Dans une étude publiée le 18 septembre dans la revue scientifique internationale "The Lancet", le Dr Jérémy Khouani, médecin marseillais, met en corrélation la migration et les violences sexuelles dont les demandeuses d’asile sont victimes.
Les résultats font froid dans le dos. Près de 5% (4.8%) des demandeuses d'asile ont subi un viol au cours des 12 derniers mois de vie en France. La revue scientifique "The Lancet - Regional Health Europe", a dévoilé le 18 septembre une étude sur les violences sexuelles subies par les migrantes. C'est le Dr Jérémy Khouani, médecin généraliste dans le 3ᵉ arrondissement de Marseille, qui a inité et mené cette étude.
Il y a trois ans, Jérémy Khouani lance une enquête de santé publique, avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et la faculté de médecine d’Aix-Marseille. Il sélectionne 273 femmes demandeuses d'asile avec l’aide de l’Office français de l'Immigration et de l'Intégration. Résultat, les demandeuses d'asile ont 18 fois plus le risque d’être victimes de viol en France, que les Françaises de la population générale.
"La débrouille, c’est la vulnérabilité et le chantage sexuel"
À l’issue de cette étude, l’enseignant-chercheur constate que certaines personnes sont plus à risque que d’autres. Celles qui sont isolées, et celles qui n’ont pas de compagnon en France. Aussi, parmi les 84 femmes qui ont déclaré avoir subi des violences sexuelles sur le territoire français, 17 ont déclaré avoir subi un viol, dont 15 plus d'une fois.
Celles qui n’ont pas bénéficié d’un dispositif d’aide à l’hébergement, quel qu’il soit, sont, elles aussi, plus à risque. "La débrouille, c’est la vulnérabilité et le chantage sexuel. 27,9 % des femmes interrogées ont eu des propositions de services (hébergement, nourriture, vêtements…) en échange de relations sexuelles", souligne le Dr Khouani.
Les femmes originaires d’Afrique de l’Ouest sont, elles aussi, davantage victimes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : parmi l’échantillon de femmes interrogées, 56,3 % des femmes africaines ont subi une mutilation sexuelle avant d’arriver en France. En 2021, 26,4 % ont obtenu une protection internationale.
Améliorer la prise en charge selon le profil
Connaître ces "profils" permet "d’organiser l’accueil et le soin de ces femmes. En tant que médecin généraliste, quand j’ai une femme qui cumule les facteurs de risque, je vais avoir une attention particulière. C’est quelque chose à prendre en compte dans les prises en charge", souligne le Dr Khouani. En Europe, les femmes représentent 31 % des demandeurs d’asile, d'après des chiffres de 2021.
L'enquête relève d’un travail de recherche en soin premier. Ce qui signifie qu’elle part de la consultation en médecine générale. "Dans la cadre du soin, nous sommes confrontés à ces situations de primo-arrivant demandeuses d’asile. Et on se demande ce que l’on pourrait faire pour améliorer les prises en charge de ces femmes", explique Jérémy Khouani.
Transformer l’émotion en action
Le médecin généraliste et son équipe a recueilli les témoignages de ces 273 femmes, dont la moitié d’entre elles viennent d’Afrique de l’Ouest, le reste du Moyen-Orient, d’Asie ou d’Europe. Excision comme stigmate de la place de la femme dans la communauté, insécurité sociale exposant aux violences sexuelles, normalisation des faits de violences sexuelles… autant des récits qui bouleversent.
"On est humains et ces récits nous touchent. Mais il y a une relation soignants-soignés qui nous donne de l’énergie. On essaie d’améliorer les situations à l’échelle de la population et il faut se prévenir pour ne pas être envahi par l’émotion. La gestion des émotions fait partie des attentes professionnelles d’un médecin et il faut transformer l’émotion en action."
Dr Jérémy Khouani, médecin généralise à Marseille
Ce qui permet à Jérémy Khouani de tenir, c’est la diversité de son activité. Tantôt médecin généraliste dans une maison médicale, tantôt enseignant-chercheur. Chaque lundi, il effectue des permanences d’accès aux soins de santé mobile, pour les personnes en situation de précarité qui n’ont pas de couverture maladie.