Alors que le déconfinement a débuté le 11 mai, certains lieux restent eux, fermés au public. C'est le cas des cinémas. Mais à Marseille, ce n'est pas parce qu'il est fermé que l'Alhambra est à l'arrêt. Comment fait-il face ? A quoi va ressembler le cinéma d'après Covid-19 ? Le futur se dessine déjà.
Sa facade est reconnaissable d'entre tous, l'Alhambra à Marseille en impose depuis l'extérieur. Il trône dans le quartier Saint-Henri, du 16ème arrondissement, face à la place Raphel.
L'Alhambra en impose aussi par sa fréquentation. Près de 60.000 spectateurs viennent dans cette salle sur une année. C'est l'équivalent du stade Vélodrome un soir de match.
Ce lieu est aussi plus qu'un cinéma. "C'est un lieu de vie, d'échanges avec de nombreuses animations". C'est une institution dans la ville et encore plus ici dans les quartiers Nord.
William Benedetto est à la tête de l'emblématique cinéma depuis dix ans et y travaille depuis vingt ans.
"Notre cinéma fait partie de son territoire et joue un rôle social et culturel, en journée avec l'accueil de plus de 7.500 scolaires par an, et le soir comme cinéma de quartier", détaille son directeur.
Pour ce passionné, il n' y a pas que le cinéma qui compte. "C'est un lieu de divertissement, de diversités culturelles, de rencontres, d'animation de vie sociale, d'ouverture sur le monde".
Estampillé Art et Essai, l'Alhambra est loin d'être élitiste. Au contraire, la volonté de son directeur, "est d'attirer tous les publics, même et surtout ceux qui n'ont pas l'habitude de fréquenter les salles obscures". Voilà, le décor est posé.
Confinement et fermeture à durée indéterminée
C'était la dernière séance, un 15 mars au soir. Sans trop s'y attendre, sans y être préparé, la nouvelle est tombée : fermeture."Dans un premier temps, on a cru que ce serait temporaire et que nous pourrions rouvrir rapidement", raconte William Benedetto.
Puis avec l'évolution de la situation sanitaire, "on a compris qu'il fallait réfléchir autrement et penser au présent, avant de penser au futur".
L'équipe s'est questionnée, interrogeant les personnes avec lesquelles elle avait l'habitude de travailler.
"A quoi pourrions-nous être utiles ? Puique nous ne pouvions plus projeter de films, il nous fallait devenir acteurs de notre quartier".Alors, pendant quatre semaines, le hall du cinéma s'est transformé en atelier de confection de masques, en partenariat avec le centre social de l'Estaque.
"Cinq à six bénévoles par demi-journées se sont relayés pour confectionner des masques en tissu. Le cinéma ne tournait plus, mais la vie à l'intérieur continuait", se félicite le directeur.
Pas question non plus laisser tomber les enfants, pour beaucoup en zone d'éducation prioritaire, ni les projets pédagogiques de près de 300 enseignants liés aux séances. L'Alhambra met en place un projet pédagogique, "Un jour – un court".
L’idée est de proposer au visionnage un court métrage par jour d’école, aux élèves du CP à la terminale, sur une plateforme en ligne.
"Après chaque visionnage, les élèves prennent le temps de revenir sur ce qui a été vu en répondant aux petites consignes qui sont proposées (écriture, discussion, dessin, émotions,…)", explique Amélie Lefoulon, directrice adjointe à l'Alhambra.
Chômage partiel et équipe reduite
Onze personnes travaillent d'ordinaire dans ce cinéma. Avec la fermeture, la moitié du personnel est au chômage partiel. L'autre partie travaille sur les projets pédagogiques.A l'arrêt depuis le 15 mars, aucune recette ne vient alimenter les caisses du cinéma. Le bâtiment est la propriété de la ville.
L'association qui l'occupe et fait tourner le cinéma, "L'Alhambra ciné-Marseille" paye un loyer symbolique pour l'occupation des lieux, "ce qui est un sérieux avantage", reconnaît William Benedetto.
Contrairement à d'autres petits cinémas de Marseille avec une seule salle, comme le Gyptys, la Baleine ou la Buzine, l'Alhambra perçoit des subventions des collectivités locales pour son travail avec les centres sociaux et les écoles de la ville.
Un sérieux coup de pouce pour tenir et réfléchir à l'avenir.
Quels films, pour quel public ?
Même si le gouvernement décide d'une réouverture de ces lieux le 2 juin, l'industrie cinématographique ne pourra pas redémarrer du jour au lendemain et comme avant.Une fois la décision prise, "il faudra près de quatre semaines aux distributeurs pour sortir des films", indique William Benedetto.
Les calendriers de sorties sont figés. "Nous avons encore quelques films que nous pouvons proposer, qui ne sont pas encore en VOD. Et les films prévus pour juin, que nous pourrons proposer cet été".
Selon le directeur, avec l'effet post-confinement ce sont "les films français et d'auteurs qui vont tirer leur épingle du jeu".
Avant le 15 mars, "il y avait une polémique sur le fait qu'il y avait trop de films, là ils auront plus d'espace pour exister, des premiers films, des films engagés, des films aux castings peu connus", selon William Benedetto.
"Les salles de cinéma ont aussi un rôle à jouer dans la diffusion de films plus confidentiels, pour les faire découvrir". D'autant plus que les festivals de cinéma ont été annulés.
Les spectateurs sont prêts
William Benedetto et son équipe se veulent confiants."Le cinéma est un lieu qui compte pour les Français, et nous savons que quelque soit le cinéma fréquenté, les spectateurs sont fidèles".Même s'ils s'attendent à une baisse de fréquentation, "l'engouement est là", assure le directeur.
Tous les jours, l'équipe du cinéma reçoit des messages d'habitués sur les réseaux sociaux. "Ils nous demandent quand est-ce que nous allons rouvrir ?" Dans la rue, les habitants du quartier, attachés à leur salle, "nous disent qu'ils ont hâte de revenir".
"Et puis, si l'on rouvre cet été, et bien avec la chaleur, les gens seront contents de venir se mettre au frais".
Après ces mois de confinement, les spectateurs ont envie de s'évader et le grand écran le leur permet, William Benedetto en est persuadé.
"Les séries sur petit écran, tablettes ou smartphone, en video à la demande c'est bien, mais cela ne remplacera jamais la magie du cinéma et les émotions du grand écran".
Gestes barrières, mesures sanitaires et plaisir
L'Alhambra propose 230 fauteuils à ses spectateurs. "Alors même si nous devons baisser la jauge de moitié pour respecter les distanciations sociales, on proposera quand même un bel espace à notre public", détaille William Benedetto.
Le directeur le sait, le cinéma et la façon de s'y rendre ne sera plus jamais pareille, en tout cas pour un bon moment encore.
"Nous allons réfléchir à des animations pour égayer cette reprise, dans l'ambiance port du masque, gel hydroalcoolique et désinfection de salle".
Le directeur et son équipe réfléchissent à remettre de la vie et jouer sur davantage d'interaction, "avec des invités comme des acteurs et des réalisateurs pour venir échanger sur scène".
Reste à connaître la teneur de la progammation "après ces mois de confinement, il faut réfléchir à ce que les gens ont envie ou besoin de voir".
C'est donc à partir de début juin que les équipes de l'Alhambra vont plancher sur la future programmation.
"Un défi ambitieux, mais humble à la fois", conclut avec toujours autant de passion, William Benedetto.