Abolition de la peine de mort : il y a 44 ans, le dernier condamné à mort de France était exécuté à Marseille

Il y a 44 ans, le couperet tombait pour la dernière fois en France. Condamné à mort, Hamida Djandoubi a été guillotiné le 10 septembre 1977, aux Baumettes, à Marseille. Pourtant, l’histoire n’a pas retenu son nom, mais celui de Christian Ranucci. Une affaire devenue symbole.

L’affaire Ranucci. Le pull-over rouge. Ce sont des mots que l'on a entendus, que l'on a lus. Des mots qui reviennent lorsque l’on évoque la peine de mort en France, les derniers condamnés.

Christian Ranucci a été guillotiné le 28 juillet 1976 à la prison des Baumettes à Marseille, cinq ans avant l'abolition de la peine de mort. Il n’est pourtant pas le dernier en France à avoir écopé de la peine capitale sans être gracié. Après lui, Jérôme Carrein puis Hamida Djandoubi ont connu le même sort. Mais c’est bien Ranucci qui restera dans les mémoires. 

Ranucci, genèse d'un procès retentissant  

Le 3 juin 1974, Marie-Dolores Rambla est enlevée devant chez elle, dans la cité Saint-Agnès à Marseille. Une heure plus tard, un conducteur brûle un stop à la sortie de Marseille et percute un autre véhicule avant de s’enfuir. Le 5 juin dans l'après-midi, Christian Ranucci est arrêté.

Après 18 heures d’interrogatoire, l'homme de 20 ans avoue l’enlèvement et le meurtre de la petite fille.

L'affaire aurait pu s'arrêter là. Mais quinze jours plus tard, l’homme dit qu'il ne se souvient plus de la mort de la fillette. Il accuse la police de l’avoir obligé à parler. A son procès, il nie tout avec véhémence. Il est condamné à mort le 10 mars 1976 avant d’être exécuté quatre mois plus tard. 

Le mystère du pull-over rouge

Au cours de l'enquête, un pull-over rouge est retrouvé dans une champignonnière, là où la voiture de Christian Ranucci s’est embourbée après l’accident. Mais les expertises prouvent que ce pull n’appartenait pas à Christian Ranucci.

C'est un élément crucial soulevé par le journaliste Gilles Perrault dans son livre "Le pull-over rouge", paru en 1978. Ce dernier affirme que le chien de la gendarmerie a retrouvé le corps de la fillette après avoir reniflé le vêtement. Il met clairement en doute la culpabilité de Ranucci et pointe l'erreur judiciaire. À l'époque, l’ouvrage fait beaucoup de bruit et l’opinion publique s'en empare.

Pour Jean-Louis Vincent, commissaire divisionnaire à la retraite, ça ne fait pourtant pas l’ombre d’un doute. Ce dernier, bien qu’il n’ait pas été concerné par l’enquête au moment où elle a éclaté en France, a publié en 2018 le livre "Affaire Ranucci : du doute à la vérité".

En se basant sur les éléments du dossier qu’il a pu consulter, Jean-Louis Vincent écarte le mystère du pull-over rouge. Selon le rapport du maître-chien Salerio, il n’a jamais fait renifler le fameux pull au chien, il s’agissait simplement du point de départ pour retrouver le corps de Marie-Dolorès. Salerio ne cite jamais le pull-over rouge dans son rapport. Mais le mal est fait.

"Dans l’opinion, ce livre a fait de terribles dégâts, explique le commissaire Vincent. Aujourd’hui, on entend encore que Ranucci était innocent. C’est grave". Trois demandes de révision du procès ont été déposées en 1979, 1987 et 1991. Elles ont toutes fait l'objet de rejets. 

"Aujourd’hui, le nom de Ranucci est attaché à la peine de mort"

"Ranucci est devenu le symbole de la terrible action que peut produire la guillotine, explique Jean-Louis Vincent. Aujourd’hui, le nom de Ranucci est rattaché à la peine de mort". Pour le commissaire divisionnaire à la retraite, Ranucci est aussi devenu un symbole car "il a cumulé toutes les choses qui pouvaient aller contre lui". 

En janvier, un garçon de sept ans est enlevé près de Troyes. C'est le petit Philippe Bertrand, victime de Patrick Henry. "La France a peur", et l'opinion s'affole. 

Jean-Louis Vincent rappelle également qu'en juillet 1976, au moment où son avocat, Me Lombard, va plaider sa grâce devant Valéry Giscard d'Estaing, un garçon de six ans, Vincent Gallardo, est assassiné, près de Toulon. La grâce de Ranucci est rejetée. 

