Procès de la rue d'Aubagne : l'audition de Julien Ruas, l'ancien adjoint pointe les manquements de l'ancienne municipalité de droite

Au cœur du procès des effondrements de la rue d'Aubagne, les manquements de l'ex-mairie de droite ont été exposés au grand jour ce mardi 26 novembre par le tribunal, qui a mis en lumière le "manque de moyens endémique" des services dédiés aux immeubles en péril, malgré les alertes répétées.

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"Je réserve mes réponses pour le tribunal" a lancé Julien Ruas en arrivant au tribunal. Il n'a effectivement fait aucune déclaration à la presse ce mardi 26 novembre. La responsabilité du seul élu prévenu dans cette affaire, l'ex-adjoint au maire de Marseille renvoyé pour homicides involontaire et mise en danger de la vie d'autrui, a été décortiquée par le tribunal. L'ancien adjoint de Jean-Claude Gaudin, en charge notamment de la prévention des risques, devait répondre des différents manquements reprochés par la justice.

Des alertes non prises au sérieux

Le président Pascal Gand a énuméré les rapports alarmants, les études annonciatrices de catastrophes et les alertes lancées par les architectes des Bâtiments de France dans les années précédant le drame qui a fait 8 morts le 5 novembre 2018. Malgré ces coups de projecteur sur l'habitat indigne dans la deuxième ville de France, la mairie n'a pas donné les moyens adaptés aux services en charge de la prévention et de la gestion des risques urbains et de la police des immeubles en péril, à la charge de M. Ruas, a relevé l'accusation. Le directeur du Service de prévention et de gestion des risques (SPGR), Christophe Suanez, qui dépendait de M. Ruas, déplorait ainsi dans une lettre de début 2018, quelques mois avant le drame, que "le manque important" d'agents rendait "impossible le déploiement des moyens de sécurité civile et de sauvegarde". Terriblement prémonitoire, M. Suanez avertissait dans cette lettre au maire de Marseille que cette situation "pourrait avoir de lourdes conséquences, y compris pénales et médiatiques".

"La sécurité partout et pour tous" 

Évoquant Julien Ruas, Christophe Suanez a fait le portrait d'un élu peu investi. "Je n'ai pas le souvenir de l'avoir vu sur une intervention pour un péril grave", déclare celui dont les relations avec l'adjoint étaient "parfois compliquées pour des raisons de disponibilité". Répétant son mantra politique de l'époque, "la sécurité partout et pour tous", M. Ruas, quadragénaire physiquement imposant, mais à la voix faible, a reconnu à la barre que son service ne pouvait "réaliser que le minimum de la délégation". Les carences des services de secours et de prévention des risques de la ville de Marseille apparaissent criantes à la publication du rapport Nicol, en 2015, qui révèle que Marseille compte 40.000 logements
indignes. À ce moment-là, sollicitée par les services de l'État pour la rénovation d'un quartier dégradé, la mairie de Marseille est confrontée à ses limites. Arlette Fructus, alors adjointe au Logement, a raconté à la barre avoir senti, après une réunion avec la préfecture à ce sujet, "des réticences de la part de mes collègues, qui m'ont expliqué les difficultés à envisager une action de cette dimension du fait de problèmes d'effectifs".  "En l'état des forces en présence, on ne pouvait pas y arriver", confirme M. Ruas.

Le maillon faible de la lutte contre l'habitat indigne 

Début 2017, les élus finissent par alerter les plus hautes fonctions de la ville, et notamment le maire Jean-Claude Gaudin ( décédé en mai 2024), demandant le recrutement d'un architecte et d'un technicien pour les missions sur les bâtiments en péril. Dans cette lettre, lue à l'audience, Julien Ruas et Arlette Fructus estiment "impératif de dégager des moyens humains supplémentaires", pour ne pas "courir le risque d'apparaître comme le maillon faible de la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil". Une lettre restée sans réponse, Jean-Claude Gaudin, ayant expliqué aux enquêteurs : "c'est une tradition chez les adjoints de demander des emplois supplémentaires, je freinais du mieux que je pouvais".

L'ex-adjoint au maire se voit aussi reprocher de ne pas avoir utilisé une enveloppe de 6,5 millions d'euros votée en 2013 pour réaliser des travaux d'office dans les bâtiments dangereux. Le tribunal s'étonne qu'en quatre ans, seulement 350.000 euros aient été dépensés malgré l'état catastrophique de l'habitat marseillais. "La doctrine était d'inciter les propriétaires et rares ont été les fois où les propriétaires ont été défaillants", affirme M. Ruas. "Ce qui ressort de vos réponses, c'est une attitude très attentiste", tranche le président. En fin de journée, devant les réponses très évasives de l'élu, le président s'agace : "le procès, c'est aujourd'hui, Monsieur Ruas!"

"Des réponses politiques et non techniques"

Malgré les questions des avocats des parties civiles à propos de son attitude désinvolte, il ne cesse de répéter que son action et celle de ses services ne peut se faire que sur un signalement, "il donne des réponses politiques. En fait, la question technique, n'est pas suffisamment abordée et moi j'ai essayé de l'emmener sur ce terrain technique. Il faut répondre techniquement à des dangers qui sont aussi techniques, donc, et la question de l'insalubrité, vous voyez, elle a été balayée puisque quand on rentre dans un immeuble, certes, il y a des problèmes structurels, mais on voit aussi toute la dangerosité pour la santé des occupants", précise Aurélien Leroux, avocat de parties civiles.

Julien Ruas n'a cessé d'expliquer au juge que pour intervenir sur un immeuble dangereux, il y a un cadre légal précis. "Un agent municipal ne peut intervenir que s'il y a un signalement. Monsieur Ruas, je vais extrapoler ; il n'est pas dans les rues pour regarder si les gens viennent le voir, pour voir s'il y a des signalements. S'il y a un signalement qui est signalé à la mairie à ce moment-là, Monsieur Ruas fait intervenir ses services", détaille Erick Campana l'avocat de Julien Ruas.

Julien Ruas est le seul ancien membre de l'équipe de Jean-Claude Gaudin mis en examen pour homicide involontaire. Il encourt au maximum trois ans de prison et quarante-cinq euros d'amende.

Article rédigé avec Jean-François Giorgetti.

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