Lors d'un déplacement en Alsace, mardi 20 avril 2021, le Premier ministre Jean Castex a confirmé que 15.000 places de prison verraient le jour en France. À Marseille, près de 750 places seront créées à la prison des Baumettes. Un nouveau centre pénitentiaire sera construit au Muy, dans le Var.
"Une prison, c’est comme une centrale nucléaire : tout le monde en veut, mais pas chez soi" , regrette Jean-François Forget, secrétaire général de l'UFAP-UNSa Justice, premier syndicat dans l'administration pénitentiaire.
Confirmation au Muy, petite cité varoise proche de Draguignan : pour la maire (LR) Liliane Boyer, comme pour bon nombre de ses administrés, l'arrivée d'un nouveau centre pénitentiaire sur sa commune, à l'horizon 2027, c'est niet.
Certes il y aurait des emplois à la clé. Mais il y aurait aussi des expropriations, des terrains agricoles qui disparaissent. Et puis il y a déjà une maison d'arrêt à Draguignan, juste à côté. Alors une deuxième prison, non merci.
Le Muy et sa future prison
N'en déplaise aux habitants, la prison du Muy verra le jour à l'horizon 2027. Le Premier ministre Jean Castex l'a confirmé lors d'un déplacement à Lutterbach dans le Haut-Rhin, mardi 20 avril 2021.
Voir la déclaration du Premier ministre.
Le secrétaire interrégional Force ouvrière Pénitentiaire PACA-Corse Philippe Abime applaudit : "On est tout à fait satisfaits, cela fait des années qu'on le réclame !"
"C'est de bon augure, confirme Cyril Huet-Lambing, délégué régional du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS). Il faut éviter le surencombrement."
Envisagée depuis 2018, la construction de cet établissement, qui comprendra 650 places, fait partie d'un vaste plan de bataille visant à résorber la surpopulation carcérale en France.
Le plan prison détaillé
Initié par Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux entre 2016 et 2017, le plan prison a été repris par Emmanuel Macron dans son programme pour la présidence de la République, puis complété par les gouvernements successifs.
Dernière pierre à l'édifice, mardi 20 avril 2021 : la confirmation par Jean Castex, en déplacement sur un chantier de construction d'un centre pénitentiaire en Alsace, que 15.000 places de prison seraient créées d'ici 2027, via le réaménagement de plusieurs établissements pénitentiaires et la création de huit nouvelles prisons, dont celle du Muy.
Retard à l'allumage
Sur les 15.000 places de prison devant voir le jour, 2.000 ont déjà été construites, 5.000 seront mises en chantier à partir de 2022, et 8.000 seront livrées en 2027. Bien loin de la promesse initiale du candidat Macron de créer les 15.000 places pour 2022.
C'est que l'affaire prend du temps, beaucoup de temps, se justifiait la Chancellerie peu après l'élection du président Macron : il faut acheter des terrains, y mener des études, faire avec les petits tracas habituels du bâtiment.
"Le pôle de rattachement judiciaire d’Aix-en-Provence devait être fini pour 2019, et c'est toujours en cours", donne comme exemple le délégué régional du Syndicat pénitentiaire des surveillants, Cyril Huet-Lambing.
Ancien surveillant pénitentiaire de Marseille, auteur d'un livre paru en 2021 (Le trou à rats. Un surveillant dans l'enfer des prisons, aux éditions Fauves), Patrick Merly ne croit pas du tout à cet objectif de 15.000 places de prison, même avec du retard : "Impossible", dit-il.
Disparités régionales
En dehors de la future prison du Muy, 180 places supplémentaires seront créées au centre pénitentiaire de Toulon, à l'horizon 2023, avec l'apparition d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS).
Une autre structure similaire est prévue à Avignon, pour 2023. À Marseille, la prison des "Baumettes 3", forte de près de 750 places, devrait arriver à l'horizon 2025.
En revanche, rien pour Nice. La prison affiche pourtant l'un des taux de surpopulation les plus élevés de France.
Surpopulation carcérale
Avec 115 détenus pour 100 places de détention, la France fait pâle figure à l'international. Elle est le cinquième pays d'Europe où la surpopulation carcérale est la plus élevée, derrière la Turquie, l'Italie, la Belgique et Chypre, selon une étude de 2020 du Conseil de l'Europe.
Au centre pénitentiaire de Toulon, la surpopulation carcérale est de 125 %. À la maison d'arrêt de Draguignan : 107 %. Selon l'Observatoire international des prisons, il y avait au 1er janvier 2021 723 détenus pour 500 places disponibles, dans la maison d'arrêt pour hommes du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille.
Philippe Abime, secrétaire interrégional FO pénitentiaire PACA-Corse, parle d'un taux d'occupation de 130 % à la maison centrale d'Arles, seul établissement de la région à accueillir des détenus aux très longues peines (pour les peines inférieures à deux ans, les détenus sont orientés vers les maisons d'arrêt ; jusqu'à 5 ans, ils vont en centre de détention ; au-delà, direction la maison centrale).
"On est loin de l'époque où le taux d'encombrement était de 200 %, comme à la maison d'arrêt de Nice, reconnaît le syndicaliste. Mais d'ici à ce que les nouvelles prisons annoncées par Jean Castex soient construites, on a le temps de voir la population carcérale augmenter..."
La Justice en chantier
En effet, le projet de réforme de la Justice porté par l'actuel garde des sceaux Éric Dupond-Moretti, visant entre autres à modifier le système de réduction de peines, pourrait conduire à une hausse de 10.000 détenus en France, selon les chiffres du ministère de la Justice analysés par nos confrères de Public Sénat.
Le projet de loi sera examiné à l'Assemblée nationale à partir du mois de mai 2021.
Et quand s'arrêtera la crise sanitaire, le taux d'occupation des prisons risque de grimper en flèche : pour l'heure, il est plus bas car de nombreux détenus ont été libérés, et d'autres n'ont pas été envoyés en prison, afin d'éviter les risques de contamination.
Sentiment d'abandon
Dans ce contexte, la question du personnel pénitentiaire n'a pas été tranchée. Le gouvernement veut construire des prisons et augmenter les capacités d'accueil, mais il ne dit rien sur les effectifs de surveillants.
"Je n’ai pas entendu Éric Dupond-Moretti avoir de la bienveillance à l’égard des personnels, reproche Cyril Huet-Lambing. On ne recrute pas. On n'arrive même pas à remplacer nos retraités."
En début de carrière, un surveillant sorti d'école gagne 1.448 € nets. Le salaire atteint péniblement 2.200 € nets en fin de carrière. De quoi freiner les vocations, surtout quand on sait les difficultés que rencontrent au quotidien les surveillants : insultes, violence, système carcéral anxiogène.
"Est-ce que vous vous réveillez le matin en vous disant que vous voudriez bien être gardien de prison ?" En nous posant cette question, Cyril Huet-Lambing a tout résumé.