Après la saisie, le 15 novembre, d'1,2 tonne de cigarettes de contrebande sur le port de Marseille, Hervé Natali, responsable des relations territoriales de la Seita, sort de sa réserve pour dire son agacement et sa colère face à une situation qu'il juge inquiétante.
Contrefaçon et contrebande de cigarettes, font partie de son quotidien. Suite à la saisie de plus d'une tonne de cigarettes en provenance de Turquie, le 15 novembre, dans le Port de Marseille, Hervé Natali, en charge de la lutte contre le trafic de tabac pour Imperial Brands Seita, pointe une accélération du phénomène, dangereux pour les consommateurs. Contrebande ou contrefaçon, 40% du tabac consommé en France ne provient pas de chez les buralistes, mais des pays frontaliers.
Alors qu'une nouvelle hausse du prix du paquet de cigarettes se profile au 1ᵉʳ janvier 2025, Hervé Natali demande à l'État de revoir sa copie sur la fiscalité, qu'il juge "contreproductive", poussant les consommateurs à déserter les échoppes des buralistes. Il répond aux questions de France 3 Provence-Alpes.
France 3 Provence-Alpes : quelle est l'ampleur du trafic de cigarettes aujourd'hui ?
Hervé Natali : Le 15 novembre, 1,2 tonne dans le port de Fos-sur-Mer en provenance de Turquie, la semaine dernière à La-Seyne-sur-Mer, 1500 cartouches saisies émanant d'un petit réseau qui commercialisait du tabac sur Snapchat. La même semaine, cinq tonnes dans une manufacture de contrefaçon de cigarettes... Ce que l'on décrie depuis des années se fait au grand jour. En tout, 521 tonnes de tabac ont été saisies par la douane en 2023. Il y a deux ans, on a découvert la première usine de contrefaçon de cigarettes en France. On en est à sept aujourd'hui.
#Drôme : Une usine clandestine de #cigarettes démantelée par les #douaniers, 5 tonnes de #tabac et 4,7 millions de paquets saisishttps://t.co/nYPwo3OwvD
— UNSA Douanes (@UNSADouanes) November 24, 2024
France 3 Provence-Alpes : le phénomène n'est pas nouveau, mais est-il en évolution ?
Il y a un énorme réseau international qui a été démantelé la semaine dernière, comportant plusieurs connexions européennes avec les pays de l'Est, représentant 50 tonnes et 13 millions d'euros. Douze manufactures de contrefaçon de cigarettes ont été découvertes depuis le début de l'année en Belgique. Il y a une accélération de la contrebande, parce que des trafiquants qui étaient sur d'autres réseaux, d'autres trafics, je pense notamment aux stupéfiants, se diversifient. Le trafic de cigarettes rapporte beaucoup d'argent pour des risques moindres que les stupéfiants. En Turquie, le prix d’un paquet coûte en moyenne deux euros, revendu en France cinq ou six euros, vous êtes toujours encore largement en dessous du prix officiel. C'est très lucratif.
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France 3 Provence-Alpes : quels sont les risques de ce trafic pour les consommateurs ?
La question se pose de la qualité du produit, puisque le tabac est mélangé avec des choses extrêmement dangereuses, ce qui les rend plus nocives encore que les cigarettes officielles. Même chose pour les filtres. Dans la dernière usine découverte en Belgique, le tabac était posé à même le sol, mélangé avec des détritus. On a trouvé des traces de pneus et de déjections animales de type souris ou rat.
Plus de 10 000 annonces liées à la vente de tabac de contrebande ont été recensées , rien que sur Facebook, les six premiers mois de 2023.
Hervé Natali, responsable des relations territoriales d'Imperial brands SeitaFrance 3 Provence-Alpes
Et à l'arrivée, si un mineur veut acheter une cigarette dans une épicerie, il en trouvera. Et puis c'est extrêmement facile de se procurer du tabac moins cher sur les réseaux sociaux de type Snapchat, Facebook, WhatsApp, ou Leboncoin... C'est vraiment un problème de santé publique. Il ne faut pas oublier que les trafiquants exploitent des êtres humains qui travaillent dans les usines, sans voir le jour non-stop pendant des mois, sans même savoir où ils sont.
France 3 Provence-Alpes : en quoi la fiscalité encourage-t-elle ce trafic, selon vous ?
Le paquet de cigarettes pourrait passer à 12,70 euros en moyenne au 1ᵉʳ, janvier, soit 40 centimes de plus que prévu dans le plan national de lutte contre le tabagisme présenté il y a à peine un an.
La fiscalité visant à stigmatiser les fumeurs pour les faire arrêter, ça ne marche pas. Ce trafic montre que les consommateurs continuent de fumer, se fournissent en marge du réseau officiel des buralistes, et trouvent des paquets moins chers sur les marchés parallèles. Le prix d'un paquet de cigarettes recouvre 85% de taxes, il ne faut pas l'oublier.
La fiscalité fait sortir les consommateurs français du réseau officiel, mais ils continuent à fumer en s'approvisionnant différemment.
Hervé Natali, responsable de la lutte anti trafic de SeitaFrance 3 Provence-Alpes
Il faut s'inspirer des pays frontaliers, Belgique, Espagne, Italie, Allemagne où, le prix du tabac est moins cher, mais le taux de prévalence, c'est-à-dire le nombre de fumeurs de 18 à 75 ans est moins élevé. Il y a donc d'autres façons d'accompagner les fumeurs, qui souhaitent sortir du tabac, que de taxer.
France 3 Provence-Alpes : ... d’autant qu'avec le trafic, une partie les recettes fiscales s'envole en fumée ?
Le manque à gagner est estimé entre cinq et sept milliards d'euros de recettes fiscales non perçues par an, des recettes qui sont censées alimenter les caisses de Sécurité sociale. Par les temps qui courent, c'est dommage. Je suis en colère parce que je ne comprends pas que depuis des décennies, on continue à dire que la fiscalité, ça marche. Ça ne marche pas.
La contrefaçon représente 15% du tabac consommé en France. Et il commence à y avoir du trafic de cigarettes électroniques.
Hervé Natali, responsable de la SeitaFrance 3 Provence-Alpes
Si l'on regarde les derniers chiffres de Santé publique France, le taux de prévalence tabagique n'a pas fondamentalement baissé. Pour l'image, on constate qu'un traitement ne marche pas et on augmente la dose alors qu'il faudrait peut-être changer de médicament.
Que faut-il faire selon vous pour lutter efficacement contre ces trafics ?
J'ai l'impression de vider l'océan à la petite cuillère. Je m'occupe de la France entière et tous les jours, j'ai des sollicitations qui remontent du terrain, on traque, on fait les signalements nécessaires auprès des autorités françaises, mais il n'y a pas de contrôle possible partout. Il y a un colis à la seconde qui arrive par voie postale, c'est impossible pour les douaniers de tout contrôler. Donc, il faut beaucoup plus de moyens de lutte et adapter la législation. Et ne pas oublier que les consommateurs raisonnent juste du point de vue économique et ils regardent avant tout leur porte-monnaie.