Sept familles regroupées en collectif poursuivent en justice la plateforme TikTok en vue de faire reconnaître la responsabilité du réseau social dans la dégradation de l'état de santé de leurs enfants, dont deux se sont suicidés. Parmi eux, les parents de Marie, qui avaient été les premiers à porter plainte suite au suicide de leur fille à Cassis en 2021.
"Je me suis rendu compte de l'horreur de TikTok quand Marie est partie, quand je suis rentrée dans son téléphone et que j'ai commencé à regarder". L'adolescente s'est pendue dans sa chambre, au domicile familial à Cassis, le 16 septembre 2021. Marie avait 15 ans. Elle n'avait jamais attenté à ses jours avant. Pour Stéphanie, la plateforme a joué un rôle dans l'aggravation du mal-être de sa fille et son passage à l'acte. Les parents de Marie ont été les premiers en France à porter plainte au civil contre TikTok, en septembre 2023, pour "provocation au suicide", "non-assistance à personne en péril", et "propagande ou publicité des moyens de se donner la mort". Un an après, aucune nouvelle. La plainte est toujours à l'instruction au parquet de Marseille.
Avec six autres familles, ils assignent, ce lundi 4 novembre, la plateforme chinoise au pénal."Après ma plainte contre TikTok, des gens m'ont contactée quand ils m'ont vue à la télé, pour me dire qu'ils étaient dans la même situation que moi", explique Stéphanie Mistre, c'est parti de là l'idée de monter un collectif et on s'est dit : on va être plus forts".
"TikTok, comme d'autres géants du secteur, doit répondre de ses actes et négligences. Les familles engagées dans ce recours dénoncent les effets dévastateurs de l'application sur la santé mentale et physique de leurs enfants, dont deux se sont malheureusement suicidés", a indiqué Me Laure Boutron-Marmion, avocate des familles du collectif Algos Victima, fondé en mars 2024 pour accompagner juridiquement les victimes des réseaux sociaux.
"Une chanson qui suggère le suicide comme une libération"
Marie était victime de harcèlement scolaire, moquée pour son embonpoint. Comme tous les jeunes de son âge, elle passait beaucoup de temps sur la plateforme numérique quand elle rentrait de pension, le week-end. "Quand vous tapez "perte de poids", en moins d'une minute, TikTok vous suggère des régimes alimentaires, mais aussi de l'automutilation et de la scarification, et des contenus sur la dépression".
"On a de réelles preuves sur leurs téléphones de ce qu'ont vécu nos enfants", indique Stéphanie Mistre, qui cite l'exemple d'"une chanson qui suggère le suicide comme une libération et comme la meilleure solution à adopter".
"Le mieux que tu as à faire, c'est de te pendre"
"Le mieux que tu as à faire, c'est de te pendre". C'est le message qu'a reçu Charlize. La collégienne niçoise s'est pendue, le 22 novembre 2023. Ses parents se sont joints à la plainte collective contre TikTok.
Aux yeux de Stéphanie, l'algorithme de TikTok n'est rien d'autre qu'une "machine à tuer", à laquelle trois quarts des ados sont connectés. Elle attend de cette action en justice que TikTok soit contraint à encadrer ses pratiques et modérer les contenus proposés aux utilisateurs vulnérables. "Qu'ils investissent sur des modérateurs, qu'ils sécurisent leur réseau comme Méta pour Instagram", demande-t-elle. Limitation du temps d'utilisation, prévention anti-harcèlement, restriction des messages la nuit... le groupe de Marc Zuckerberg a annoncé le déploiement des comptes Adolescents en 2025 pour les utilisateurs de 13 à 17 ans. "Il y a une vraie démarche de prise de conscience qu'il y a quelque chose de mauvais pour nos ados et que ce n'est pas adapté", salue Stéphanie.
"À chaque fois qu'il y a un enfant qui part, j'ai l'impression que c'est une Marie"
"Du moment que Méta le fait, je ne vois pas pourquoi TikTok ne peut pas le faire, ajoute-t-elle, en plus en Chine, Douyin (NDLR : application TikTok pour la Chine) le pratique, les comptes ado, c'est 40 minutes de connexion par jour pour les moins de 15 ans, un couvre-feu de 22 heures à 7h du matin, et les contenus ne sont que scientifiques, éducatifs et ludiques".
Mon but, c'est qu'on arrête de bombarder nos enfants avec ces contenus néfastes.
Stéphanie Mistre, plaignante, maman de victimeFrance 3 Provence-Alpes
"Il est temps qu'on agisse, en tant que parents et en tant qu'adultes, on protège nos enfants et qu'on impose à TikTok une règlementation pour sécuriser son réseau qui est en train de détruire physiquement et psychologiquement nos enfants, plaide Stéphanie Mistre, tout en dénonçant l'absence de réaction des autorités publiques et du gouvernement par rapport à ce problème.
"Tous ces enfants sont harcelés"
La maman de Marie tient à souligner que "tous ces enfants à la base sont harcelés à l'école ou en cyber-harcèlement et c'est une fragilité supplémentaire".
"Ils l'ont fracassée, ils lui ont fait beaucoup de mal, ils se mettaient autour d'elle dans la salle de sports à lui crier dessus", raconte la maman. Pour elle, c'est l'association destructrice des contenus de TikTok et de cette "détresse psychologique due aux harceleurs" qui est responsable de la tentative radicale de l'adolescente pour en finir. "Pour ce qu'ils ont fait à Marie, j'ai envie de les punir, que ça change pour les autres et que Marie ait sa justice".
"C’est un signal fort que lancent les premières familles qui initient ce recours, elles veulent être entendues et cherchent réparation pour la souffrance de leurs enfants ainsi qu’une véritable réflexion de la part de tous sur ces questions majeures pour la santé de nos enfants", renchérit Maître Laure Boutron-Marmion.
"À chaque fois qu'il y a un enfant qui part, j'ai l'impression que c'est une Marie", confie la maman. Elle a en fait son combat "en mémoire de Marie et pour que ça n'arrive plus".