Un ex-gardien du camp nazi de Sachsenhausen, aujourd'hui centenaire, a été inculpé en Allemagne pour complicité de crime contre l'humanité. Pour les déportés de la rafle du Vieux Port en 1943 et leurs descendants, c'est l'espoir de voir ces faits oubliés enfin reconnus et jugés.
Son nom n'a pas été rendu public. On sait seulement qu'il fut gardien au camp de concentration de Sachsenhausen, l'un des plus importants de l'Allemagne nazie, entre 1942 et 1945. C'est là que 800 Marseillais furent déportés après la rafle du quartier Saint-Jean menée le 24 janvier 1943.
"C'est extraordinaire, je ne pensais pas avoir un jour un témoignage d'un coupable ou d'un complice, réagit Antoine Mignemi, président du collectif du 24 janvier 1943 qui regroupe 63 membres dont 11 rescapés.
Cet ancien SS a aujourd'hui 100 ans. Antoine Mignemi espère malgré tout qu'il répondra de ses actes. "Il faut que cette personne vive encore quelques temps pour que le procès puisse se faire, j'attends de ce procès la reconnaissance du crime contre l'humanité".
Un passé méconnu même à Marseille
12.000 Marseillais ont été raflés dans le quartier de Saint-Jean, puis transférés dans des wagons à bestiaux au camp militaire de Fréjus.
À l'époque, le petit Antoine avait 5 ans. "À 6 heures du matin, les policiers ont tapé à toutes les portes, nous habitions au 66, rue Sain-Laurent. Ils nous ont dit de prendre le minimum de bagages et de descendre dans la rue. Je ne mesurais pas l'importance de la chose, mais je me souviens très bien de la peur de mes parents", raconte-t-il.
La famille Mignemi est restée internée à Fréjus une semaine, elle a ensuite pu rentrer à Marseille. Tous n'ont pas eu cette chance.
L'avocat Pascal Luongo représente plusieurs familles de victimes, dont celles de deux déportés marseillais de Sachsenhausen : Marius Lombardi mort dans le camp allemand et Roger Agresti libéré le 2 mai 1945 par les Soviétiques.
En 2019, elles ont porté plainte contre « X » pour crime contre l’humanité, espérant ainsi retrouver d’éventuels responsables encore en vie des persécutions commises contre ces populations civiles marseillaises en 1943.
"Les familles estimaient que leur passé traumatique n’avait pas été pris en compte, aucune place ne leur était réservée dans les commémorations, la rafle était oubliée et ces faits méconnus même à Marseille."
Un travail historique et judiciaire
"Ce qu’elles attendent c’est une reconnaissance. C’est faire le travail historique et surtout judiciaire de faits que la loi prévoit comme les faits les plus graves et c’est pour cela qu’ils sont imprescriptibles", explique-t-il.
Roger Agresti est décédé en 2005. Pour ses fils Gérard et Claude, "il n'y a pas de ressentiment, mais la volonté que les choses soient dites, que la vérité historique de la rafle à la déportation de ces populations immigrées qui peuplaient les vieux quartiers soit rétablie".
"C’est une rafle xénophobe, rappelle Me Lungo, on vise les étrangers, principalement les gens qui sont des « criminels de race étrangère », selon le terme employé à l’époque. On vise les Italiens, les Napolitains mais aussi tous ceux sont soupçonnés de résistance, de banditisme…"
Dans la "Petite Naples" marseillaise, vivent aussi des juifs, des immigrés sénégalais, espagnols ou encore portugais. Pour les Allemands, ce quartier populaire est la "verrue de l'Europe". Quelques jours après la rafle, avec le soutien de Vichy, ils le rayent de la carte en dynamitant 1.500 immeubles sur 14 hectares.
"C'est un traumatisme que j'ai toujours gardé en moi. Et je me demande toujours pourquoi on n'a pas parlé de ce qui s'est passé le 24 janvier. Enfin, on parle de cette tragédie et ça me fait du bien", confie Antoine Mignemi.
Près de 80 ans après les faits, l'action judiciaire menée en Allemagne pourrait avoir des répercussions sur l'enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris. Me Lungo espère que "la justice française va se saisir de ce cas allemand et nommer un juge d’instruction pour une éventuelle mise en examen".
Selon Me Lungo, la justice française pourrait au moins demander à ce qu'il soit interrogé par les services d’enquête français, ouvrant la voie à un procès d’assises pour complicité de crime contre l’humanité.
La justice allemande a engagé une course contre la montre pour ne laisser aucun acte, même de complicité, impuni.
Entre un procès en France ou un procès en Allemagne, les rescapés de la rafle et les descendants devront cependant choisir.
"Le problème c’est qu’on ne peut pas juger deux fois le même homme pour les mêmes faits, donc il faudra faire un choix. Nous préférerions que la justice française puisse organiser la mise en cause de cette personne et organiser un procès d’assises en France. Si cela n’est pas envisageable à court ou moyen terme, nous pourrions alors faire le choix de nous constituer partie civile en Allemagne", souligne l'avocat.