Marseille-Cassis 2019 : malvoyant, sdf, 1ère course, 41e participation, portraits de coureurs

20.000 participants au semi-marathon Marseille-Cassis et autant d'histoires personnelles. Redouja est malvoyante, Joseph le court depuis 40 ans, Philippe pour la première fois. Jean-Marc est lui sans domicile. Portraits de coureurs. 

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Marseille-Cassis, c'est un nom pour plusieurs courses. Parmi les 20.000 participants, ils ne seront qu'une poignée à se disputer la victoire finale. Pour tous les autres, le but n'est pas de se confronter aux autres coureurs.

Non, Marseille-Cassis, c'est quasiment autant d'histoires que de personnes au départ. Depuis 1979, la course s'est faite une place parmi la patrimoine local. En visant ce monument éphémère chaque année, chacun projette une partie de lui-même. Pour certains, la course devient le moyen de se regarder en face : une thérapie.

Pour d'autres, le dépassement de la souffrance revêt quasiment une dimension mystique. Comme une manifestation, on court pour un but, on incarne quelque chose.

Marseille-Cassis, c'est donc 20.000 participants, 20.000 courses, et autant d'histoires. Voici quatre d'entre elles.

Redouja : malvoyante clairement déterminée 

Pour Redouja Bouzid, le monde est vague. Des formes brumeuses, où les contours se confondent, où la netteté géométrique est absente. Les visages sont des masses sans traits. "Ma fille, je la vois. Mais je ne peux pas dire quelle couleur d'yeux elle a", confie-t-elle.
"Je suis pas complètement non voyante, hein. Je suis malvoyante", insiste Redouja. Aujourd'hui maman de deux enfants, elle mène sa vie de la manière la plus autonome possible depuis ses 13 ans, âge où la rétine de ses yeux a brûlé.

Pas de chien, comme les aveugles, pas de canne. Redouja s'efforce de mener sa vie avec une normalité dans laquelle des yeux non défaillants décèlent de l'exception.

Depuis deux ans, cette mère au foyer de 49 ans s'est découvert une passion : la course à pied. "Ca m'apporte du bien-être. J'arrive à affronter la vie, je suis bien dans ma peau."
Redouja s'est fixé un objectif net, précis : elle franchira le col de la Gineste et avalera les 20 km de bitume de Marseille-Cassis le 27 octobre. Pour cela, elle a mis tous les ingrédients nécessaires. Chaque jour, après avoir déposé sa petite fille à l'école, c'est direction le parc Longchamp, pour deux heures d'entraînement.

"J'y vais très tôt, parce que je sais qu'il n'y a pas d'enfants là-bas", explique-t-elle. Pas de gêne donc. Dimanche, ce sera une autre histoire. Redouja aura 20.000 personnes autour d'elle. 

Heureusement, elle pourra compter sur Agnès Bertrand, sa guide. Depuis un an, les deux femmes préparent ensemble l'échéance.

Elle veut être libre comme tout coureur

Elles travaillent leur complémentarité et le juste équilibre entre l'aide apportée par Agnès et l'autonomie de Redouja. "Quand il n'y a plus d'obstacles, elle va me prendre le bras, parce qu'elle n'a pas de corde, raconte la guide. C'est tout à son honneur, elle veut être libre comme tout coureur."

S'il n'y a pas de corde entre les deux femmes, un lien fort les unit. "Marseille-Cassis, ça va encore plus nous souder", confie Agnès.

Le Marseille-Cassis de Redouja, ce sera plus qu'une aventure personnelle. Avec le soutien de sa guide, mais aussi de ses deux enfants, tous les deux derrière elle, c'est une histoire commune. Celle de liens invisibles, tressés d'amour et d'amitié.

Voir ici notre reportage sur Redouja.

Joseph Maggiore : toujours là depuis 40 ans

On pourrait presque dire que Joseph Maggiore, c'est une incarnation de Marseille-Cassis. Depuis 1979, ce fringant septuagénaire, affûté comme une lame, a rallié les deux villes chaque année.

Jamais un jour j'aurais cru que j'irai 40e!

Plutôt habitué à regarder devant, ce retour dans le passé lui ficherait presque le vertige : "Jamais un jour j'aurais cru que j'irai 40e! Je me disais, c'est pas possible. Quand je regarde derrière, je me dis 'oufff, ma foi, mais je suis fou ou quoi?!''

Cette folle histoire entre Joseph et la course provençale est née d'un rien. Un défi entre jeunes hommes, une compétition de jeunes loups, de laquelle le gagnant deviendrait pour une année le chef de meute.

On s'engrainait tous!

"C'était la course de l'usine, se souvient-il, l'oeil fou. Si on se classait à Marseille-Cassis, il y avait une hiérarchie et puis... On s'engrainait tous! Et puis, petit à petit c'est resté, c'est venu, et ça a continué!"
Depuis ces jeunes années, ce jeu de jeunes fougueux a évolué. Un peu comme un virus, Marseille-Cassis s'est imiscé en Joseph. D'année en année, le coureur, mu par la performance - il réalise son record à 38 ans, en 1h12 -, se métamorphose en transmetteur de mémoire.

