Marseille : dans les rouages du blanchiment de l'argent des trafics de drogue

Ville portuaire connue pour ses cités rongées par les trafics de drogue, Marseille profite d'un marché du blanchiment d'argent international. Quentin Mugg, policier spécialisé, ancien capitaine à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière en démonte les mécanismes.

Quand on parle de blanchiment d'argent, on pense d'abord aux trafiquants de drogue. Mais ils ne sont pas les seuls à y recourir.

Les trafiquants d'armes ou les réseaux de la prostitution utilisent les mêmes réseaux, mais aussi les notables qui pratiquent la fraude fiscale ou l'abus de biens sociaux.

Les mécanismes du blanchiment d'argent n'ont aucun secret pour Quentin Mugg, ancien capitaine de police à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière de 2005 à 2015.

Désormais en poste à Europol, au centre européen de lutte contre le crime organisé, il vient de publier "L'argent sale : la traque" chez Fayard.

Dans ces réseaux souterrains, le cash circule par centaines de millions d'un bout à l'autre de la planète.

Le marché du blanchiment est international et Marseille y tient "une place particulière" d'une part parce que "c'est un port et il y a dans les zones portuaires plus de trafic qu'ailleurs", comme l'indique Quentin Mugg, et d'autre part à cause des trafics de drogue.

Des courtiers occultes

Et pour blanchir de l'argent, c'est finalement "très simple" souligne le policier même si "ça peut paraître surprenant". 

Certains montages de blanchiment peuvent être très complexes mais c'est rarement le cas dans le crime organisé, notamment le trafic de drogue à Marseille.

"On a affaire à des sommes d'argent en liquide et les mécanismes qui sont à l'œuvre pour blanchir cet argent, pour l'exfiltrer, sont des mécanismes très anciens qui existent depuis des siècles puisqu'on s'en servait déjà sur les routes de la soie", note-t-il.  

"L'idée consiste à avoir un ensemble d'agents, disposés un peu partout dans le monde et qui sont connectés entre eux et à qui on peut s'adresser pour remettre des sommes en liquide à un endroit, de manière à récupérer des sommes équivalentes - moins les commissions - dans un autre lieu", explique le policier spécialisé. 

C'est finalement aussi simple que de s'adresser à son banquier pour faire un virement à l'étranger...

Sauf que dans le cas présent, l'agent de change s'appelle "saraf" s'il est en Afrique du Nord, "moneybroker" aux États-Unis ou "dolleros" au Brésil.

Le blanchiment c'est déjà le signe d'un certain succès dans le crime.

Quentin Mugg

Dans ce système occulte, l'argent change de mains mais il ne se déplace pas physiquement. Explications.

La transaction se passe schématiquement ainsi. Le trafiquant marseillais rencontre un agent du courtier à Marseille (un collecteur), il lui remet une somme en espèces, par exemple 500.000 euros, à charge pour le saraf de lui remettre la même somme dans un autre pays, par exemple, les Émirats arabes unis.

"L'argent est déposé, un code est fourni, le nom du bénéficiaire est fourni, et dans un délai très court de 2 ou 3 jours, une somme équivalente est en devise, ici en dirham, sera remis à Dubaï", détaille Quentin Mugg.

Tour de passe-passe entre Marseille et Dubaï

Ce sont les mécanismes qui se cachent derrière qui intéressent les enquêteurs de la police judiciaire. Et surtout comment cet argent déposé à Marseille peut-il s'évaporer pour réapparaître ni vu ni connu à Dubaï ?

"C'est là que ça devient très intéressant, on comprend qu'en réalité ce saraf achète et vend de l'argent comme on achèterait et on vendrait une marchandise", explique Quentin Mugg. 

"En réalité quand il prend l'argent du trafiquant, il ne fait rien d'autre que le lui acheter pour le revendre ailleurs", ajoute-t-il. 

Et pour les enquêteurs, la grande question c'est: à qui revend-on cet argent? 

"On le revend à des individus qui ont le besoin inverse, répond Quentin Mugg, il sont de l'argent caché ailleurs, loin, et ils veulent le récupérer à Marseille et pour cela, ils s'adressent à ce courtier".

À ce bout de la chaîne, on peut trouver "n'importe qui", selon Quentin Mugg, des entrepreneurs impliqués dans des abus de biens sociaux, et souvent des fraudeurs fiscaux. 

"Ces gens ont caché de l'argent par exemple aux Bahamas ou au Panama, ils veulent le récupérer mais sans se faire repérer par les autorités et notamment par Tracfin qui surveille les transactions frauduleuses ou suspectes."

Un business très rentable

La manip consiste alors à racheter cet argent auprès du même courtier, en payant à leur tour une commission.

"Et c'est là que l'opération devient extrêmement rentable, parce que le courtier prend une commission au trafiquant et une commission à celui à qui il revend l'argent", fait remarquer Quentin Mugg. 

"Et c'est en cela que le blanchiment est passionnant, car il est au carrefour des criminalités, pour une raison simple: l'argent est le moteur de la criminalité". 

En bout de course, celui qui s'adresse à un tel courtier pour frauder le fisc récupère donc de l'argent qui vient du crime organisé, offrant "un débouché au trafic de drogue international". Un complice qui s'ignore?

Parce qu'il sont à l'étranger, les courtiers se font rarement prendre la main dans le sac de billets.

Mais en octobre 2019, l'un des plus gros dossiers européens de blanchiment de l'argent de la drogue a été jugé à Marseille. 

18 collecteurs ont été condamnés à des peines de 2 à 10 ans de prison, pour avoir collecté et blanchi 70 millions d'euros en 15 mois, entre la France et le Maroc.

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