Cafetier, boulanger, artiste : la seconde vie des kiosques à journaux à Marseille

Margaux la torréfactrice, Pain Pan la fournée du kiosque, Merlin l’enchanté... Les kiosques à journaux disparaissent au même rythme que les titres qu'ils vendaient. À Marseille, une poignée a trouvé un second souffle, portée par d'heureux entrepreneurs. Vous prendrez bien un café ?

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"Bonjour, c’est possible un super bon café ?" Anthony Carrafini a un nom qui chante l’Italie, et l’exigence d’un bon ristretto qui l’accompagne. "Je l’aime bien corsé, avec un peu d’amertume, mais aussi un peu fruité".

Ce commercial marseillais se rend pour la première fois au Café Corto … Pas d’adresse non, Corto, c’est un kiosque, (et un café serré à l'italienne). Souvenez-vous il y a de cela une vingtaine d’années, vous alliez y acheter le journal.

Vous passez devant tous les jours, sans vous rendre compte que la majorité a baissé le rideau. Une petite échoppe sur trottoir, aux couleurs du métal, vert bouteille, surmontée d’un petit dôme, visible à quelques rues de là.

Au kiosque de Corto, on y parle encore des nouvelles, mais aussi du mauvais temps… "Il fait frais aujourd’hui", entend-on, autour d’un expresso ou d’un latte. Un cru d’Ouganda ce matin.

C’est Margaux Sachy qui l’a torréfié elle-même, dans son atelier du 15e arrondissement de Marseille.

Le café, elle est tombée dedans quand elle était petite. Dans le garage de son grand-père "ça sentait bon le grain de café, et les bonbons aussi". Marcel, lui-même torréfacteur, vendait son petit noir sur les marchés de région parisienne.

Alors Margaux a décidé de suivre sa trace, sur les marchés de Provence d’abord, et depuis un an tout juste, dans ce kiosque à journaux. Idéalement situé, à la sortie du métro Périer de Marseille, proche des bureaux, et des travailleurs pressés du secteur tertiaire.

"Willy, ça fait une semaine qu’on t’avait pas vu", lance une habituée. "Un oedème…", répond un sexagénaire. Jeanne-Marie a pris l’habitude d’avaler un expresso tous les matins au petit comptoir.

"Avec le confinement, c’est l'un des seuls endroits où l’on peut boire un café en extérieur. On y trouve de la convivialité, et de la chaleur humaine. En plus c’est bio et équitable", explique-t-elle, en offrant une chaise et un latte à Willy, visiblement fatigué.

"Willy, c’est le tout premier client du kiosque", explique Margaux. Depuis un an que la torréfactrice a ouvert, elle en connaît des clients : "ce que je voulais, c’était créer du lien avec les gens. J’avais ça sur les marchés, et je le retrouve dans ce kiosque". Margaux connaît les heures de passage de bon nombre d’amateurs de café. Les habitudes, c’est dur de s’en défaire...

Comme il est difficile d’abandonner les kiosques à journaux. Celui du Boulevard du Prado a été fermé pendant quatre ans. Alors remonter ce rideau de fer pour la première fois, c’est une grande une fierté pour la torréfactrice : "J’ai tout refait à l’intérieur, par contre l’extérieur n’a pas bougé. On recycle du mobilier urbain. Et puis j’adore ce style rococo des années 30 !".

Merlin l’enchanté d’avoir un kiosque

Un style, qui plaît aussi à Merlin. Près de l’église des Réformés, résonne la 9e symphonie de Beethoven.

"Hier c’était une journée Rap", tient à préciser le kiosquier. Cet artiste est l’un des premiers à avoir installé son atelier dans un kiosque à journaux. Cours Joseph Thierry, dans le 1er arrondissement.

"Je dessine avec des lettres". Sur cartes postales, sur vitres, sur tissus. Une barbe bien taillée, des lunettes sur le front, on le repère Merlin, avec son long manteau "rouge carmin".

Au pied de son kiosque, quelques exemplaires du quotidien La Provence. Le kiosque vend toujours le journal. 

"Je suis heureux d'être diffuseur, c’est un service au voisinage. Avec tous les kiosques fermés, cela évite à bon nombre de personnes âgées de faire des kilomètres".

Depuis 30 ans que Merlin vit de sa plume, il a toujours travaillé à son domicile. Il s’est installé dans ce kiosque abandonné depuis dix ans, en octobre 2019. "Il n’y a pas un jour où je regrette cette décision".

"Les gens sont attachés à cet endroit. Si vous saviez le nombre de souvenirs que cela fait remonter !"

Merlin, c’est "l’enchanté" des Réformés. Fier de son travail, fier de ses voisins, et au petit soin avec la petite dame qui compte sa monnaie, un exemplaire de son quotidien sous le bras.

Du pain au levain, c’est la fournée du kiosque

Face à l’église des Chartreux cette fois, c’est sa baguette que l’on vient acheter au kiosque. Ce n’est pas une boulangerie, mais un dépôt.

"On aurait du mal à faire entrer un four dans 15 mètres carrés !" sourit Vincent Biron, co-gérant de la boulangerie Pain Pan. Le fournil est situé rue des Frères Barthélémy, dans le 6e arrondissement.

Ça  sent le levain, et la viennoiserie encore tiède sur l’étal. "Avant j’allais au coin de la rue, mais depuis que le kiosque a ouvert, j’avoue je fais des infidélités à ma boulangère de quartier", plaisante un client. Il repartira avec une miche bio et dorée sous le bras, et surtout, avec le sourire. 