Jean-Louis Vincent pointe également l'attitude de l'accusé, lors de son audience aux assises d'Aix-en-Provence. "Il a été d’une arrogance incroyable. Tout le monde l’a dit. Il n'a montré aucune empathie pour la victime et sa famille".

"Si Ranucci avait été condamné à perpétuité, si les circonstances atténuantes avaient été retenues, je suis certain que l'on en aurait plus parlé. Personne n'aurait rien dit", affirme le commissaire à la retraite. Il en a été autrement. Décapité, Ranucci est devenu un emblème, repris quelques années plus tard, lors du débat sur l'abolition de la peine de mort. 

Le discours de Robert Badinter

La prise de position de l'avocat Robert Badinter constitue un autre élément déterminant pour comprendre l'écho qu'a pris cette affaire. Invité sur TF1 en 1978, le futur garde des Sceaux se positionne contre la peine de mort et prend exemple sur l'affaire Ranucci.

"Il y a tout ce qui est d’abord le hasard judiciaire. Je prends l’exemple de Ranucci, condamné à mort. J’ai toujours pensé qu’il avait été condamné à mort parce que son procès s’était déroulé quelques jours après la découverte du corps du petit Bertrand à Troyes, donc dans le climat de passion que l’on imagine"

Robert Badinter met en cause un "appareil judiciaire entièrement tourné dans le sens de la conviction, de la culpabilité", attribué, selon lui, à "l’horreur que soulevait le crime, la mort d’une petite fille, au désir de fournir un coupable, et enfin, au climat de surexcitation qui régnait en France au moment de l’affaire de Troyes". "C’est tout cela qui a emporté Ranucci", conclut-il.

Plus tard, alors ministre de la Justice, Robert Badinter refait allusion à Ranucci dans son célèbre discours tenu devant l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981. "Je n'aurais garde d'insister, il y a trop d'interrogations qui se lèvent à son sujet, et ces seules interrogations suffisent, pour toute conscience éprise de justice, à condamner la peine de mort".

Le dernier condamné à mort non gracié, une histoire presque oubliée

Dans son discours pour l'abolition de la peine de mort, Robert Badinter passe rapidement sur le dernier guillotiné de France : "Djandoubi, qui était unijambiste et qui, quelle que soit l'horreur - et le terme n'est pas trop fort - de ses crimes, présentait tous les signes d'un déséquilibre et qu'on a emporté sur l'échafaud après lui avoir enlevé sa prothèse". 

Tunisien arrivé à Marseille en 1968, Hamida Djandoubi est condamné à mort pour tortures, actes de barbarie, viols et pour le meurtre de l'une de ses victimes, Elisabeth Bousquet. Il est décapité le 10 septembre 1977, aux Baumettes. Ce sera le dernier. 

Il existe peu de documents sur Hamida Djandoubi. Son nom n'a pas été retenu par l'histoire. Son histoire n'est pas devenue un symbole. Seul reste un témoignage glaçant, celui de Monique Mabelly, juge d'instruction désignée pour assister à l'exécution capitale de Djandoubi. 

Ecrites quelques heures après la dernière exécution capitale en France, ces neuf pages manuscrites décrivent dans un style sobre et dépouillé les dernières minutes d'Hamida Djandoubi.

"Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute"

La magistrate relate notamment le parcours du cortège jusqu'à la cellule du condamné : "des couvertures brunes sont étalées sur le sol, pour étouffer le bruit des pas"

Elle le décrit physiquement : "Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute", raconte ses dernières cigarettes : "C'est à ce moment que je vois qu'il commence vraiment à réaliser que c'est fini - qu'il ne peut plus y échapper - que c'est là - que sa vie, que les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette".

Monique Mabelly précise qu'une troisième cigarette lui est refusée. Mais tout s'accélère. L'aide du bourreau lui découpe le col de sa chemise, ses mains sont liées par une cordelette. Puis la guillotine. "un bruit sourd", "beaucoup de sang", et le tuyau d'arrosage. "Il faut vite effacer les traces du crime", écrit-elle. 

"J'ai en moi une révolte froide", conclut la magistrate. Légué dix ans plus tard à son fils Rémy Ottaviano, ce manuscrit est remis à Robert Badinter en 2013, avant d'être publié par Le Monde. Un document historique sur le dernier guillotiné de France. 

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