Témoignage : à Marseille, bailleurs et locataires face au fléau des punaises de lit

À Marseille, des collectifs citoyens et associations réclament une prise en charge publique du problème des punaises de lit, auquel locataires et bailleurs sociaux doivent faire face dans les quartiers populaires. Témoignage d'une habitante du 11e arrondissement.

Lorsque les punaises de lit passent le pas de la porte d’un domicile, ils peuvent rapidement faire de la vie de ses habitants un cauchemar. "On n’en dort plus du tout, confie Sofia Aboudou. On dit que c’est rien, mais quand on a la peau toute dégradée et des tâches partout sur le corps, c’est difficile."

C’est au mois de février que les punaises ont pris possession du logement de cette jeune mère de cinq enfants et de son compagnon, habitants de la cité d’Air Bel, dans le 11ème arrondissement de Marseille.

"Un jour, j’en ai retrouvé une dans la couche de ma fille."

"Ça fait trois ans que j’habite là. La voisine du dessus m’avait dit qu’elle avait des punaises de lit. Mais je n’avais pas fait attention, je ne savais pas ce que c’était. Mais un jour, j’en ai retrouvé une dans la couche de ma fille."

Du plafond, du sol, des murs, les insectes pullulent. "Mes enfants n'arrêtaient pas de se gratter, ils s'écorchaient la peau. Ma fille de 5 ans en pleurait." Alerté, Erilia, le bailleur social, fait intervenir une entreprise de désinsectisation pour nettoyer le logement.

Des traitements remis en cause

"Les traitements ne sont pas efficaces, peste Djamila Haouache, du membre du collectif de défense des locataires d’Air Bel. Ce week-end, nous sommes allés dans le logement avec des bénévoles, avec des produits de traitement. Il y avait encore des punaises, alors qu’il y a eu six désinsectisations."

Le bailleur social, Erilia, lui, conteste. "L’entreprise prestataire nous a livré un certificat, qui atteste que toutes les punaises sont mortes", assure Nathalie Calise, la directrice de communication.

Dès lors, les opérations seraient suffisantes et ne nécessiteraient pas le traitement des parties communes, réclamées par le collectif de défense des locataires d'Air Bel. "À mon avis, tout le bâtiment est infecté", pense Djamila Haouache.
 

Mais là encore, le bailleur Erilia se défend : "Début septembre, nous avons fait une réunion technique, avec des pros de l’éradication qui ont expliqué eux-mêmes, devant les locataires, qu’ils déconseillaient de traiter les parties communes, et qu’il fallait se concentrer sur les zones de nidification des punaises."

Depuis janvier 2019, sur ses 70 appartements d’Air Bel, Erilia dit avoir mandaté des désinsectiseurs pour six d’entre eux, et fait vérifier une trentaine de logements attenants, "au-dessus, dessous et à côté".

"Aucun locataire n’a été abandonné."

Aux discours dénonçant l’abandon des habitants victimes de punaises de lit, le bailleur répond encore : "Aucun locataire n’a été abandonné. Il n’y a aucun intérêt pour nous à cela. Nous avons deux gestionnaires qui sont tous les jours sur place et nous prenons en charge, comme les deux autres bailleurs de la cité, 100 % du traitement."
 
Selon l’agence, le traitement d’un appartement revient à "1.000 euros". Sofia Aboudou, au RSA, et son compagnon ont tout de même dû mettre la main à la poche.

Face à la vampirisation de leur corps et de leur esprit par les punaises de lit, ils ont décidé de refaire le sol et le plafond de l’appartement, pour 2 000 euros, jusqu’à présent."J’ai aussi jeté tous les lits de mes enfants et tous les meubles, même certains que j’avais achetés et que je paye encore."

Le temps des travaux, depuis juin, toute la famille a trouvé refuge chez la mère de Sofia, dans le quartier. Sofia confie qu'elle a accouché avec deux mois en avance. Aucun doute pour la jeune femme, le stress et les déménagements nécessaires aux traitements en sont responsables. "Depuis, on dort dans le salon de ma mère, le bébé, mon compagnon, mes enfants et moi."

Un manque d'information ?

Sofia a aussi jeté la moitié de ses vêtements. Pour le reste du linge de cette famille de sept, elle a tout nettoyé à la laverie automatique, dans des machines à 90°C. "J’ai aussi vidé tout mon congélateur pour y mettre tout mon linge. J’avais vu ça dans une vidéo sur internet, où un médecin de La Timone disait que le froid et la chaleur  tuaient les punaises."

Des informations récupérées sur internet, et qui visiblement, ne sont pas connues de tous et conduisent à des comportements inappropriés. "Il n’y a aucune communication", se plaint Djamila Haouache.

"J'ai dû mettre le feu à un matelas dans la rue"

Souvent, la literie infestée, les meubles et les matelas finissent soit dans les parties communes, soit sur l’espace public, favorisant les contaminations. "Une fois, par précaution, j'ai dû mettre le feu à un matelas dans la rue", avoue Djamila Haouache.
 

Le bailleur Erilia, lui, met en avant sa "communication par les commissions techniques, auxquelles les représentants des locataires sont associés et particulièrement bien informés", tout en ajoutant que cela reste "un sujet compliqué, qui touche d’autres lieux, comme les transports." Mais aussi les hôtels ou les écoles, comme celle de La Cabucelle.

Sofia et sa famille espèrent rapidement regagner leur appartement refait à neuf. Peut-être dans la semaine. "On refera un passage avec les intervenants et les locataires", assure le bailleur, pour s’assurer que les nuisibles sont bien partis. 

Deux fois plus de sites contaminés depuis 2017

En juin, l'association Droit au logement (DAL) estimait à 400.000 le nombre de sites contaminés par des punaises de lit en France, soit deux fois plus qu'en 2016 et 2017.

Face à ce phénomène, locataires et bailleurs doivent faire face aux difficultés, faute de grand plan mené par les pouvoirs publics, pour lutter contre ce que des collectifs citoyens, associations marseillaises qualifient de "problème de santé publique".

"Sur le plan réglementaire, les punaises de lit sont considérées en France comme une nuisance, explique l’Agence régionale de santé PACA sur son site internet. À ce titre, elles ne sont pas reconnues comme un problème de santé publique et ne relèvent pas des prérogatives de l’Etat."

Plaquette d'information de l'ARS sur les punaises de lit


En l'état actuel des connaissances, officiellement, les punaises de lit ne transmettent pas de maladies. Mais des chercheurs, notamment du laboratoire IHU Méditerranée infection, à Marseille, mènent des études, dont des éléments montrent que les insectes seraient porteurs de bactéries entraînant des fièvres et des complications cardiaques.

Des chercheurs mobilisés 

Mais à ce jour, "aucune contamination à l'humain n'a été constatée, explique le docteur Jean-Michel Bérenger, entomologiste membre du laboratoire. Il n'y a donc toujours pas de problème de santé publique par rapport à cela."

Face à la recrudescence des punaises de lit qu'il constate, le chercheur questionne tout de même cet état de fait.

"Je vois des gens qui pleurent et sont dans des états de psychose. Ils n'arrivent plus à dormir. Sans sommeil réparateur, leur état psychologique est atteint par une cause extérieure. Cela pose un problème de santé publique. D'autant que certaines personnes n'ont pas les moyens de faire traiter." 
 
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