Disclose et Forensic Architecture ont présenté une contre-expertise, mardi, qui remet en cause la "mort accidentelle" de l'octogénaire en marge de la troisième mobilisation des "gilets jaunes" à Marseille. France 3 a interrogé Francesco Sebregondi, directeur du projet chez Forensic Architecture.
Un drame aux multiples questions. Le 1er décembre 2018, Zineb Redouane est touchée au visage par un tir de grenade lacrymogène dans son appartement marseillais, alors qu'une manifestation de "gilets jaunes" se déroule sous ses fenêtres. L’octogénaire meurt le lendemain des suites de ses blessures.
En juin 2020, l’expertise balistique a exonèré le CRS auteur du tir et conclu à une "mort accidentelle". Cette thèse est mise à mal par le média Disclose et Forensic Architecture, un groupe de recherche spécialisé dans l’utilisation de nouvelles technologies pour enquêter sur les cas de violences d’État.
Dans une vidéo de près de 12 minutes, ils reconstituent en 3D les événements à partir de vidéos publiées sur les réseaux sociaux et d'un rapport de l’IGPN contenant notamment des images de vidéosurveillance. "Selon notre enquête, la responsabilité du tireur et de son superviseur dans la mort de Zineb Redouane reste clairement engagée," déclare les auteurs. France 3 a interrogé Francesco Sebregondi, architecte de formation et coordinateur du prpojet sur la mort de Zineb Redouane.#ZinebRedouane est morte il y a 2 ans.
— Francesco Sebregondi ? (@FSBRG) November 30, 2020
Réaliser cette enquête nous a pris 2 mois.
Prenez 10 minutes pour comprendre ce qui s’est passé ;
Et encore 2 secondes pour diffuser autour de vous :
Parce que les faits en disent long.#JusticePourZineb@ForensicArchi @Disclose_ngo https://t.co/BZ4CEJzmfz
France3 : Qu'est-ce que Forensic Architecture ?
Francesco Sebregondi : C'est un laboratoire de recherche universitaire basé à la Goldsmiths University de Londres. Fondé en 2010, il regroupe des chercheurs issus de différentes disciplines : architectes, modélisateurs 3D, monteurs, cinéastes, chercheurs des nouveaux médias mais aussi des juristes. Nous travaillons ensemble pour enquêter sur des violations des droits humains et des droits environnementaux, à travers l'analyse spatiale et médiatique. On essaie d'établir des faits qui sont discutés ou disuctables à partir des traces qu'ils ont pu laisser dans l'environnement urbain ou médiatique.
Pourquoi avez-vous mené cette enquête avec Disclose ?
Nous nous sommes saisis de l'affaire par nous-mêmes, de façon indépendante. Nous avons pu consulter le rapport balistique officiel produit par des experts mandatés par la justice. Nous avons vu que leurs conclusions qui disculpaient la police et interprétaient le tir comme réglementaire faisaient complètement abstraction de l'environnement urbain. Ils ne concentraient que sur l'angle de tir utilisé par le policier et ne prenaient pas en considération l'environnement urbain au moment du tir. Or, nous étions en mesure de reconstituer la scène avec son environnement. Ça fait vraiment partie de ce qu'on essaie de faire avec Forensic Architecture, d'utiliser l'espace comme moyen de compréhension des événements.
Et nous avons cherché les réglementations en vigueur et vu que les instructions officielles du ministère de l'Intérieur précisent bien toute une série de consignes par rapport à l'environnement pour l'usage d'un lance grenade de type Cougar. Donc pour nous, le fait de pouvoir établir par la modélisation le contexte et de le prendre en considération nous permettaient d'infirmer la conclusion du rapport officiel. Et de rétablir ce qui est pour nous une évidence : la responsabilité du tireur, son superviseur et de la hiérarchie policière dans son ensemble sont engagées dans la mort de Zineb Redouane.
Quels sont les techniques que vous avez utilisées dans cette affaire ?
On a utilisé l'analyse de vidéos citoyennes mises sur les réseaux sociaux, l'analyse de captures d'écran d'images de vidéosurveillance tirées du rapport d'enquête de l'IGPN. Nous avons procédé à une modélisation détaillée 3D de tout l'environnement afin de situer les éléments et les différents acteurs, notamment le tireur, dans leur contexte. Et puis nous avons procédé une analyse des conditions balistiques de ce tir.
Y a-t-il d'autres dossiers qui vous intéressent ?
On ne peut pas encore en parler, mais Forensic Architecture est en train de développer une branche française qui va se saisir de différentes affaires de ce type afin d'être en mesure de fournir des contre-expertises scientifiques, et en même temps citoyennes et indépendantes dans des affaires qui impliquent les forces de sécurité de l'Etat.