A Marseille, l'année s'achève sur une vingtaine de morts en lien avec le narcotrafic, qui avait fait 49 morts en 2023. Un bilan qui porte fortement l'empreinte de la DZ Mafia, devenue en quelques années le plus grand gang de Marseille et l'un des plus importants en France.
La montée en puissance de la DZ Mafia à Marseille s'est faite dans le sang. Pas une semaine sans des fusillades sanglantes autour de points de deal. Des dizaines de morts, victimes de la guerre sans merci que le gang de la Paternelle a livré au clan rival Yoda en 2023. Les opérations Place nette XXL et la chute du "Chat", rattrapé dans sa cavale au Maroc, ont porté le coup de grâce au clan déjà très affaibli et marqué une nouvelle étape dans l'ascension de la DZ Mafia, en 2024. Les règlements de compte sont moins motivés par la vengeance et les guerres d'égo que par la volonté d'avoir la mainmise sur de nouveaux territoires juteux
A la recherche de nouveaux profits
"Il n’y a plus la vendetta qu’on a connue l’an passé avec Yoda, explique Rudy Manna, porte-parole national du syndicat Alliance Police, aujourd’hui, on a des meurtres qui sont commis par des réseaux qui veulent récupérer ou protéger des territoires".
On n’est plus dans un système de vendetta, on est dans un système de règlements de comptes pour les territoires.
Rudy Manna, porte-parole national Alliance PoliceFrance 3 Provence-Alpes
Les opérations anti-drogue, si elles n'ont pas éradiqué les trafics, ont fortement dérangé le business des narcotrafiquants qui ont dû rechercher de nouvelles sources de profits. L'année 2024 marque en cela un grand tournant pour la DZ, selon Bruno Bartocetti, responsable de la zone Sud du syndicat Unité SGP Police-FO. "Pour eux, l'important, c'est de rentrer de la trésorerie comme les grandes multinationales, donc ils se sont diversifiés dans les extorsions de fonds, le racket, tout ce qui peut rapporter de l'argent et 2024 a montré qu'ils étaient très présents dans ce domaine".
L'intimidation et le racket étaient déjà pratiqués du temps de la French Connection dans les années 70, à une différence près, souligne Bruno Bartocetti. "Aujourd'hui, la méthode, c'est : ou tu payes, ou tu meurs, aujourd'hui c'est beaucoup plus violent, on n'est pas là pour discuter".
Des alliances opportunistes avec le milieu
La DZ ne se limite plus au trafic de stupéfiants pour faire de l'argent, en étendant son territoire au-delà de la région. Lors de sa conférence de presse le 7 décembre dernier, le procureur de la République Nicolas Bessone a confirmé l'implication de la DZ dans le racket et l'extorsion de fonds, des modes opératoires empruntés au milieu traditionnel.
Plus de 20 personnes ont été interpellées dans le cadre de la mort d'un proche du rappeur SCH devant une boîte de nuit à La Grande-Motte en août. Mais le chanteur, qui "faisait l’objet de menaces de mort qui l’ont contraint à modifier ses habitudes de vie", était bien visé dans ce guet-apens. Plusieurs suspects dans cette affaire sont par ailleurs impliqués dans le racket d'une boîte de nuit à Cabries, sur laquelle la DZ voulait imposer sa gérance. Le procureur Bessonne a confirmé "la possibilité d'avoir des alliances dans des mondes criminels différents".
"Ils fondent des alliances pour éviter les vendettas et développer leur réseau" parce qu''ensemble, ils sont plus forts", confirme Rudy Manna. "Ces alliances sont très dangereuses, car ça va créer des groupes extrêmement forts, mais qui peuvent déraper vite, car chacun veut avoir la place du chef et ce sont des alliances de circonstances qui ne fonctionnent souvent pas sur la durée".
Des commanditaires tout-puissants en prison
Les méthodes du milieu, racket, menaces de mort, contrat... visent aussi désormais les membres de l'administration pénitentiaire, ce qui marque encore une étape dans la violence exercée par les narcotrafiquants. Et leur sentiment d'impunité. La directrice de la prison des Baumettes à Marseille et un de ses adjoints ont été mis sous protection et éloignés de leurs fonctions après qu'un contrat a été lancé par un détenu. Le commanditaire présumé serait Gabriel O., un des trois chefs actuels de la DZ.
"Ils sont tous en prison et ils continuent d’agir, ils ont plusieurs téléphones et ça leur donne un sentiment d’impunité, ils ne sont pas en liberté, ils sont dans leur cellule et ils passent leurs ordres de la prison, confirme Rudy Manna, les prisons sont devenues des passoires". C'est le défi auquel entend s'attaquer le nouveau garde des sceaux, Gérald Darmanin, qui veut renforcer l'isolement en prison des 100 plus grands narcotrafiquants.
En 2024, la DZ Mafia a aussi changé de stature. Son territoire ne se cantonne plus aux cités marseillaises, ni aux Bouches-du-Rhône ou à la région. Les narcotrafiquants marseillais opèrent loin de leur base, à Rennes, Dijon, Montpellier, et même à l'étranger. "La DZ est l’un des gangs les plus importants qu’on ait connus en France", souligne Rudy Manna, il est "extrêmement structuré et extrêmement dangereux". "Ils arrivent à mettre en place des stratégies, avec des individus bien placés au bon endroit, pour mettre à exécuter leurs missions".
Au nom de la DZ
La réputation de la DZ est à l'origine d'un autre phénomène rencontré par les policiers. De petits caïds se servent de la peur qu'inspire la DZ pour tenter de soutirer de l'argent à leur victime. Dimanche encore, le patron d'une épicerie du centre de Marseille a reçu un SMS signé d'un soi-disant membre de la DZ Mafia, lui réclamant 250 000 euros, a rapporté Le Parisien ce lundi.
"Des petits voyous ou des réseaux de seconde zone, prennent l'étiquette DZ Mafia pour impressionner et se faire entendre, confirme Bruno Bartocetti. "Certains utilisent le nom de la DZ pour racketter, mais ils ne sont pas à l’origine de tous les méfaits qui arrivent à Marseille et ailleurs", pointe aussi Rudy Manna. Le gang ne dément pas toujours, quand ça sert ses intérêts. Mais quand il estime que ça porte tort à sa réputation, il n'hésite pas à contester son implication haut et fort.
Comme dans le meurtre d'un chauffeur de VTC, abattu par un mineur de 14 ans et la mort d'un adolescent de 15 ans brûlé vif. Quand le commanditaire, un détenu de Luynes, s'est présenté comme un membre de la DZ, le gang a démenti en postant la vidéo d'une conférence de presse, avec armes et cagoules, à la façon des indépendantistes corses du FLNC. "Aujourd'hui notre nom est utilisé par de nombreuses personnes malveillantes et malintentionnées qui n'ont aucun rapport avec nous", explique la DZ dans cette vidéo.
Cette montée en puissance de la DZ Mafia en 2024 sera certainement évoquée lors la visite du ministre de la Justice jeudi à Marseille. Gérald Darmanin a annoncé vouloir faire de la lutte contre le narcobandistisme sa priorité. À Marseille, 23 homicides sur fond de trafic de drogue ont été comptabilisés depuis le début de l'année.