ANALYSE. Et si la participation électorale était menacée par la révolution numérique et les changements de pratiques

La faible participation aux élections reposerait sur un désinterêt pour les projets portés par les candidats ou par le millefeuille administratif.  Il pourrait y avoir une autre raison, beaucoup plus structurelle : la fin d’une société verticale où l’information est toujours descendante.

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Le peu de participation notamment au 1er tour des élections départementales et régionales reposerait pour de nombreux éditorialistes ou observateurs de la vie politique sur le manque de projets portés par les candidats ou par ce millefeuille administratif qui perturbe les électeurs. 

A quoi sert la région, à quoi servent les départements ? Si on fait un pas de côté et que l’on confronte, du point de vue des mécanismes de la communication, la notion de vote on pourrait mettre en évidence une autre raison, beaucoup plus structurelle et beaucoup plus profonde : le changement de pratique et la fin d’une société verticale ou l’information est toujours descendante. 

Les chiffres inquiètent, plus de 80% des 18/34 ans ne se déplacent pas pour voter et même n’y voient aucun intérêt (sondage Ipsos Soprastéria).

En réalité si on regarde bien, les seuls qui restent concernés par le vote sont les séniors, les personnes qui ont plus de 60 ans avec une appétence particulière pour les plus de 70 ans. L’abstention, cette perturbation profonde dans ce rouage essentiel de la vie démocratique, le vote, s’est accentuée ces 20 dernières années. On a d’abord mis ce phénomène sur la confusion entre les offres politiques (il n’y a plus de gauche ni de droite) ou encore sur la perte de pouvoir du politique vis-à-vis du pouvoir économique ou même sur la puissance règlementaire de l’Europe.

Raisons politiques

Les raisons invoquées sont toutes d’ordre politique, mais elles pourraient reposer sur un changement profond et bien plus radical. 

Revenons sur ce qu’est le vote. 

A la fin du XVIIIe siècle, le vote c’est le droit à la parole. Dans une société issue de la féodalité, avec le développement d’une bourgeoisie qui veut peser sur la conduite du pays, se structure la volonté de pouvoir faire remonter des doléances et d’avoir des porte-parole. Nous voyons bien là que le fait de voter, de donner sa voix pour qu’elle soit portée par un représentant, repose bien sur un schéma de communication.  

Depuis 1450 et l’invention de l’imprimerie, le schéma de communication repose sur un modèle que nous connaissons tous : Il y a un auteur et une multiplication de son œuvre qui est, de fait, partagée. L’information vient d’en haut et irrigue une grande partie de la société. Ce mécanisme, cette structure va s’amplifier jusqu’au 20ème siècle, où elle connaitra son apogée, ce sera l’ère des mass-médias : 1 émetteur (la radio, la tv, les journaux) et des millions de récepteurs. Par ces canaux vont transiter tout un ensemble d’informations ou de communications.  

"Je parle donc je suis”

Mais bien plus encore, cette façon de penser le monde, ce système de communication va en réalité structurer complètement le monde. C’est le postulat linguistique qui dit “je parle donc je suis”. Ma façon de me situer dans le monde fait le monde. La structure verticale de notre société, est en réalité induite par la façon dont l’information circule, ou plutôt ne circule pas. L’information, comme les différents pouvoirs sont descendants, certains diront surplombants.  

Les chiffres de l’abstention s’envolent depuis plus de 20 ans. La fin des années 90, c’est à peu près le début de la révolution numérique, un changement majeur dans le champ de la communication. Dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu que 4 révolutions de ce type, l’invention de l’écriture, l’invention de l’alphabet, l’imprimerie et maintenant la révolution numérique. Chacune de ces inventions a eu des répercussions majeures sur les sociétés qui ont suivi. A chaque fois, c’est la place même de l’homme au sein de la société qui change.  

L’imprimerie, développée par Gutenberg devait permettre de publier de façon industrielle la bible, elle a, surtout dans un premier temps, permis de publier les écrits de Luther et Calvin qui ont entrainé une crise majeure dans la chrétienté : la réforme et la fin de la toute-puissance de l’église catholique romaine. 

Mais revenons à notre révolution numérique et regardons quels changements majeurs elle induit en termes de communication entre les individus et en quoi précisément elle peut avoir un lien structurel avec l’abstention. L’avènement du numérique dans nos vies, le développement des smartphones et des réseaux de communication (4G, 5G) bouscule la structure verticale du monde issu de la révolution Gutenberg.

Chacun, chaque seconde est capable de prendre la parole et de la faire entendre, chacun, chaque seconde peut lancer une idée, avoir des nouvelles de sa communauté, débattre d’un sujet, s’enflammer sur un post ou partager son dernier coup de cœur.  

Ce changement radical a eu un impact très fort dans le champ de l’information. Il y a encore une 10 aine d’année, le rôle d’un journaliste était d’être le 1er sur l'évènement. Aujourd’hui, il y a toujours une personne avec un smartphone qui sera là avant et pourra déjà envoyer des images. 

Les grands rendez-vous d’information, ou la lecture d’un journal ont souffert de ces changements de pratique. Pourquoi attendre 19h ou le lendemain matin pour s’informer alors qu’en temps réel tout au long de la journée, des informations circulent en permanence sur les différents réseaux sociaux et plateforme d’information ? 

Les médias connaissent depuis 2010 une baisse de leurs audiences et surtout un vieillissement de leurs audiences. C’est exactement le même phénomène que l’on constate pour les différentes élections : baisse de la participation et vieillissement des votants.  

Le droite de vote, un devoir

La tranche d'âge qui vote le plus ce sont les plus de 70 ans, ils sont 60% à se déplacer. Pour eux la question ne se pose pas. Le droit de vote est un devoir, le moment de faire entendre leur voix et de désigner un représentant. Les 40% qui ne se déplacent pas sont souvent désabusés par la politique, ils ne se retrouvent pas forcément dans l’offre. 

La tranche d'âge qui vote le moins ce sont les 18/34 ans, ils sont à peine 15% à jouer le jeu démocratique du scrutin. Ils ont grandi avec les codes et les pratiques du numérique. Ils sont habitués à prendre la parole, à interagir, à liker, à partager. Le vote ne leur apparait pas comme le seul moment où ils peuvent faire entendre leur voix.

C’est bien ça le changement le plus important. L’humanité numérique n’est pas organisée verticalement mais bien horizontalement. Même si l’audience prévaut aussi dans ce nouveau monde, on le voit bien avec le développement des influenceurs. Ce qui change radicalement c’est la volonté de donner sa voix à un quelqu'un qui sera chargé de la porter. En fait c’est tout le système démocratique que nous connaissons qui repose sur ce mécanisme qui est plus que questionné par cette nouvelle vision du monde. 

La génération Z (à partir des années 2000) est née avec les outils et les pratiques numériques. Elle est habituée à prendre la parole, à s’organiser en collectif, elle est même habituée à s’écouter. Elle remet en cause “les messages d’en haut”, les prescriptions et les spécialistes.  

Pour cette génération et les suivantes, le système démocratique basé sur la représentativité devra forcément évoluer sans quoi et c’est déjà en partie le cas, un élu ne représentera plus une majorité, mais une majorité relative, composée uniquement de la minorité qui sera allée voter. 

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