Ambinintsoa Andriankajarivelo, arbitre depuis dix-huit ans, a subi une violente agression de la part d'une équipe au premier jour du Mondial à pétanque. Elle revient sur cet incident pour tenter de faire évoluer les mentalités.
Une fête un peu gâchée. Dimanche 30 juin, à l'ouverture de la 63ᵉ édition de La Marseillaise à pétanque, une arbitre a été victime d'une violente agression sur l'un des terrains. Sous le choc, Ambinintsoa Andriankajarivelo, "Ambi", a reçu le soutien de tous ses confrères arbitres qui se sont mis symboliquement en retrait lundi matin. Au lendemain de l'incident, elle a accepté de livrer son témoignage à France 3 Provence-Alpes, pour "ne pas que cela se reproduise".
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Trois agressions en 18 ans d'arbitrage
"Je n'ai pas l'habitude de parler, mais cette fois-ci c'est important". Nous rencontrons Ambi à l'ombre des platanes du parc Borély, en ce deuxième jour de La Marseillaise à pétanque. Elle accepte sans réserve de nous parler, et prend le temps de revenir sur l'agression. "Je suis Ambi, je suis d'origine malgache et j'habite ici dans le Sud. Je suis arbitre depuis dix-huit ans et c'est ma 20ᵉ Marseillaise, se présente-t-elle, calmement. C'est la troisième fois que je me fais agresser depuis que je porte le maillot blanc et noir".
"Cela s'est passé hier (dimanche 30 juin), lors de la troisième partie de la compétition, vers 18h20, commence-t-elle à raconter. On était deux arbitres femmes sur le site du parc Henri-Fabre, Vers 18 heures, ma consœur a dû aller voter. Il restait trois jeux, elle m'a demandé de les faire. J'ai dit oui, bien sûr, et j'y suis allée".
C'est à ce moment qu'Ambi a été appelée par une équipe pour un 13ᵉ point, le point de la gagne à la pétanque. "C'est important pour les joueurs de mesurer ce point, pour voir qui gagne. Donc j'y suis allée, je me suis appliquée, j'ai mesuré plusieurs fois avec la tirette et j'ai trouvé une différence. J'ai donc désigné le point". Ce qui n'a pas convenu à l'équipe perdante.
Ils n'ont pas accepté parce qu'ils avaient perdu, donc ils étaient un peu... comment dire... violents, menaçants envers moi.
Ambinintsoa Andriankajariveloà France 3 Provence-Alpes
"Ils faisaient des gestes... Une femme, peut-être la femme d'un des joueurs, m'a mis le téléphone en plein visage, elle faisait une vidéo. Elle disait : "Voilà, regardez ! Voilà ! C'est elle ! Voilà sa tête ! C'est elle !"", relate l'arbitre en mimant le geste.
"On ne savait pas comment ça allait se dénouer"
"J'ai pris sur moi, je me suis dit dans ma tête : 'Tu n'es pas comme elle, tu restes tranquille'. Je me répétais ça. Et en même temps, au téléphone, j'avais une autre chef, Patrick Grignon, qui ne me lâchait pas. Je pense qu'il a presque tout entendu".
Ambi reçoit également des menaces de mort. "On va te tuer... voilà". Pour l'arbitre, le fait d'être une femme et, qui plus est, "colorée", selon ses mots, a joué. "J'ai entendu : "La Chinoise, la Chinoise, la Chinoise !". Des réactions racistes et sexistes dont elle a déjà fait les frais.
"Tout ça pour ce point, pour un concours de pétanque qui devait être convivial..., souffle-t-elle. Pour en arriver là, vraiment, je ne comprends pas.
Un policier providentiel
"Ils voulaient à tout prix qu'un autre arbitre mesure. Ils m'ont pris la tirette des mains, ils ont voulu mesurer. Pas de vouvoiement, pas de respect du tout envers le corps arbitral. J'ai dit non, ma décision est sans appel et c'est comme ça, on ne pouvait pas faire autrement."
L'incident ne s'arrête pas là. L'équipe appelle du renfort, la tension monte. Le chef des arbitres, Patrick Grignon, envoie de son côté la sécurité.
D'autres arbitres sont venus aussi pour me protéger, on ne savait pas comment ça allait se dénouer... Cela aurait pu être plus grave.
Ambinintsoa Andriankajariveloà France 3 Provence-Alpes
Elle laisse un temps. "J'ai eu peur, oui".
La chance était du côté de l'arbitre, ce dimanche 30 juin. Dès le début de l'altercation, un joueur de l'équipe adverse lui glisse qu'en dehors des boules... il est policier. Ce dernier a filmé la scène et s'est interposé pour défendre Ambi. "C'est incroyable", lâche-t-elle, les yeux mouillés. L'intervention du policier, des arbitres et de la sécurité permettent d'éviter le pire. Mais quelque chose s'est brisé pour la passionnée.
L'espoir d'un changement des mentalités
"C'est un concours qui me tient à cœur, La Marseillaise. C'était ma vingtième année. Il y a vingt ans, j'ai gagné un prix et donc j'étais vraiment contente d'être là pour cette année quoi... Je pensais que ça allait bien se passer et finalement non... mais peut-être, c'est ça qui va faire bouger les choses". Tout au long de l'entretien, Ambi garde son sourire, et laisses quelques silences, chargés d'émotion.
"Comme j'ai beaucoup de soutien de la Fédération, du corps arbitral et du président de la Marseillaise, j'ai espoir et j'espère que ça va faire bouger les choses. C'est un mal pour un bien." Ambi soulève le problème des non licenciés dans les concours, comme c'était le cas de ses agresseurs. "Peut-être, à l'avenir, faire que les joueurs soient obligatoirement licenciés pour dès le premier jour du Mondial ?"
"Je pense qu'il faut se montrer"
Au lendemain de l'agression, Ambi se dit "un peu apaisée." L'arbitre a déposé plainte, le Mondial La Marseillaise s'y est associé. Elle a choisi de retourner faire son travail sur les terrains du parc Borély. Et dès le début de la journée, Ambi a aperçu ses agresseurs, radiés à vie de La Marseillaise, mais revenus en tant que spectateurs dans les allées du parc marseillais. Pas très loin des terrains où elle officie.
Et d'une déconcertante sérénité, comme tout au long de l'interview, l'arbitre de s'affirmer : "Je pense qu'il faut se montrer. Il faut montrer que ce n'est pas eux qui font la loi. Il y a une règle, il y a une discipline à suivre et tout le monde doit s'y coller."