Face à l’inaction du département des Bouches-du-Rhône depuis janvier, Médecins sans frontières et Médecins du Monde ont déposé un référé-liberté au tribunal administratif de Marseille. Victoire pour certains mineurs non-accompagnés qui vont être pris en charge par le Département.
Le message peint en lettres rouges flotte sous une fenêtre du cours Honoré-d’Estienne-d’Orves, à Marseille : "Etat hors-la loi, la justice doit rendre des comptes aux mineurs".
Derrière les vitres, une quinzaine de jeunes hommes, mineurs non-accompagnés (MNA), dorment tous les soirs dans un dortoir.
Un pâté d’immeubles plus au sud, rue Breteuil, quinze autres adolescents logent dans une auberge de jeunesse. "Vassal, fais ton travail. Non-assistance à mineurs en danger", indique ici une large banderole accrochée au balcon du 3e étage.
En janvier dernier, Médecins sans frontières (MSF) avec l’aide de l'association JUST ont sorti en urgence plus de 80 mineurs de la rue.
À défaut d’avoir été mis à l’abri par le département des Bouches-du-Rhône, dont un des rôles est la protection de l'enfance, ils se sont retrouvés dans ces logements provisoires du centre-ville de Marseille, ou à la Pointe Rouge, dans un club nautique.
Son portable glissé dans la poche de son pantalon crachote une musique religieuse. "Le gospel m’aide à garder le sourire", explique-t-il.
Le jeune homme ne souhaite pas évoquer son passé pour ne pas "remuer le couteau dans la plaie". Simon regarde plutôt l’avenir : "J’aimerais retourner à l’école, suivre une formation. Trouver une situation stable, durable". Alors, comme tous les autres, Simon attend.
Fin du dispositif de logement d'urgence le 31 mai
Le dispositif d’hébergement d’urgence prend fin le 31 mai. "Nous avions prévenu en amont le Département. Ils étaient au courant de la dimension éphémère de notre action", assure Aloys Vimard, coordinateur pour MSF.L'ONG, dont le budget dépend des dons privés, a déjà versé près de 300.000 euros pour ces hébergements. La crise du coronavirus a mis l’association dans une situation financière difficile. MSF a dû mener de front la lutte contre sur l’épidémie et sauver ces mineurs à la rue.
"C’est absurde dans un contexte pareil. C’est le rôle du Conseil départemental", dénonce Aloys Vimard.
Les équipes du département assurent de leur côté avoir été prévenues le 12 mai de la date de fermeture des hébergements mis en place, soit le 31 mai.
Suite à quoi elles affirment avoir répondu le 15 mai, en assurant mettre tout en oeuvre pour les mineurs figurant sur la liste fournie par MSF.
L'Association Départementale pour le Développement des Actions de Prévention des Bouches-du-Rhônes (Addap 13), qui dépend du Département, est en effet missionnée pour s'occuper de ces mineurs non-accompagnés.
Un référé-liberté déposé au tribunal administratif
Le confinement n’a rien arrangé. Le premier bureau d’accueil de l’Addap a fermé le 17 mars. Parmi les mineurs recueillis par MSF, 22 font l’objet d’une ordonnance de placement provisoire (OPP). Elles n’ont jamais été exécutées durant cette période de crise sanitaire.Face à l’inaction des pouvoirs publics, les associations MSF et Médecins du Monde ont déposé le 20 mai un référé-liberté au tribunal administratif de Marseille pour que le département des Bouches-du-Rhône prenne en charge ces mineurs.
"Le Département a parfaitement connaissance de l’urgence absolue de la situation, pourtant aucune solution concrète de relogement et de prise en charge n’est proposée à ce jour", déplore MSF dans un communiqué.Un référé-liberté a été déposé au tribunal administratif de #Marseille afin d'assurer la prise en charge de 67 enfants, aujourd'hui hébergés par des associations alors qu'ils devraient l'être par le conseil départemental des @bouchesdurhone https://t.co/LYTyCIBmc6
— MSF France (@MSF_france) May 20, 2020
"On a vu que les décisions concernant les jeunes étaient intervenues pendant le confinement, réplique le Département. On n'avait pas eu le temps de les prendre en charge".
"Ils doivent être logés, nourris, éduqués. Cela ne se fait pas en un claquement de doigt. On lui trouve une structure pour qu'il puisse avoir un parcours", explique les équipes du Département.
