"Cet algorithme a un côté pervers" : un collectif de parents envisage d'attaquer TikTok en justice pour protéger les adolescents

Un collectif de parents, sous la houlette d'une avocate a vu le jour, dans le but d'attaquer TikTok. L'objectif est de rassembler des témoignages sur les effets néfastes de la plateforme, de l'obliger à mieux vérifier les contenus qui sont diffusés, surtout auprès des plus jeunes et d'indemniser les victimes.

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Après le suicide de Marie, lycéenne harcelée à Cassis (Bouche-du-Rhône) en 2021, ses parents ont déposé plainte en septembre dernier, au pénal, contre TikTok pour "provocation au suicide". A la suite de la médiatisation de cette procédure, d'autres parents se sont signalés auprès de l'avocate qui défendait ceux de Marie, "témoignant vivre la même chose dans leur foyer", explique Maître Laure Boutron-Marmion. "C'est de là qu'a germé l'idée qu'il fallait aller plus loin et qu'en fait, ce qu'avait vécu la famille de Marie n'était absolument pas un cas isolé". Ensemble, ils ont décidé d'engager en mars un recours commun. 

"L'union fait la force"

"J'ai fondé le collectif 'Algos Victima*' puisqu’avec plusieurs familles, nous avons le projet de porter un recours groupé contre TikTok devant la justice civile française", précise l'avocate. Une action commune pour "avoir plus de puissance et d'impact au niveau de la justice civile", raconte Stéphanie Mistre, la mère de Marie.

"En présentant juste ma plainte seule, on n'arrivera peut-être pas à avoir l'impact qu'on veut sur TikTok, on se dit que plus on va être nombreux, plus notre recours sera grand et fort", insiste-t-elle.

L'avocate et les parents concernés s'inspirent de ce qui se fait actuellement aux États-Unis, contre TikTok justement. Les procédures sont en cours. "Ce serait bien qu'on fasse la même chose parce qu'effectivement, l'union fait la force", espère la mère de famille.

Le but de ce collectif est double pour l'avocate : "Le premier est de porter un recours indemnitaire, c'est-à-dire pour réparer la détresse des victimes. Le deuxième objectif est d'interpeller l'opinion publique et de faire avancer le débat sur [la responsabilité des réseaux sociaux et l'impact qu'ils ont sur les plus jeunes]".

Quand les parents sont confrontés à ce type de problème, ils veulent que leur parole soit portée par le collectif. "Le vœu des familles, que j'entends souvent, c'est que ça s'arrête pour les autres aussi", détaille Maître Laure Boutron-Marmion. "Il y a tout à la fois, je veux que ma souffrance soit entendue et qu'elle soit réparée à la hauteur de ce que je vis. Mais je veux aussi que ça s'arrête pour la suite et pour les autres enfants".

"Algos Victima", les victimes de l'algorithme

Moins de trois minutes pour tomber sur des contenus inappropriés. Marie a d'abord été harcelée à l'école. Avec sa passion pour le chant, la musique, elle s'était tournée vers TikTok, initialement appelée Musical.ly. Mais le réseau social a été racheté et a ensuite changé de nom et de fonction. Mal dans sa peau, l'adolescente est allée chercher des contenus en rapport avec la perte de poids. Très rapidement, l'algorithme lui a proposé des contenus violents. Après son décès, ses parents ont découvert sur son téléphone portable, les vidéos auxquelles leur fille a été confrontée : "automutilation, suicide ou les façons de se donner la mort". 

Plus tard, Stéphanie Mistre a été contactée par des parents, dont les adolescents traversaient une phase compliquée.  Ils ont souhaité eux-mêmes tester le mécanisme de TikTok.

Ces parents se sont créés de faux profils d'ados. En faisant par exemple des recherches sur les régimes, "dans les deux à trois minutes qui suivent, on leur a proposé des contenus similaires à ceux retrouvés sur le téléphone de Marie", explique Stéphanie Mistre. "Ce ne sont pas des corrélations normales, ça devrait envoyer plutôt vers des cours de sport, quelque chose de positif à nos enfants", regrette cette mère de famille.

Et c'est précisément l'algorithme qui est mis en cause.

