Près de onze ans après le crash d'un Airbus A310 de Yemenia Airways au large des Comores qui avait fait 152 morts et laissé une unique rescapée de 12 ans, le parquet de Paris a requis un procès en correctionnelle pour "homicides involontaires" contre la compagnie.
Il appartient désormais aux juges d'instructions de prendre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.
Bahia Bakari, 12 ans au moment du crash, est le seul "miracle" de cette "tragédie". L'adolescente avait survécu en restant accrochée en mer durant onze heures à un débri de l'appareil.
Ce procès au pénal indique-t-elle, "c'est l'étape la plus importante que toutes les familles attendent, moi y compris. Qu'il y ait un responsable qui soit désigné, afin qu'on puisse enfin tourner la page".
"Je ne peux pas dire que je sois confiante car je sais que la compagnie va faire valoir ses arguments", a ajouté l'unique rescapée du crash.
Un procès au pénal très attendu
"Peu de temps après l'accident j'avais été entendue", explique Bahia Bakari.
"C'est ce témoignage de l'époque, alors que je me rappelais de tous les détails de l'accident, qui sera important en cas de procès", a-t-elle ajouté.
Près de onze ans après le drame de la compagnie aérienne, quelques uns de ces détails lui reviennent :'"une chose qui m'avait choqué, une odeur de toilettes, et des mouches dans l'avion. Les autres passagers étaient choqués eux aussi".
Le vol, avant l'accident lui, "s'était bien déroulé", se souvient-elle.
"J'étais petite, je n'avais pas conscience des conditions climatiques, de la problématique de la formation des pilotes, ou des problèmes d'éclairage de la piste d'atterrissage".
Bahia Bakari avait livré son témoignage dans un documentaire de France 3, "Les ailes des oubliés".
Autre réaction, celle de Saïd Assoumani, président de l'association des familles de victimes à Marseille.
Pour lui, la demande par le parquet d'un procès "est une bonne nouvelle pour toutes les familles" alors qu'"on commençait à désespérer".
"Les avocats nous ont informés, c'est une grande étape, il faut le reconnaître, mais on ne s'emballe pas trop, il y en aura d'autres à franchir".
Des réponses aux questions des familles des victimes
"Le procès pénal est très attendu par les victimes", a -t-il confirmé. "Il pourra enfin faire jaillir les responsabilités de chacun, entre l'Etat comorien, l'aéroport de Moroni...et en premier lieu la compagnie Yemenia bien sûr."
"Les pilotes, avaient-ils la formation requise ? Tant de questions restent sans réponse", a indiqué Saïd Assoumani.
Le président de l'association qui regroupe 825 ayants-droits de victimes du crash s'apprête à organiser, en tenant compte des conditions sanitaires de la crise du Covid-19, le onzième rassemblement de commémoration, le 29 juin prochain à Marseille.
Ce procès, c'est "le but de notre combat (...). Si cela se concrétise, ça sera une grande victoire après des années d'attente et d'incertitudes", conclut Saïd Assoumani.
Les avocats des familles de victimes ont exprimé leur "satisfaction". "Pour une fois que dans ces dossiers-là, la justice va sans hésitation aux évidences, on ne peut être que content", a indiqué Me Jean-Pierre Bellecave.
Selon Me Gérard Montigny, un autre avocat des familles des victimes, celles-ci attendent d'un procès éventuel "vérité" mais aussi "efficacité".
"Sur un plan pénal l'objectif n'est plus indemnitaire mais moral : seront examinées les questions d'accès à la vérité et la condamnation des responsables éventuels", indique l'avocat.
Une instruction complexe
"Dans un contexte normal il y aurait eu des poursuites judiciaires de personnes physiques identifiées dans la chaîne de responsabilités", indique Me Gérard Montigny.
Mais depuis l'accident il y a 10 ans, les responsables de la compagnie aérienne yéménite n'ont pas pu être entendus. Le contexte de guerre au Yémen, avec l'annonce de la destruction des archives de l'aéroport de Sanaa, les relations hostiles du pays avec la France ont considérablement freiné l'instruction.
Selon l'avocat, "Le parquet a ciblé la responsabilité majeure : la compagnie aérienne qui est de manière flagrante pénalement responsable".
"Les experts ont retenu des défaillances extrêmement importantes dans le comportement de la compagnie aérienne", précise Me Montigny.
"Nous allons faire des observations à ces réquisitions pour en discuter le contenu, dire que la compagnie Yemenia est hors de cause et demander un non-lieu", a réagi de son côté Me Léon Lef Forster, avocat de la compagnie aérienne.
En février 2015, le tribunal de grande instance d'Aix en Provence avait condamné la compagnie aérienne à verser plus de 30 millions d'euros de dommages et intérêts aux ayants droit de 70 victimes.
Cet accident, vu comme le plus grave de l'histoire des Comores, avait suscité un fort traumatisme. A Marseille, où la diaspora comorienne compte 100 000 membres, des milliers de personnes avaient manifesté contre les "vols-poubelle" à destination de l'archipel.
Le 30 juin 2009, l'avion s'était abîmé en mer au large de Moroni, la capitale des Comores. A son bord, 153 passagers et 11 membres d'équipage. Ils étaient partis de Paris ou Marseille à bord d'un Airbus A330 récent,et avaient changé d'appareil à Sanaa, au Yémen, pour un A310 vieux de 19 ans.
Mais ce n'est pas l'âge de l'avion qui a été critiqué mais la formation jugée insuffisante des pilotes.
Après analyses des boîtes noires, le Bureau d'enquêtes et d'analyses français (BEA) avait conclu que l'accident était dû "à une action inadaptée de l'équipage" au cours d'"une manieuvre non stabilisée".
La compagnie aérienne se voit également reprocher d'avoir maintenu ce vol de nuit alors même que les conditions météorologiques étaient défavorables, avec des vents forts, et que le balisage de l'aéroport dysfonctionnait.