Dans la valise de ses souvenirs, où tee-shirts, dossards et photos composent ce musée miniature, la plus belle pièce, c'est une photo de lui et son fils.

"Le fait qu'il courre avec moi, c'était un plaisir, c'était...", se remémore Joseph, l'oeil brillant. "Combien de fois on a fait le mano à mano, jusqu'au jour où je lui ai dit : 'Bon maintenant, Patrice, je crois que je peux plus, tu es devant!'" 

Plus jeune et plus rapide, c'est pourtant le fils de Joseph qui arrêtera la compétition le premier. Joseph ne court plus après le chrono. Mais il court encore, avec la parcimonie du vieux briscard.

Pour l'entraînement, c'est plutôt du vélo aujourd'hui. Moins traumatisant pour le corps vieillissant. 
Joseph entraîne aussi le club d'athlé de Fos-sur-Mer. Il abreuve les enfants de son expérience, et eux de leur fraîcheur. Une fontaine de jouvence grâce à laquelle la soif sera moins âpre dimanche, quand Joseph visera pour la 41ème fois, la ligne d'arrivée de Marseille-Cassis.

Voir ici notre reportage sur Joseph 

Jean-Marc : sans domicile, mais pas sans but

Le ciel sera-t-il clément? Cette question, tous les participants de la 41e édition de Marseille-Cassis se la posent. Mais de tous les coureurs, Jean-Marc, sans-abri de 42 ans, est probablement un de ceux qui s'en encquièrent le plus.
Cette semaine, dans le sud, le vent et la pluie sont sortis de leur période d'hibernation. L'eau s'est invitée dans les rues et Marseille a revêtu des airs de Venise. Mais il est certain que cela n'avait rien de romantique pour Jean-Marc.

Sans domicile depuis deux ans, cet ancien ouvrier du bâtiment, à la carrure athlétique et au style de rappeur des années 90, a élu domicile sur les pelouses du parc Longchamp. Enfin, domicile, c'est beaucoup dire.
Tous les jours, Jean-Marc déballe ses affaires de son sac à dos et dresse son campement de fortune : "C'est calme, et il n'y a pas trop de bruit. Bon, des fois il y a des rats qui passent, mais bon... Ca, c'est Marseille." En moyenne, Jean-Marc dort "deux à trois heures par nuit". 

Avec la météo dantesque de la dernière semaine, la préparation pour la course du 27 octobre n'aura pas été idéale.

La veille de la course, je vais dormir dehors, comme d'habitude

Mais le quarantenaire aborde la course avec la mesure et la simplicité de celui qui s'est heurté à l'hostilité de la vie de rue : "La veille de la course, je vais dormir dehors, comme d'habitude, je vais manger, et puis le lendemain matin je vais prendre mon dossard et je vais aller courir." 

Cette confiance, Jean-Marc semble la porter naturellement. "De toute façon, c'est lui qui a décidé de se prendre en main", raconte Alexandre Sanz, de l'association marseillaise Esp'Errance. Alexandre lui a proposé il y a plusieurs mois de courir Marseille-Cassis et l'a entraîné pour.
Fort de cette aide, mais surtout de la confiance dont Jean-Marc fait preuve, ce Marseille-Cassis illustrera peut-être le chemin de sa réinsertion. Depuis quelques mois, il a déjà entamé une formation de cordiste. 

Voir ici notre reportage sur Jean-Marc

Philippe : un défi perso, une aventure familiale

Philippe n'a pas encore pris le départ de Marseille-Cassis, ni goûté au sel de la victoire personnelle. Mais de la course provençale, il a déjà gagné pas mal de choses.
Physiquement déjà : ce grand gaillard de 1,94 m a déjà perdu 30 kg en seulement cinq mois. Outre l'apparence, qui ravit son épouse, cette perte de poids est surtout un véritable bienfait sanitaire.

Avec Marseille-Cassis à l'horizon, Philippe a adopté une hygiène de vie saine. "Plus de pizzas, plus de frites", bonjour "les légumes, les fruits, les grillades".

Chez ce père de famille, soutenu par tous les siens, Marseille-Cassis est une illustration de l'inspiration insufflée par le sport.

Le déclic, il l'a eu l'an dernier, alors qu'il était spectateur sur la ligne d'arrivée : "J'ai vu arriver des gens que je ne pensais pas capables de faire Marseille-Cassis. Des gens avec des attelles, en surpoids évidemment, des gens de tous âges... Alors, je me suis dit, allez, je dois pouvoir le faire aussi.
Au-delà de ses victoires personnelles, il en est une autre, plus collective. Dans son objectif, Philippe n'est pas seul. Toute la famille courra avec lui le jour de la course. Ses fils en première ligne de l'escouade. Ils l'accompagnent depuis le début de la préparation.

"On sait ce qu'il a fait, ses sacrifices au quotidien, on est fier de lui", confie l'un d'eux. En espérant qu'il franchira la ligne d'arrivée à Cassis le 27 octobre, ce Marseille-Cassis est d'ores et déjà une réussite pour Philippe. Et pour tous les autres.

Voir ici notre reportage sur Philippe
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