"L'algorithme va chercher les défaillances délibérément pour justement capter au mieux l'enfant dans ce qu'il est et le toucher sur ces points sensibles, déplore Stéphanie Mistre, puis l'algorithme ne va plus le lâcher et c'est en cela que ça les met dans une spirale infernale, selon l'état psychologique de l'enfant à ce moment-là".

"Ces plateformes-là, et plus particulièrement TikTok, indiquent dans leurs chartes aux consommateurs qu'évidemment, il ne sera pas diffusé de contenu grave, qu'il ne faut pas hésiter à appeler, à se faire aider quand on est mal. Mais on se rend compte très vite que les jeunes, au bout d'une à deux minutes, ils sont confrontés à des contenus et des images extrêmement choquantes", précise Maître Laure Boutron-Marmion.

"Justement, puisque c'est une application qui est censée amuser les enfants comme ils le disent et être gaie et joyeuse, pourquoi ne pas leur proposer des solutions beaucoup plus positives ? Cet algorithme a un côté pervers", dénonce Stéphanie Mistre.

Le collectif était constitué de trois familles au départ, "puis cinq et bientôt 10", confie l'avocate, "ce qui me permettra de porter le recours plus sereinement ".

TikTok et les réseaux sociaux face à leurs responsabilités

Normalement, le réseau social est interdit aux moins de 13 ans. Mais dans la réalité, la plateforme ne vérifie pas et ne leur interdit pas l'accès. "Il suffit de dire qu'on a 13 ans quand on ouvre le compte et après même quand on est sur sa fiche et qu'on indique avoir 11 ans et bien, on n'est pas censuré", explique l'avocate. "Il faut réfléchir à des mesures d'action, contraindre les plateformes à plus réguler leurs applications. C'est en ce sens que le collectif aura du poids, avec tous les témoignages des différents parents, et les troubles qu'ont causés les réseaux sociaux et précisément TikTok." 

"On les attaque pour qu'enfin, ils posent des limites, qu'ils fassent en sorte que leur plateforme soit vraiment réglementée et structurée", indique Stéphanie Mistre. "C'est-à-dire, par exemple de ne pas mettre des enfants de huit ans avec des images qu'ils ne sont pas aptes à capter, à comprendre et à analyser correctement".

"Nous voulons un recours collectif, un peu à l'américaine. Un recours indemnitaire devant la justice civile pour la simple et bonne raison que qui dit justice civile dit fixation d'une audience, une date à laquelle sera tenu un débat contradictoire. Et donc qui dit débat contradictoire dit qu'évidemment TikTok devra bâtir un argumentaire et répondre à tous les arguments que j'aurai développés dans l'intérêt des familles", précise Maître Laure Boutron-Marmion.

Et l'avocate va plus loin dans les responsabilités de TikTok : "Lorsque l'on réalise des tests, il semblerait qu’en fait, plus on est âgé, moins la plateforme contient de contenu nocif et inversement, moins on est âgé, plus elle en contient. Un parent qui aurait un compte TikTok tomberait peut-être moins vite sur des contenus effrayants qu'un enfant de 14 ans, alors que c'est l'inverse qui est attendu".

Appliquer les réglementations en vigueur

Selon l'avocate, " à partir du moment où on a une entreprise qui décide d'inonder notre marché d'un produit commercial, comme toute autre entreprise, elle doit répondre des défauts. À partir du moment où cette application fait souffrir mentalement de façon directe des mineurs, elle doit revoir sa copie".

En février dernier, la France a adopté le "Digital Service Act (DSA)", une réglementation européenne qui a pour but de réguler et surveiller les plateformes des réseaux sociaux. "Cela devrait mettre la pression aux entreprises, pour être un peu plus vigilantes quand des alertes sont faites, nettoyer plus systématiquement la plateforme. Mais aujourd'hui, ce DSA n'est toujours pas véritablement appliqué en France", regrette Maître Laure Boutron-Marmion.

"Est-ce que ça fonctionne ?", s'interroge Stéphanie Mistre. "C’est compliqué de savoir si un ado va faire la démarche de signaler lui-même". Face à cette incertitude, et pour éviter de nouveaux drames, ce sont les parents qui montent au créneau. 

*Pour joindre le collectif : contact@algosvictima.com

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