La destruction de l'historique bâtiment de pierres débute. À la place, une maison d'arrêt de 740 places sera édifiée d'ici 2025, à côté d'une première extension de 1.182 places, ouverte en 2017. Une page se tourne pour le centre pénitentiaire de Marseille ouvert en 1939.
Entre ses murs, les détenus célèbres se sont succédé, des parrains de la "French connection" à Bernard Tapie: théâtre de la dernière exécution de France, la prison des Baumettes à Marseille a aussi symbolisé un système carcéral à bout de souffle.
- Les Baumettes, les années noires
Si leur construction s'achève en 1938, les Baumettes ne deviennent officiellement une prison qu'en 1946. "Entretemps, c'était la guerre, la période noire", explique Pierre Raffin, directeur des services pénitentiaires du Sud-Est de la France. Le quartier, situé alors en pleine campagne aux portes des Calanques, a longtemps été "un lieu d'exclusion".
"On y a logé des Indochinois venus travailler à l'effort de guerre, des Juifs de retour des camps, des gitans et des Harkis. Les bâtiments eux ont abrité des chevaux de l'armée".
En 1942, des habitants du Vieux-Port sont raflés par la police française et l'armée allemande, leur quartier est rasé. Certains sont temporairement incarcérés aux Baumettes. "On ne sait pas combien ils étaient car il n'existait pas de registre d'écrous", explique Pierre Raffin.
"Les Baumettes serviront aussi de centre d'hébergement pour des Juifs et des résistants destinés à être déportés". Puis, à la Libération en 1944, 6.500 soldats allemands sont placés dans les cellules.
- Les Baumettes, reflet de la délinquance marseillaise
"L'histoire des Baumettes est calquée sur celle de la délinquance marseillaise", résume le patron de la pénitentiaire.
Après la Deuxième Guerre mondiale, les ex-collaborateurs sont rejoints par les bandits mafieux. C'est la période des Guérini, Antoine et son frère Barthélémy dit +Mémé+. Puis suit jusqu'en 1965-1968 "la +French connection+, dont tous les protagonistes seront écroués aux Baumettes".
Ce réseau mondial de drogue avait altéré les relations entre la France et les Etats-Unis, où se revendait l'héroïne fabriquée à Marseille. "Le plus gros truand de l'époque était +Nick Venturini+", se souvient Pierre Raffin.
En prison, ces caïds tentaient d'obtenir des avantages. Pour les agents, "pas facile d'être confrontés à ce milieu", accusé de l'assassinat du juge Michel en 1981.
D'autres grands truands marseillais comme Jacky Imbert, dit Le mat, Francis le Belge ou Gaétan Zampa, retrouvé pendu dans sa cellule en 1984, ont été emprisonnés aux Baumettes.
Bernard Tapie ex-patron de l'OM, y a fait un passage en semi-liberté dans l'affaire de corruption du match contre Valenciennes.
- Les Baumettes, des évasions inventives
Se faire la belle! Beaucoup ont tenté leur chance par les airs, en sous-sol ou avec des cordes de draps astucieusement tressées. Peu ont réussi. "La prison était bien faite avec ses hauts murs et ses miradors, pas facile de s'échapper", souligne Pierre Raffin.
En juin 1999, deux détenus fichés au grand banditisme tentent de s'évader par hélicoptère avec un pilote pris en otage par des complices. Mais trois détenus profitent de l'aubaine.
L'un des commanditaires, resté accroché à un filin, est tué par un gardien et l'appareil, trop lourd, doit se poser au sommet d'une calanque. Tous les évadés seront repris.
D'autres détenus ont quitté leur cellule plus tranquillement grâce au médecin-chef de la prison, Alain Colombani, qui leur avait fourni un faux certificat de fin de vie, sésame pour bénéficier d'une grâce médicale.
"Mais on s'est aperçu que ceux qui étaient à l'article de la mort en prison retrouvaient la santé une fois dehors", explique Pierre Raffin, et le praticien a rejoint ses complices derrière les barreaux.
- Les Baumettes, le dernier condamné à mort
"Il est jeune. Les cheveux très noirs, bien coiffés. Le visage est assez beau, des traits réguliers, mais le teint livide et des cernes sous les yeux. Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute".
Ainsi est décrit par la magistrate Monique Mabelly, témoin de la scène, le dernier homme exécuté par la justice en France. Le 10 septembre 1977, c'est aux Baumettes que la guillotine fonctionne pour la dernière fois, pour Hamida Djandoubi, 28 ans, condamné à mort pour le meurtre de sa compagne.
Aux Baumettes, le plafond des cellules des condamnés à mort avait la forme hexagonale d'un cercueil. Les détenus étaient prévenus de leur exécution quelques minutes seulement avec celle-ci, au lever du jour, après le rejet de la grâce présidentielle.
Pierre Raffin a observé que "ces détenus ne dormaient pas avant 5h du matin", l'heure à laquelle on venait les chercher pour la guillotine, "sauf la nuit du samedi car il n'y avait pas d'exécution le dimanche".
- Les Baumettes la "honte pour la République"
Prison "moderne" dans les années 1960, les Baumettes se dégradent rapidement.
A l'été 1987, la prison héberge 2.400 détenus pour 1.000 places, selon les archives de l'AFP. Des émeutes éclatent, les CRS interviennent. A la suite de ces incidents, le directeur prend une initiative inédite à l'époque: il équipe les cellules de télévisions et de frigidaires.
Mais en 2012, quand le contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue, découvre les cellules lépreuses, où prolifèrent rats et cafards, les fenêtres cassées, les fils électriques dénudés, les conditions d'hygiène déplorables, il dénonce des conditions de détention "inhumaines". Une "honte pour la République", tance le président François Hollande.
Malgré de grands travaux de rénovation, la destruction est actée. En 2018, les derniers prisonniers des "Baumettes historiques" déménagent.
Paradoxalement, pour les agents comme pour certains détenus, c'est un crève-coeur. "Ces vieilles structures étaient relativement bien pensées", explique Pierre Raffin, "ces prisons étaient petites et il y avait une proximité avec les personnels, une présence humaine".
En septembre 2019, les Baumettes ont ouvert au public pour quelques jours: des milliers de Marseillais ont visité cette prison mythique.