Les féminicides de personnes âgées, "un drame de la vieillesse" ? L'analyse d'une experte en violences intra-familiales

Les féminicides de seniors semblent exclus de la réflexion des féminicides en particulier, de celle sur les violences conjugales en général. Pour tenter de comprendre, Aurore Boyard, avocate experte en violences intra-familiales, a répondu à nos questions.

Ce lundi 5 février vers 20h30 à Marignane, dans les Bouches-du-Rhône, une femme de 76 ans est retrouvée morte à son domicile. Le mari, âgé de 87 ans, a reconnu l'avoir tuée. Il a été placé en garde à vue. Histoire similaire la veille, à Saint-Raphaël dans le Var. Selon les premiers éléments de l'enquête, "le mari a pu tuer son épouse gravement malade et alitée avant de retourner l'arme du crime, un fusil à pompe, sur sa personne", expliquait Pierre Couttenier, procureur de la République de Draguignan.

Parmi les 15 victimes recensées par le collectif Féminicides par compagnon ou ex depuis le début de l'année, huit séniors, souvent malades et dépendantes, ont été abattues par leur conjoint, qui, dans la majorité des cas, s'est suicidé juste après.

Il n'existe que très peu d'études et de statistiques sur les meurtres de femmes âgées. En 2019, selon la délégation aux victimes (DAV), les victimes de 70 ans et plus, représentaient 18% des 146 femmes "tuées par leur partenaire ou ex-partenaire de vie" comptabilisées. 

Pour tenter de comprendre le phénomène, Aurore Boyard, experte en violences intra-familiales a répondu à nos questions.

France 3 Provence-Alpes : Les féminicides de seniors prennent-ils de l'ampleur depuis quelques années ?

Aurore Boyard, avocate experte en violences intra-familiales : Je ne pense pas qu'il y en ait plus ; je dirais plutôt qu'avant, on en parlait moins. Depuis 26 ans que je suis avocate, j'ai toujours vu des femmes qui étaient battues. J'ai reçu des clientes âgées de 70 ans, 80 ans et plus, victimes de violences conjugales mais qui ne parlaient pas. Il s'agit d'une autre génération. Il y avaient chez ces personnes une forme d'omerta parce qu'elles étaient conditionnées : on leur disait qu'il fallait qu'elles se taisent et qu'elles subissent. Dans leur jeunesse, elles ont été élevées avec l'idée qu'elles devaient écoute et obéissance à leur mari.

Il ne faut pas oublier que ça n'est que très récemment que nous sommes passés de la puissance paternelle à l'autorité parentale. Donc sociologiquement et dans la législation française, l'homme avait la place de l'homme fort, de celui qui décidait. Donc ces générations de femmes âgées de 70 à 80 ans, elles ont vécu cela. Sur toute ma clientèle de femmes âgées victimes de violences, il n'y en a qu'une seule qui a "accepté de parler" et qui a déposé plainte très récemment.

Peut-on distinguer les féminicides de personnes âgées des autres féminicides ?

Je ne le pense pas. En réalité, la différence, c'est que ces féminicides touchent des femmes malades, dégradées par leur état de santé. L'homme n'a peut-être pas la patience de s'occuper de sa femme malade. Si l'on se penche sur le cas de ce féminicide commis à Saint-Raphaël dans le Var, l'épouse octogénaire était gravement malade, alitée. Mais ça reste toujours de la violence exercée sur une femme.

Pour moi, il n'y a pas de différence avec les autres types de féminicides. C'est un homme qui estime qu'il a le droit de vie et de mort sur sa femme. Au lieu d'aller demander de l'aide parce qu'il ne s'en sort pas, il tue sa femme comme pourrait le faire un homme de 30, 40 ou 50 ans. Pour eux, la femme reste un objet, c'est eux qui vont décider quand et comment elle doit mourir. C'est toujours cette notion de pouvoir sur la femme qui est là, donc je ne vois pas de différence avec les autres féminicides.

Peut-on parler de "drame de la vieillesse" ? 

Je pense que l'on parle de "drame de la vieillesse" car c'est assez choquant de voir un homme âgé, tuer sa femme. En réalité, il ne faut pas tomber dans ce travers-là. L'homme tue sa femme parce qu'il estime qu'il a le droit de la tuer. C'est comme dans un couple, il est excédé et il la tue. Quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve, on ne tue pas son conjoint. Le "drame de la vieillesse", c'est de vieillir mal ou d'être malade. Ce n'est pas parce qu'on est vieux que l'on doit tuer sa femme. C'est un drame mais pas de la vieilllesse. 

Peut-on dresser un profil type de ces femmes âgées, victimes de violences conjugales  ? 

Lorsque ces femmes âgées se confiaient à moi, toutes me disaient qu'elles ne se voyaient pas déposer plainte contre leur mari car ça ne se faisait pas, et qu'elles étaient mariées pour le meilleur et pour le pire. Ce sentiment était tellement ancré dans leur esprit qu'elles ne franchissaient pas le pas. Parce qu'il y a tout ce poids familial, tout ce poids de l'éducation qui pèse sur leurs épaules. Elles se demandaient combien de temps il leur restait à vivre ; elles me disaient qu'après un certain âge, porter plainte n'avait plus de sens. Et puis, il y a aussi le phénomène d'emprise : une dame de 80 ans m'avait contactée pour engager une procédure de divorce pour violences. Elle avait été mise à l'abri, sécurisée. Son mari est revenu la supplier de retourner avec lui, et elle y est retournée. Et ça, ça s'appelle l'emprise.

Ces féminicides de personnes âgées peuvent-ils éveiller les consciences ?

Comme leur nom l'indique, les violences intra-familiales se déroulent à l'intérieur de la famille, et l'entourage ne s'en rend, très souvent, pas compte. Je pense que ces féminicides sur personnes âgées, coup sur coup dans le Var, puis dans les Bouches-du-Rhône, vont peut-être éveiller les consciences dans toutes les familles. Un homme qui vieillit n'est pas moins dangereux. 

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