"La boulangerie originelle, a ouvert en septembre 2019, et ça a pris une ampleur qui nous a dépassés", explique Vincent. Le fournil était suffisamment grand, alors la petite équipe a décidé d’ouvrir deux dépôts, dont le kiosque des Chartreux.

L’endroit est idéalement situé, sur une petite place qui n’attendait qu’un peu d’animation : "l’esprit de Pain Pan, c’est justement de donner du sens à la boulangerie de quartier. On a plein d’idées. Lorsque la crise sera terminée, nous voulons créer des concerts, des marchés".

En bref, un lieu de rendez-vous et de partage. Comme au temps où l’on se pressait pour aller acheter sa revue.

Pain Pan verse environ 5.000 euros par an à la Métropole, propriétaire des kiosques marseillais, pour occuper l’espace : "un loyer raisonnable pour ceux qui veulent se lancer dans une activité", et qui a permis à l’équipe de passionnés de passer en moins de deux ans, de quatre à vingt salariés.

Le boulanger l’avoue, "on travaille comme des acharnés". C’est ce qui s’appelle être au four et au moulin.  

Marseille, pionnière de la reconversion

Les premiers kiosques à journaux naissent à Paris en 1857, sur les grands boulevards haussmanniens fraîchement tracés dans la capitale. 

La liberté de la presse est toute jeune, elle naît avec la Révolution. Le nombre de journaux est alors en constante augmentation, tout comme celui des colporteurs de rue. 

A Marseille, on compte aujourd'hui 53 kiosques à journaux. Quarante sont encore exploités, soit par la presse, soit par d’autres activités.

Une reconversion qui a commencé il y a un peu plus de deux ans dans la cité phocéenne. Cette expérience initiée par la Métropole Aix-Marseille-Provence,  "dans une volonté de redynamisation du centre-ville de Marseille et de récréer certains liens sociaux dans les noyaux villageois", indique la collectivité dans un communiqué.

La métropole est le bailleur, et loue ses emplacements. En revanche, l’entretien et la maintenance sont effectués par Médiakiosk, une filiale du publicitaire JC Decaux. 

Dans quelques semaines, les marseillais pourront goûter les sushis du kiosque Square Stalingrad, les Bagels de la place Félix Barret, ou encore s'offrir des bijoux sur la Canebière. La reconversion est en route. Même s'il faut l'admettre, tous n'ont pas la longévité d'un Merlin ou d'un Corto. Un glacier n'a pas tenu un été, une fleuriste a également fermé ses portes récemment. 

Treize kiosques sont donc encore inoccupés. Les vendeurs de journaux ont tiré le rideau depuis parfois plusieurs années.

Le déclin des kiosques et de la presse papier

Car depuis le début des années 2000, et l’avènement du numérique, la presse papier va mal…

Et ce n’est pas Laurent Rossé qui dira le contraire. Depuis huit ans, il tient le kiosque à journaux de Préfecture. Juste à la sortie du métro, en bas du cours Pierre Puget. "Un bon emplacement", où se croisent banquiers et avocats.

Au fil des années, ce kiosquier a vu le nombre de ses lecteurs chuter dangereusement. Au rythme des gazettes qui tirent leurs derniers exemplaires.

À 54 ans, il ne conseillerait ce métier à personne. "55 heures par semaine, pour un revenu d’environ 1.200 nets". Laurent aime son métier, mais a du mal à cacher son amertume. 

"Vous travaillez pour qui ?". Le site internet de France 3 Provence Alpes. La presse numérique et gratuite… Petit sourire en coin : "Ah ça, les journaux gratuits, ils nous ont bien fait du mal !"

Depuis le début des années 2000, la presse papier perd 5 % de titres par an.

"Le Figaro, la Provence, les Echos et Aujourd’hui, s’il-vous-plaît", demande une cliente. Suffisamment jeune pour que cela interpelle. "C’est pour mon patron", précise-t-elle. 

Laurent Rossé le sait, cette jeune femme ne connaît pas la presse papier : "Un jeune de moins de 20 ans qui vient ici, ça n’arrive jamais". Les lecteurs qui ont l’odeur de l’encre au bout des doigts vieillissent. 

"Il faut que la presse se renouvelle, pour attirer les jeunes", explique le vendeur de journaux, en nous montrant la nouvelle revue Big Bang. Le trimestriel présente son tout premier numéro : Marseille, capitale de la France.

Laurent voit d’un bon œil la reconversion de ces échoppes : "au kiosque en haut du Cours, c’est devenu un bar à ongles. Tant mieux, cela fait de la concurrence en moins", sourit-il.

La crise que traverse Laurent, et tous les kiosquiers de France, s’est accentuée avec le Covid. Trop de télétravail, et moins de passage avec les fermetures des commerces. Laurent Rossé est un peu désabusé. 

Aujourd'hui, les kiosques à journaux restent les témoins d’une ville romantique, d’un temps où l’on se pressait acheter sa gazette avant de travailler. Lire les nouvelles, les bonnes comme les mauvaises, commenter les actualités sous le nez du kiosquier.

Désormais c’est sur son téléphone, le regard baissé et le pouce armé que l’on se tient informé : rapide revue de presse algorithmée sur les réseaux sociaux, le temps d’avaler un café, le temps d’une manucure soigneusement posée.

Il y a moins de journaux mais il reste le kiosquier ou la kiosquière, gardien de la rue et des civilités, toujours au service du citadin pressé.

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