À trois jours du premier tour de ces législatives anticipées, le climat est anxiogène pour certains habitants des quartiers populaires. L'urgence de faire barrage, l'angoisse de l'avenir pour les enfants et le racisme alimentent toutes les discussions. Pour France 3 Provence-Alpes, nous sommes allés écouter toutes les générations dans les quartiers nord de Marseille.
Pour des retraités, des mères de famille, des jeunes et des responsables associatifs, dans les quartiers nord de Marseille, à trois jours du premier tour des législatives, on ressent le besoin de "porter le message de l'importance d'aller voter", comme le dit Fadela, responsable d'association à la Busserine. Cependant, certains sont "désabusés, déçus par des promesses jamais tenues, par le clientélisme qui a fait beaucoup de mal, et de voir que quels que soient les partis qui se succèdent, les cités, les quartiers populaires ne comptent pas. Leurs voix ne comptent pas", explique Mohamed Benmeddour, éducateur. La brusque dissolution de l'Assemblée nationale n'a pas laissé le temps aux habitants de digérer le résultat des Européennes, que déjà, il faut retourner voter.
1100 euros de retraite et 850 euros de loyer
Cité des marronniers, un homme âgé, marche le long du trottoir, dans la cité. Nordine* (prénom changé à sa demande) a travaillé toute sa vie à Marseille dans le BTP. À la retraite, il a du mal à finir le mois,"je touche 1 100 euros de retraite et j'ai un loyer de 850 euros". Les calculs sont vite faits, alors pour lui, il est important d'aller voter. "Je vote à chaque élection", annonce-t-il fièrement, même s'il ne sait pas encore pour quel candidat pour le moment. Nordine n'est pas un fidèle des partis, son vote va au gré des propositions des programmes, "celui qui va m'aider à me remplir les poches", dit-il en riant et en tournant les talons.
Pour Juliette à la Paternelle, le pouvoir d'achat est aussi sa priorité, mère de trois enfants, elle l'assure "faire ses courses, ce n'est plus pareil", la mère de famille de 29 ans fait référence à l'inflation, "avant avec la même somme, j'avais un chariot bien rempli, maintenant, je ressors avec un seul sac". Elle assure qu'elle ira voter, même si c'est encore flou pour elle. "Je n'ai pas regardé tous les candidats, tous les programmes, il faut que je réfléchisse" dit-elle, même si elle l'assure "c'est celui qui promettra plus de pouvoir d'achat" qui saura attirer son bulletin.
Fadela est membre de l'association "Arc-en-ciel", une association de parents de la cité de la Busserine qui cuisine pour les sans-abri. Tous les lundis soirs, ils font des maraudes et donnent à manger aux plus démunis dans Marseille, " sans distinction de couleur, d'origine, on est là pour tout le monde", insiste la mère de famille.
Fadela, avec son association pour les plus démunis, voit la précarité augmenter " c'est important pour tout le monde de pouvoir vivre de son travail, le pouvoir d'achat, c'est vraiment un problème pour les salariés les plus précaires, le nombre de personnes dans le besoin augmente tous les jours, c'est dramatique, alors qu'ils ont un travail, mais cela ne suffit plus.".
"Je suis très inquiète, le racisme est décomplexé"
Et justement, cette femme au grand cœur qui est tourné vers les autres avec son association depuis plus de cinq ans, a peur" je suis très inquiète, de voir la parole raciste qui se libère autant, le racisme est décomplexé. Déjà, elle était assez libre, là, c'est encore pire depuis les Européennes." Cette mère de famille s'interroge sur l'avenir, "la perspective d'avoir Bardella comme premier ministre, c'est effrayant, je ne vois pas comment cela peut se passer ensuite".
Alors avec toutes ses forces et sa conviction, elle dialogue avec les gens : "je n'arrête pas de leur rappeler l'importance du vote, de leur dire que là notre quotidien, notre vie, tout risque de changer, pas de manière positive et qu'il faut se lever, il faut aller voter, c'est nécessaire".
