cela permet d'éviter une montée des eaux. Mais quand il y a des paroxysmes de ce type, on ne peut pas capter cette eau dans les bassins."
Reportage: N. Jourdan, D. Beaumont et A. Chardon
Intervenants: Monique Gagean , sinistrée, Philppe Gourbesvilles, Hydrologue Polytech Sophia, Henri Leroy, maire de Mandelieu
Equipe: n. Jourdan, D.Beaumont, A. Chardon
Q: Vous critiquez l'urbanisation du territoire, objet d'une trop forte attractivité ?
R: "Autrefois, jusqu'au début des années 1970, il y avait plus d'agriculture. Ces espaces permettaient l'absorption des fortes pluies, ils avaient un rôle d'éponge. On a assisté du milieu des années 1970 au milieu des années 1990, à une accélération de la péri-urbanisation. Les terres agricoles ont été touchées. L'artificialisation a gagné et se poursuit. Les collines en arrière du littoral sont attractives avec leur vue sur la mer, mais elles sont un des éléments de la vulnérabilité de la Côte d'Azur."
Q: Vos propos ne vont pas dans le sens de la vaste opération d'intérêt national de "la plaine du Var" (à l'est de Nice le long du fleuve du Var), une zone autrefois inondable de 10.000 hectares où des maraîchers doivent laisser la place à des logements et des entreprises créatrices d'emplois ?
R: "Je ne fais pas de la politique, je suis une scientifique qui voit disparaître une partie de l'identité de la Côte d'Azur, avec ses produits typiques comme les blettes, les courgettes, les tomates, les agrumes, qui font la renommée de son territoire.
Cette plaine du Var ne doit pas voir disparaître ses terres agricoles, parce que la ville d'aujourd'hui et de demain peut être une ville dans laquelle il y a une agriculture. Dans beaucoup de contrées, on veut réintroduire l'agriculture, alors que sur la Côte d'Azur, elle existe et il suffit de la maintenir.
C'est à la fois utile pour cette absorption des fortes pluies et ça contribue à la qualité de vie. Les zones agricoles, comme les forêts et les garrigues, participent aussi à la biodiversité. La plaine du Var compte un reliquat de petits lopins agricoles intégrés dans des zones bâties. Aujourd'hui les plans les font disparaître. A Nice, il reste cependant encore des zones agricoles, par exemple des vignobles sur les collines. Mais le plan local d'urbanisme d'Antibes a déjà fait disparaître tout zonage de terre agricole!"