L'ordonnance est tombée le mardi 26 mai : le tribunal administratif de Marseille ordonne au département "une prise en charge individuelle, sociale, sanitaire et éducative adaptée", et ce dans un délai de 8 jours.
Le Département et MSF sont en train de s'organiser pour agir au plus tôt, avant le 31 mai.
Cette victoire concerne uniquement ceux dont la minorité a été vérifiée. Sur les 59 mineurs listés par les ONG, 18 sont en attente d'être considérés comme mineurs, d'autres sont majeurs. Pour ces derniers, aucune prise en charge du gouvernement n'est prévue.
Les majeurs doivent en effet être pris en charge par les services de l'Etat.
Des mineurs en situation de "grande souffrance psychologique"
Un soulagement pour une partie de ces jeunes, dont la situation est critique tant au niveau sanitaire que psychologique. Dans un contexte de Covid-19, MSF a fait son possible pour mettre en place des mesures d’hygiène dans ces logements d’urgence. "Mais c’est presque impossible dans un dortoir de 15 personnes", constate Aloys Vimard.Une infirmière a été employée par MSF. Des soins psychologiques sont également apportés. "Certains sont isolés, ne parlent pas, ne sortent pas. Ils sont dans une très grande détresse, très fragiles, vulnérables".
Une partie de ces jeunes hommes sont actuellement en procédure pour faire reconnaître qu’ils ont bien en dessous de 18 ans. D'autres ont atteint la majorité pendant les mois d'attente.Ce sont des mineurs avant d'être des migrants.
"Ils sont perdus, fatigués après un parcours inimaginable pour arriver ici. Lors des entretiens, une hésitation peut être interprétée comme un mensonge", déplore Aloys Vimard qui se bat pour la présomption de minorité.
"Ce sont des mineurs, des enfants, avant d’être des migrants, martèle Aloys Vimard. Tous les enfants doivent être sous la protection du département".
Ils viennent d'Afrique de l’Ouest, du Pakistan, du Bangladesh, de Libye… "S’ils sont là, c’est qu’ils n’ont pas eu le choix de partir. Certains ont risqué leur vie pour venir. C’était une question de vie ou de mort. Ici, c’est la mort à petit feu", constate celui qui a travaillé des mois à bord de l'Aquarius, le navire affrété par l'association SOS Méditerranée.Ils deviennent des invisibles, des indésirables.
En ignorant leur situation pendant des mois, le Département n'a fait que creuser leur "souffrance psychologique", selon Aloys Vimard.
"Ils deviennent des invisibles, des indésirables. Même si leur résilience est incroyable, ils sont déracinés, déboussolés. Et abandonnés."
MSF fait face à un problème "chronique". "C'est une question de volonté politique, estime Aloys Vimard. On devrait pouvoir montrer que c’est moins coûteux de prendre le problème à la racine et d’agir rapidement, plutôt que d’attendre que les associations prennent le relai et que la justice finisse par obliger le Département à agir".Une question de volonté politique.
Fin avril, le tribunal administratif de Marseille a déjà ordonné au conseil département des Bouches-du-Rhône de mettre à l’abri une soixantaine de mineurs africains non-accompagnés jusque-là hébergés par le squat Saint-Just. Un établissement surpeuplé en pleine épidémie de coronavirus. Le service de l'aide sociale à l'enfance du département des Bouches-du-Rhône accueille 1074 jeunes mineurs isolés migrants, à l'heure actuelle. Soit "plus d'un quart" des mineurs qui lui sont confiés.
"On est toujours en train d'essayer de trouver des solutions", assure de son côté le Département qui a déjà commencé à prendre les choses en main.
Les équipes ont pris contact avec trois jeunes avant l'audience. Une petite lueur d’espoir confortée par l'ordonnance du tribunal quelques jours plus tard.
Samedi 23 mai, plusieurs jeunes mineurs de confession musulmane ont organisé une soirée pour fêter l’Aïd el-Fitr. Ils se sont débrouillés pour utiliser un restaurant et préparer un beau repas. Ils n'ont bien sûr pas oublié de convier les bénévoles avec qui ils ont tissé des liens forts.
Ils ont même déposé un petit mot d’excuse pour les voisins, au cas où ils feraient trop de bruit.
*Le prénom a été modifié.