C'est très grave, cette montée du RN, je suis sous le choc
Antuifa, Etudiante en BTS social
De son côté, Antuifa, a tout juste 18 ans, en stage pour son BTS au centre social, sait qu'"il y a urgence", qu'il est "important d'aller voter". Pour le moment, elle ne sait pas encore pour qui elle va voter, mais elle le sait, un parti n’aura pas sa voix, c’est le RN. "Ce n'est pas possible, Bardella premier ministre, ça me fait peur".
La jeune fille ne s'est toujours pas remise des européennes, " je suis sous le choc que le RN soit passé aussi facilement aux européennes, je n'arrive pas à y croire et je me dis qu'il ne faut pas que cela se passe en France".
Elle ne comprend pas l'engouement pour ce parti.
"En plus quand on lit les professions de foi, le RN son programme est redondant, immigration, insécurité, islamisme, il n'y a pas pire comme programme, je ne dis pas non plus qu'il y en a un meilleur, mais celui-ci est vide en fait."
"Je vais faire du co-voiturage, toute la journée pour que tout le monde dans le quartier puisse voter"
Rajaa, vit depuis plus de 20 ans en France, son mari et ses enfants sont français, mais elle n'a pas terminé les démarches administratives pour être naturalisée. Elle travaille à l'accueil de l'association "association jeunes renaissance", à la Paernelle. Cette cité, tristement rendue célèbre par les récents règlements de comptes qui ont endeuillé de nombreuses familles du quartier lorsque celui-ci était aux mains des dealers. Cette association culturelle et de loisirs permet à tous de venir se rencontrer, d'échanger et d'avoir un lieu de sociabilité. Karaoké, jeux, repas, goûters, soutien scolaire, il y a de tout pour permettre un mieux vivre ensemble. Les personnes âgées, les mères de famille tout le monde vient ici pour parler, échanger. Rajaa le reconnaît en ce moment les élections sont au cœur des discussions. " Même si je ne vote pas, je veux apporter ma pierre à l'édifice et aider ceux qui peuvent voter à y aller. Alors je vais faire du co-voiturage, toute la journée pour que tout le monde dans le quartier puisse voter, c'est important. Si le RN passe, ce beau lieu n'existera plus". Cette association est en grande partie financée par des subventions.
"Tout le monde est motivé pour aller voter ici", affirme Fathia. Elle, n'a pas peur de dire haut et fort pour qui elle va voter " Mélenchon, c'est le seul qui aime les arabes", dit-elle en riant. Alors si ici, personne ne donne de consignes de vote, les échanges sont nombreux et la mission est la même, informer le plus possible les habitants dans des circonscriptions où l'abstentionnisme atteint des records habituellement.
"Au sein des quartiers nord vous avez une concentration de pauvreté, de précarité de et tout ce qui ressort en fait des maux de notre pays, donc logements indignes, chômage, insécurité. Dans les années 1980 dans les quartiers nord ça votait encore communiste et après c'est passé socialiste et maintenant c'est une tendance LFI, mais moins forte", analyse Mohamed Benmeddour d'après ses discussions avec les habitants.
"Une campagne sur les réseaux impactante"
Fadela, Mohamed, Salah et Antuifa en conviennent, la nouveauté pour ces législatives, ce sont les réseaux sociaux. Les candidats de certains partis, pour attirer et parler aux jeunes n'hésitent pas à être présents sur TikTok et YouTube notamment.
" Ce sont des extraits très courts, et les candidats délivrent des messages flash accessibles aux jeunes, à l'inverse des meetings ou des débats. C'est ce que cherchent les jeunes pour faire le tri", explique Mohamed Benmeddour, éducateur, au contact des jeunes chaque jour.
Salah, jeune étudiant de 21 ans, en BTS, lui s'informe "sur YouTube essentiellement, les journaux tv m'ennuient, je n'ai pas le temps de lire de longs articles, mais par contre, j'aime bien regarder des extraits, des politiques avec les punchlines et je cherche à savoir lequel est mieux".
