TEMOIGNAGE. 1943, rafle du Vieux-Port à Marseille, la mémoire à vif d'une petite-nièce

Le devoir de mémoire : c'est ce qui a poussé Aline Gani à nous raconter une partie de l'histoire de sa famille. Son grand-oncle et sa grand-tante ont été déportés entre le 22 et le 24 janvier 1943 à Marseille. Le régime de Vichy et les soldats allemands ont raflé 20.000 personnes au Vieux-Port où vivaient de nombreux juifs.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Le drame familial, raconté par Aline Gani commence fin janvier 1943 quand, avec la complicité du régime de Vichy, les occupants allemands évacuent 20000 habitants des vieux quartiers du Vieux-Port, surnommés la Petite Naples.

Parmi les personnes déportées à Marseille, le couple Pontremoli : Jacques, Fortunée et leur fille Rachel. C'est le grand-oncle et la grand-tante d'Aline GaniIls n'ont pas eu la chance d'échapper à la rafle du Vieux-Port en janvier 1943.

Jacques Pontremoli, frère de la grand-mère maternelle, sa femme Fortunée et leur fille Rachel ont été déportés dans le camp de Compiègne. Ils avaient un magasin de vêtements dans le centre de Marseille qui leur a été confisqué.

"Je sais qu'ils étaient dans un convoi pour Auschwitz parce que la famille était répertoriée au Yad Vashem", se souvient Aline Gani, le centre mémorial israélien à Jérusalem construit en mémoire des victimes juives de la Shoah perpétrée par les nazis.

En 1941, ses grands-parents, ses parents et sa soeur Colette s'installent au 61, rue Consolat dans le 1er arrondissement de Marseille. 

Aline Gani naîtra en 1947 et passera une enfance autour des non-dits et de la volonté d'en savoir plus.

Maurice le papa d'Aline écrit des phrases ou quelques mots chaque jour sur un agenda de 1943. Un agenda qu'Aline a restauré et qui lui permet de suivre le périple de ses parents pendant la guerre.

On trouve à l'intérieur des numéros de passeports, des comptes, des listes de courses ou encore des lieux de capitales européennes.

À la date du 24 janvier 1943, son père écrit "recensement". Si son père avait été déporté, il n'aurait pas écrit ces quelques mots ce jour tragique.

"Peut-être que mes parents étaient à Nice pour aller vers l'Italie?", s'interroge Aline Gani.

Elle est certaine que pendant la rafle de Marseille, ses parents n'étaient pas dans la cité phocéenne.

Aller à la campagne pour sauver leur peau 

En 1943, les Allemands commencent à arrêter tous les juifs sur Marseille. Et ça, les parents d'Aline l'ont très vite compris.

D'origine judéo-espagnole et de nationalité italienne, Maurice, Ginette et Colette partent alors en direction du village de Moena dans les Dolomites.

Quant aux grands-parents, Léon Sidy et son épouse Selma Pontremoli, ils sont hébergés par un couple grec, les Iliadis, à Saint-Laurent-du Cros dans les Hautes-Alpes. Ils restent là pendant deux ans jusqu'à la Libération.  

C'est seulement après que les grands-parents auront des nouvelles de la famille. Maurice, sa femme et leur fille quittent l'Italie pour aller en Suisse. 

Une famille de taiseux

Son père et ses grands-parents n'ont jamais raconté les rafles de deuxième Guerre mondiale. Dans sa famille, on ne parlait pas. "On ne m'a rien raconté, absolument rien !"

À partir des quatre pages de la biographie du grand-père Léon, elle tente de comprendre ce qui s'est passé durant cette période. Elle relit inlassablement les quatre feuillets.

À la maison, c'est bouche cousue. Aucune question sur les drames de la guerre et encore moins sur la disparition d'une partie de la famille Pontremoli.

Aline Gani a découvert l'histoire de la rafle de Marseille dans cette biographie. Elle a dû la relire des dizaines de fois pour comprendre les évènements. Le texte de son grand-père Léon prend tout son sens, "une chasse effrénée aux juifs".

Aline Gani fait des recherches seule pour reconstituer le puzzle manquant de sa famille.

"Récemment j'ai appris par quelqu'un qui vit en Israël que ma cousine Rachel déportée à Compiègne était très belle, et qu'elle s'était fiancée dans ce camp."

La belle cousine n'en reviendra pas. Rachel s'est donnée la mort à Compiègne. Un geste incompréhensible pour Aline Gani qui y voit la signature de l'horreur infligé par les Allemands à leurs prisonniers.

D'autres membres de sa famille ont disparu. "Personne ne sait ce qu'ils sont devenus, c'est pour ça que je parle aujourd'hui."

Le temps avance et Aline Gani continue encore ses investigations. Elle écrit alors à la mairie de Marseille pour en savoir plus, une lettre restée sans réponse.

 "J'ai perdu ma maman à 4 ans 1/2" 

Après la guerre, elle perd sa maman âgée de 38 ans d'une longue maladie.

Aujourd'hui à 75 ans, elle se souvient des moments de colère qui ont suivi cette période. Un questionnement perpétuel durant toute une vie.

Son père et sa sœur ainée Colette n'ont jamais abordé le décès de "maman Ginette" et encore moins les horreurs de la guerre. "Quand les traumatismes sont forts, on ne parle pas chez nous", renchérit Aline Gani.

Elle souhaite désormais inscrire le nom Pontremoli dans la mémoire collective. Une famille courageuse venue d'Izmir en Turquie qui a traversé plusieurs villes d'Europe pendant la première partie du XXème siècle.

Pontremoli, un nom rayé à jamais ce 24 janvier 1943.

L'histoire de la famille d'Aline Gani est dans un livre "En face de la maison de Ginette, il y avait deux poivriers", de Brigitte Camblain, ainsi que dans un film "De la mémoire à la reconnaissance". Réalisé en 2019 par Jean-Yves Rivaud et Hélène Léonard, il est projeté au musée de la diaspora à Tel-Aviv.

La justice française a reconnu en mai 2019 la rafle du Vieux-Port de Marseille comme "un crime contre l'humanité non génocidaire".

Soixante-seize ans après les faits, une enquête a été ouverte le 29 mai 2019 par le pôle du parquet de Paris spécialisé en matière de faits imprescriptibles. Elle fait suite à une plainte déposée par un avocat, Me Pascal Luongo, au nom de survivants de cet épisode relativement méconnu de la seconde Guerre mondiale.

Un procès est en cours en Allemagne à l'encontre d'un caporal-chef de la division "Totenkopf" (tête de mort) des Waffen-SS. Il était l'un des gardiens du camp de concentration d'Oranienburg-Sachsenhausen. À 101 ans, il est poursuivi pour sa complicité dans le meurtre de 3.518 personnes

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information