Après le scrutin de ce dimanche 9 juin 2024, les Français ne s'attendaient pas être appelés aux urnes aussi rapidement. Les 30 juin et 7 juillet, ils vont devoir voter pour élire leurs nouveaux députés à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée. La politologue Christèle Lagier répond aux questions sur ce scrutin.
En Provence-Alpes-Côte d'Azur, le score du RN aux Européennes est de 53,43%. Un des plus élevés de France. Au niveau national, le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen sort largement vainqueur, avec 31,36% et une hausse des taux de participation. Des résultats qui étaient prévisibles selon les sondages d'avant scrutin. Ce qui l'était moins, c'est l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale, le soir même des résultats, par Emmanuel Macron et la programmation des deux tours des prochaines élections législatives. Le RN peut-il accéder au pouvoir ? Le barrage Républicain peut-il encore fonctionner ? À qui va profiter le très court délai de campagne ? Le point sur toutes ces questions avec la politologue Christèle Lagier.
1 - France 3 Provence : que dit ce score très élevé du RN en Provence - Alpes-Côte d'Azur ?
Christèle Lagier : Si je prends les analyses que je mène depuis plusieurs années sur le terrain du Sud-est, il y a un enracinement très fort qui est confirmé très largement. Là où le RN était très fort, il est devenu encore plus fort. C'est là qu'il fait ses meilleurs scores et avec une participation qui est en hausse sur ce type de scrutin.
On mesure la capacité de l'extrême droite à mobiliser son électorat quand on voit le taux de participation sur un scrutin qui, à priori, n'intéresse pas trop les gens. Cette dernière est inversement proportionnelle à la capacité à démobiliser les autres formations politiques. On se retrouve aussi avec une faiblesse des autres formations. Le parti au pouvoir a vraiment reçu une "raclée" sérieuse puisque le score est vraiment très bas. La gauche est complètement éclatée et les Républicains ont disparu du paysage politique.
Se pose alors la question de savoir où sont passés les électeurs de droite. Il y a quand même de fortes chances qu'une partie de ces électeurs ne soient plus chez les macronistes. On peut supposer qu'ils sont chez Reconquête pour les plus traditionalistes et conservateurs, mais aussi pour qu'une partie se retrouve au Rassemblement national.
On a tout de même un président qui nous explique depuis deux mandats que c'est lui, la seule opposition contre le Rassemblement national. Quand vous avez contribué à la destruction de la gauche, à la destruction de la droite et que vous expliquez que vous êtes le seul rempart, il ne faut pas s'étonner de se retrouver face à une extrême droite qui grossit.
Les personnes qui se sont mobilisées pour les Européennes ne sont pas forcément les mêmes qui vont se mobiliser pour les législatives.
Christèle Lagier, politologueFrance 3 Provence-Alpes
2 - Les électeurs vont-ils reporter ce même vote aux législatives ?
C.L. : L'électorat du Rassemblement national est très volatil. Les dernières analyses sur les élections passées, montrent que pour ce parti, il y a 4% d'électeurs fidèles et 40% de potentiels. Donc on est au maximum du vivier électoral possible du Rassemblement national sur ces Européennes. Ce qui va jouer, c'est qu'on est dans un temps très court. C’est-à-dire qu'il ne va quasiment pas y avoir de campagne. On va être dans un contexte de législatives, organisées début juillet, entre les départs en vacances et le fait que vous avez une partie qui va se désintéresser sans doute de ce scrutin.
Rappelons, quand même, que les dernières législatives étaient très peu mobilisatrices avec une abstention massive. Je pense qu'une partie des Français est susceptible de réitérer ce vote. Les personnes qui se sont mobilisées pour les Européennes ne sont pas forcément les mêmes qui vont se mobiliser pour les législatives. C'est très dangereux dans l'état de faiblesse des forces politiques actuelles.
3- C'est un pari risqué donc ?
Effectivement, le jeu qui est joué par le président de la République est un jeu un peu dangereux.
C’est-à-dire qu'en gros, il dit "vous n'avez pas bien voté, vous allez revoter". C'est un peu ça finalement : "dites-nous si c'est vraiment l'extrême droite que vous voulez". C'est risqué parce que la dissolution arrive très tard. Normalement, dans l'esprit de la Cinquième République, elle est utilisée pour régler les différends entre la majorité présidentielle et le pouvoir législatif. C'est différent. Les soucis existent depuis l'élection de l'Assemblée. Donc en fait là, ça arrive en dernière limite sur un scrutin européen. Mais parce que le président de la République a bien compris qu'il était délégitimé en France et qu'il allait perdre aussi une part de sa légitimité en Europe.
Mais en même temps, il valide aussi l'analyse faite par le Rassemblement national qui demandait cette dissolution. Quand on a un président qui est très affaibli, on a l'idée que derrière, on peut avoir une majorité. Alors soit il y a une stratégie, effectivement de dire si vous voulez de l'ordre, il va y avoir de l'ordre On est quand même dans une logique depuis plusieurs années où on a un néolibéralisme très autoritaire, avec des répressions, des manifestations, avec une tendance aussi à la dureté. Est-ce que finalement l'idée, c'est de poursuivre cette carte ?
4 - Le barrage républicain peut-il fonctionner ?
L'alliance des droites entre elles et des gauches est déjà compliqué, on l'a vu avec la multiplication des listes aux dernières élections. Il est peu probable que droite et gauche s'allient et encore moins que l'alliance aille jusqu'aux macronistes.
La relation aux électorats est très abîmée. La relation aux formations politiques est aussi très abîmée. Quel est l'intérêt des forces politiques ?
Très honnêtement, au vu des derniers scrutins, on voit bien que le front républicain s'essouffle et de manière très nette, il mobilise beaucoup moins.
Christèle Lagier, politologueFrance 3 Provence-Alpes
Toutes les formations politiques aujourd'hui ont de bonnes raisons de ne pas apporter leur soutien aux Macronistes. La Nupes est à l'arrêt. Il y a des fractures qui sont quand même très fortes. C'est un accord de gouvernement, ça n'a pas vraiment fonctionné. Pas sûr que ça puisse servir de base aujourd'hui à une nouvelle alliance. On se retrouve dans une configuration dans laquelle toutes les forces de gauche sont très affaiblies et avec une difficulté à décider de qui va conduire une liste commune.
5 - À qui profite ce délai aussi court ?
La campagne va être extrêmement courte. Cela va profiter aux forces qui sont déjà mobilisées et fortement mobilisés. Donc ça laisse la possibilité au Rassemblement national de récolter et un nombre de suffrages assez important. La stratégie du président, c'était de créer une forme de dramatisation. C'est une décision à laquelle les observateurs ne s'attendaient pas nécessairement. Cela oblige tout le monde à se repositionner, mais en fait ça se fait dans un contexte dans lequel le champ politique est particulièrement brouillé, dans lequel vous avez des électeurs qui sont relativement perdus par rapport aux différentes forces politiques. Et assez paradoxalement le Rassemblement national et le parti qui arrive le mieux à se situer. C'est quand même le parti le plus ancien, le parti le plus installé dans le paysage politique français, alors qu'autour, on a des formations politiques qui sont alliées de manière très variable aux différents scrutins et qui peinent à rassembler des électeurs, à stabiliser l'électorat.