Danseurs ou circassiens, ces artistes de la scène confinés ont le corps ralenti mais l’esprit stimulé

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Danseurs ou circassiens, les artistes doivent adapter leur entraînement physique pour respecter le confinement. Si l’épidémie de coronavirus modifie la façon d'entraîner le corps, elle a également un impact sur le travail de l’esprit et le processus créatif de ces artistes.

Loin des salles de répétition et de l’énergie collective des spectacles, c’est l’ensemble de leur quotidien d’artiste qui est modifié.

« Pour danser, le souci numéro un c’est le manque de place » lance Lucile. Depuis le début du confinement, cette interprète de danse contemporaine a dû changer ses habitudes pour continuer à travailler son corps, comme tous les artistes de la scène. La routine est en place :

Tous les jours, j’utilise les moindres recoins du kilomètre autour de chez moi pour courir ou faire de la marche rapide. Ensuite, je fais au moins une heure de yoga, ça fait travailler l’ensemble du corps en profondeur et ça demande moins de place que la danse. 


Même menu pour Joris Frigerio, directeur artistique de la compagnie de cirque Les hommes de mains à Nice, qui avait déjà l’habitude de s’entraîner chez lui avant le confinement.
 


"J’ai un salon assez grand et un espalier [large échelle en bois fixée au mur], qui me permet de faire beaucoup de choses : musculation, étirements, yoga, équilibre sur les mains … » explique le jeune homme. 

Pour Voleak Ung, voltigeuse en portées acrobatiques résidant à Marseille, le confinement pose un problème de taille : l’impossibilité de répéter avec son partenaire. « Sans mon porteur, je ne peux pas vraiment m’exercer. Je travaille l’équilibre au sol chez moi, mais c’est assez limité », regrette la jeune femme. « Pour compenser et rester en forme, je fais du gainage, de la préparation physique, du yoga et de la méditation », ajoute-t-elle.
 

Charlotte, quant à elle, danseuse de flamenco dans le sud de la France, se sent privilégiée dans son travail physique quotidien.

« Le problème en flamenco ce n’est pas tellement la place, c’est surtout le bruit !


"J’ai la chance d’avoir pu aménager mon garage de 20 mètres carrés en petite salle de répétition bien insonorisée, ça me permet de pratiquer tous les jours, puisque la base du métier de danseur c’est de garder son corps entraîné. Mais la plupart de mes collègues ne sont pas dans ces conditions. »

Je connais des danseurs espagnols qui vivent en petit appartement et qui n’ont pas d’autre solution que de monter et descendre les escaliers de leur immeuble des dizaines de fois par jour pour garder la forme. 


Une situation plus ou moins difficile selon les conditions de vie, comme toujours. « Mais quand on est artiste, on alterne entre des périodes de grande communion, lorsqu'on est en création avec une équipe de dizaines de personnes, et des moments de solitude chez soi, où on gamberge, on prépare son futur spectacle. On est habitué à la solitude et au confinement finalement », souffle Lucile.  
 

Du temps pour penser et créer

Le métier d’artiste va bien au delà des capacités physiques et le confinement peut aussi apporter ses aspects positifs. Du temps essentiellement. « Le confinement est aussi une période de retour sur soi dans la vie artistique », analyse Lucile.

C’est un peu paradoxal. Il y a une grande frustration physique et à la fois une grande intensité émotionnelle et réflexive. 


« Le confinement m’oblige à réinventer mon travail », expose Fanny Soriano qui gère la compagnie de cirque Libertivore. « Je réfléchis à proposer aux structures qui sont censées nous accueillir dans les prochains mois une façon différente d’être en lien avec le public, puisqu’on sera surement encore en confinement. Ce lien pourrait se faire à travers la photo et la vidéo, dans un travail autour du corps dans le paysage », explique Fanny Soriano. Pour l’acrobate, cette période est aussi un moyen de convoquer la créativité des artistes de sa compagnie et d’avoir une réflexion collective.

Mais cette abondance inédite de temps peut aussi déstabiliser les esprits. « Le fait d’être confiné, ça me laisse même un peu trop de temps et ça génère énormément de pensées chez moi », confie Joris Frigerio.

Un jour je me sens super bien, je me dis : regardes-toi en face et vois ce que tu peux aller chercher en toi. Et le lendemain, je me perds dans toutes mes idées et je me demande si je ne sombre pas dans quelque chose d’étrange psychologiquement. 

Quand il veut arrêter de trop penser, le circassien met à profit ce temps disponible pour apprendre de nouvelles disciplines artistiques à l’aide de tutos sur internet. Photographie, piano, guitare … Au point d’avoir envie de lui-même lancer ses propres tutos vidéos. « J’ai eu envie de permettre d’apprendre la base de l’équilibre sur les mains aux jeunes en école de cirque qui débutent, ou aux sportifs qui veulent varier leur entrainement à la maison. Jamais je n’aurais pensé faire des tutos avant le confinement, mais là c’est l’occasion », lance Joris Frigerio.

L’artiste attend d’avoir assez de vidéos en stock pour lancer sa chaîne Youtube, qui devrait voir le jour prochainement.

Pour un avant-goût, voici un extrait du premier épisode : 
  

"Ce n'est pas la première épidémie qui bouleverse l'expression artistique" 


Quelles que soient leurs façons de vivre et de passer le confinement, ces artistes resteront sans doute influencés par cette période. Comme par le passé. 

La danse contemporaine a déjà été fortement marquée par une épidémie, celle du sida. Il y a eu un avant et un après. 


Lucile se souvient : « beaucoup de danseurs ont été touchés. Dans la période avant le sida, la danse contemporaine était une expression de liberté et d’émancipation, avec des grands déplacements sur les plateaux et beaucoup de sauts. Après la propagation du sida, elle est devenue le reflet de corps qui ont souffert et qui ont connu le deuil, avec un rétrécissement de l’espace et des mouvements tournés vers le corps et non plus vers l'autre ».

La danseuse conclut : « On peut se demander si cette épidémie va donner un nouveau tournant à la discipline, dans la mesure où la danse exprime toujours par le corps ce que l’ensemble de la société traverse. »
 
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