Un an avant les effondrements qui ont eu lieu dans la rue d'Aubagne à Marseille, en 2018, et qui ont fait huit morts, un expert avait alerté sur le risque que couraient les habitants. Le rapport a été ignoré.
Le 5 novembre 2018, deux immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille (Bouches-du-Rhône) s'effondraient provoquant la mort de huit personnes. Un an avant la catastrophe, un expert avertissait du "risque réel" que couraient les habitants du numéro 65, mais il n'a pas été écouté par les services de la Ville. C'est ce qu'a pointé le tribunal correctionnel de Marseille ce mardi 3 décembre, lors de cette nouvelle semaine d'audience du procès qui a commencé depuis début novembre.
Un rapport alarmant
Après l'audition d'Anthony Knellwolf, gérant d'une société d'ingénierie auteur d'un rapport alarmant en 2017, le président Pascal Gand a remarqué : "Vous êtes le seul à avoir clairement signifié la gravité de la situation et à vous être manifesté par des mesures adaptées". L'ingénieur avait été mandaté par un expert judiciaire pour un état des lieux du mur mitoyen entre le numéro 67, et le numéro 65.
À la barre, ce trentenaire est revenu sans hésitation sur ses observations d'octobre 2017 : le "bombement" du mur, les remontées capillaires d'eau, des fissures "qui avaient bougé en un an".
Ça ne voulait pas dire que ça allait immédiatement tomber, mais que si rien n'était fait, on ne pouvait pas prédire ce qui allait se passer.
Anthony KnellwolfAuteur du rapport
La conclusion de son rapport est alarmante : "ces désordres représentent un risque réel pour les biens et les personnes à court terme". Sa société prévient aussitôt l'expert judiciaire qu'il faut "procéder à une mise en sécurité du mur très rapidement".
L'ingénieur fait des préconisations claires : des solutions de confortement passant par la mise en place de structures de soutien provisoires, pour sécuriser le mur mitoyen. Ces travaux sont estimés entre 5.000 et 10.000 euros. Il demande également à pouvoir expertiser le mur mitoyen qui sépare le 65 du 63, qu'il soupçonne, à juste titre, de souffrir des mêmes désordres. La demande n'aboutira pourtant jamais...
Des problèmes qui n'ont pas été reliés entre eux
Destinataires de ce signalement important, les services municipaux de gestion et prévention des risques vont désamorcer l'alerte : l'agent municipal qui se rend sur place, quelques jours plus tard, n'est "pas au courant" du rapport et se contente d'un "constat visuel", qui ne lui semble "pas inquiétant".
Du côté des copropriétaires aussi, les conclusions de M. Knellwolf sont contestées, minimisées pour éviter une procédure de péril, ou des travaux coûteux. Le président du tribunal a tancé Gilbert Cardi, conseiller technique du syndic : "Le 23 octobre 2017, vous êtes saisi d'une alerte très grave, je ne comprends pas, pourquoi vous n'avez pas réagi ?" Le conseiller technique du syndic répond : "pour moi le mur mitoyen 65/67 n'était pas dans l'état de gravité décrit par Betex (la société de M. Knellwolf). Pour moi, il n'y avait pas de problème".
Un autre expert mandaté par le syndic, qui a avoué mardi ne même pas être allé des deux côtés du mur mitoyen lors de sa visite du 6 novembre 2017, concède aussi, ne pas avoir pris le temps de lire la note Betex avant son expertise. "Enfin, elle fait une page, pas 50 !", s'agace le président.
Une fois de plus, Xavier Cachard, l'un des copropriétaires et avocat du syndic de l'immeuble effondré, a plaidé "une succession de petits problèmes que personne n'a reliés entre eux". "Cet immeuble, le 65, c'est comme quelqu'un qui est malade : d'abord, il est très fatigué, ensuite il a un problème à un endroit de son corps et en fait, il est gravement malade". Il a ajouté avoir fait réparer les problèmes "un par un".
Pourtant, six ans après les faits, la copropriété n'est pas en mesure de produire une preuve qu'elle a fait réaliser des travaux d'étaiement suite au rapport Betex. "Apparemment, rien n'a été fait...", a noté le tribunal. Cela fait un mois que le procès a débuté, il doit encore durer deux semaines.