Le jeune homme avoue rechercher plus loin tout de même que de simples extraits, lorsqu'un thème de campagne l'intéresse.
Alors qu'on pourrait penser Salah attaché aux sujets pour les jeunes, "je regarde ce qu'ils disent à propos de la retraite et du pouvoir d'achat, je voterai pour celui qui me semblera le plus juste avec le plus grand nombre".
Antuifa, elle, ne parle pas politique à la maison, mais avec ses amies, elles débattent, s'interrogent et se tiennent au courant de ce qui se dit sur les réseaux. Elle n'est pas passionnée de politique "mais il faut surtout informer les gens qui peuvent voter parce qu'il y en a franchement, ils ne savent même pas qu'ils peuvent voter. Ils n'ont pas reçu leur carte d'électeurs et ils croient qu'ils ne peuvent pas voter, on leur explique que juste la pièce d'identité ça suffit.
"Les jeunes, je ne les ai jamais senti aussi impliqués qu'aujourd'hui, beaucoup disent qu'ils vont aller voter. C'est grâce à cette campagne-là. Je crois qu'elle est plus impactante sur les réseaux sociaux que la télé", indique pour sa part Fadela, qui voit que les choses changent, notamment quand elle en parle avec sa fille.
“En tout cas, ce que je leur dis, ce qu'on essaye avec les éducateurs c'est de vérifier les informations. Quand il y a une vidéo qui passe, c'est quelque chose qui les interpelle. Il faut aller chercher un petit peu, fouiller un petit peu sur internet et cherchez si c'est vrai ou pas", insiste Fadela.
"La politique n'est jamais allée vers eux"
Mohamed le constate tous les jours et a vu la situation évoluer "il y a une petite partie que j'appelle les jeunes engagés. Ils sont étudiants ou bien travailleurs, acteurs du monde associatif qui eux s'intéressent à la politique parce qu'ils connaissent les enjeux de la politique dans notre pays et particulièrement dans cette circonscription. Donc, eux, vont voter. Mais après, vous avez toute une autre frange de la jeunesse qui ne vote pas du tout. Ils ne s'intéressent pas à la politique, parce que la politique n'est jamais allée vers eux".
Gauche, droite, un parti politique, les nuances et les couleurs des partis, ça leur est inconnu, personne ne les a initiés à la politique
Mohamed benmeddour, animateur.
Jessica, mère de quatre filles à la Paternelle, ne manque jamais un rendez-vous électoral, et elle y va en famille. Elle emmène les enfants dans le bureau de vote, " je leur montre comment ça marche, pourquoi c'est important, pour que plus tard, elles soient au courant de comment cela fonctionne et pourquoi c'est important de voter.
À l’inverse, Mohamed a vu des scènes un peu irréelles dans des bureaux de vote, "à plusieurs reprises, j'ai vu des jeunes entrer, sans trop savoir ce qu'il fallait faire. On sentait que les familles les avaient encouragés à y aller sans trop leur expliquer le fonctionnement. Donc, ils rentrent, prennent tous les bulletins et vont dans l'isoloir, mais ils ont un peu l'air perdus. Ils mettent des bulletins un peu au hasard dans l’urne. Et puis d'autres ne viennent même pas, et préfèrent aller à la plage et ne pas perdre de temps.
Salah, lui, estime que voter "c'est sérieux et cela peut freiner certaines personnes". "Je pense que cela fait un peu peur de se dire qu'on a des responsabilités, que c'est notre devoir de citoyen de voter et que chaque vote compte".
Voter, cela ne prend que quelques minutes, et ça peut tout changer, alors il faut le dire et le faire savoir
Antuifa
" Je ne comprends pas les gens qui n'ont pas voté aux européennes et qui ne votent pas en général, qui ne se sentent pas concernés qui subissent la politique, après, il sera trop tard, c'est maintenant qu'il faut se bouger", s'impatiente un peu Antuifa.
Une défiance envers les politiques
"Les politiques dans les quartiers, on les voit uniquement en période électorale et après même élu, ils ne reviennent pas dans les quartiers dans lesquels ils sont élus. Ce n'est pas possible en fait au moins ne pas remercier son électorat. Les promesses non tenues et le clientélisme a tué nos quartiers et ça fait qu'il n'y a plus de confiance des habitants des quartiers envers ces politiciens", explique Mohamed Benmeddour, éducateur.
Ce à quoi il fait référence, c'est le clientélisme qui a utilisé la misère sociale pour recruter des militants en échange de contreparties. " Ils sont venus à chaque élection, et ils promettaient des meilleurs logements ailleurs, des boulots pour les enfants, etc. et en échange les gens tractaient, collaient des affiches, et portaient la bonne parole du candidat dans le quartier. Mais une fois élu, personne n'a rien eu, il y avait trop de gens à contenter, donc maintenant, ils viennent, mais dégun les écoutent", détaille Mohamed Benmeddour.
"C'est la désillusion, parce qu'ils ont l'impression d'avoir été pris pour des imbéciles".
Et ces pratiques ont des répercussions sur les enfants.
"Quand ils rentrent à la maison et qu'en fait, ils pensaient déménager avec l'espoir de ce nouveau candidat, une meilleure vie et peut-être d'avoir un travail pour la maman ou pour un travail qui a été promis et au final rien du tout... L’enfant, il est témoin de ça et donc il se dit 'bon mes parents se sont fait avoir, je ne vais pas me faire avoir une deuxième fois', précise Mohammed.
Et pour lui, les résultats des dernières élections sont " une forte abstention et un vote contestataire, c'est le vote du ras-le-bol pendant trente ou quarante ans, avec la possibilité de le refaire là aux législatives, les gens votent par dépit pas par choix".
Et pour l'éducateur des quartiers, "le plus gros risque avec ce jeu dangereux des politiciens, pris à leurs propres pièges, c'est le désintérêt total des habitants et qu'ils n'aillent plus voter du tout."
"La binationalité, une richesse culturelle"
Un thème revient dans cette campagne, la binationalité.
Avec le racisme omniprésent, "cela devient compliqué de subir au quotidien 'sale arabe', des gens nous invectivent dans la rue, c'est quelque chose", témoigne Fadela. Mais elle voit plus loin, "comment va-t-on pouvoir vivre si le racisme entre dans les lois, dans notre vie quotidienne ? Ce n’est pas pareil. C'est ça qui fait peur. C'est ça la préférence nationale ou la double nationalité qui devient un problème. Si on peut plus choisir un métier ? Ça me terrorise, si on a le Front national qui passe et qui récupère tous les ministères. Le ministre à l'égalité des chances va disparaître ?
On aime nos origines et ça ne fait pas de nous des gens qui sont un peu moins français que les autres.
Fadela, responsable association Arc-En-Ciel
Pour Fadela, la bi nationalité " est une richesse". Son grand-père était tirailleur, il s'est battu pour la France, "moi je l'aime la France", dit-elle en le répétant " je suis française, mon mari est français, mes enfants sont français, on aime la France, on est au service de ce pays, ma fille a 15 ans et ne rêve que d'une chose c'est de faire son service militaire, mais je ne renie pas mes origines algériennes, ma culture d'origine et ma culture actuelle. Ce sont deux cultures qui vont ensemble. Je n'ai pas à choisir. Je suis républicaine et Française. C'est dingue de devoir en arriver à dire ça.
On a l'accent du Sud, on est de Marseille, on est ici, on connaît les accents, on connaît, les plats typiques de toute la France
Fadela
Fadela est lassée qu'on ne lui renvoie sans cesse ses origines, qu'elle doive se justifier et surtout qu'on la réduise à cela. C'est déjà le cas maintenant, donc pour elle, c'est l'angoisse la plus totale jusqu'au soir du 7 juillet.