À la rentrée en septembre prochain, l'académie d'Aix-Marseille s'attend à recevoir près de 5.000 bacheliers supplémentaires. Un afflux exceptionnel qui inquiète les étudiants comme le corps universitaire. Entre refus d'admission sur Parcoursup et manque de places, ils témoignent.
"Je me voyais déjà faire mes études à La Ciotat, avec un ami. On avait tout prévu ! Mais quand j’ai vu mes résultats sur Parcoursup, ça a été la douche froide." Manon* (le prénom a été modifié) vient d’obtenir son baccalauréat S, avec 10,97 de moyenne, au lycée Marie-Madeleine Fourcade à Gardanne.
Pourtant, elle se retrouve 12ème sur liste d’attente pour le DUT Hygiène Sécurité Environnement qu’elle souhaitait. "À la maison, depuis 10 jours, c’est pas la joie, mes parents sont autant stressés que moi. Tous mes potes ont essayé de me rassurer en me disant que ça allait vite se débloquer.
La plateforme Parcoursup a clôturé sa phase principale d’admission vendredi dernier. Problème : plus de 52.000 bacheliers, comme Manon*, restent aujourd’hui sans proposition à la mi-juillet, contre 32.000 en 2019. Un afflux exceptionnel qui s’explique par le taux record de réussite au bac : quasiment 96% des candidats ont obtenu ce sésame vers le supérieur. En raison de la crise sanitaire, ils ont obtenu leur diplôme sur la base du contrôle continu et non d'un examen final.Mais je me sens abandonnée.
"Mes plans sont bouleversés", répète-t-elle au bout du fil. Déterminée, Manon* tente alors de faire du forcing en envoyant des mails à l’établissement de La Ciotat. Elle attend une réponse d’ici la fin de la semaine. "Je n’avais pas formulé beaucoup de voeux car je voulais des choses très précises : faire un bac+2 pour m’engager le plus vite possible dans la marine nationale."
Son option B à la rentrée ? Le service civique.
La jeune femme espère ainsi bénéficier des 100.000 places ouvertes d’ici la fin de l’année, comme annoncé par Emmanuel Macron, lors de son allocution du 14 juillet.C’est toujours mieux sur le CV que de mettre que j’ai travaillé à McDonald’s ou à Intermarché !
Face à cette situation inédite qui touche des milliers de bacheliers, la ministre de l’enseignement supérieure Frédérique Vidal appelle tous ceux qui n’ont pas de proposition à se manifester car des places sont encore disponibles dans près de 7.500 formations sur Parcoursup. "Chaque jeune aura une solution !", a promis Frédérique Vidal sur Twitter.
Les candidats sans affectation sur @parcoursup_info sont accompagnés par les commissions. Nous avons mis en place des aides à la mobilité, ouvert + de 30 #campusconnectés et + de 50 000 places sont toujours disponibles via la phase complémentaire. Chaque jeune aura une solution !
— Frédérique Vidal (@VidalFrederique) July 18, 2020
La ministre a d’ailleurs annoncé aujourd’hui l’ouverture de 10.000 places supplémentaires dès la rentrée dans les filières les plus demandées : les staps, le droit et la santé.
À titre d’exemple, 2.000 places seront financées dans les formations de soins infirmiers car les demandes de formations sanitaires et sociales, ou encore paramédicales ont été multipliées par deux ou trois sur Parcoursup. Des métiers qui ont pris "du sens ces derniers mois", selon elle.
De quoi ravir Juliette Godart. Bachelière depuis un an, elle se voit à nouveau refuser tous ses voeux en école d’infirmières. La jeune varoise de 19 ans avait pourtant été prévoyante cette année en multipliant les demandes et en formulant pas moins de 16 voeux.
Mais depuis mardi matin, elle est passée de la 600ème place… à seulement la 2ème pour l’école de Cannes ! Et finalement être acceptée 24 heures plus tard...Je suis classée 3.000ème sur les listes d’attente à Aix-en-Provence et à Marseille.
"Aujourd’hui, je ne saurai pas où j’en suis si je n’avais pas contacté l’école directement, c’est dingue ! C’est le stress car je ne sais pas ce qui m’attend et c'est là que se joue mon avenir. Mais on y croit !"
Pour se sentir moins seule dans cette situation bancale, Juliette Godart s’est inscrite sur la page Facebook Parcoursup Entraide : "J’étais curieuse de savoir où les autres se situaient pour évaluer mes chances et pour partager avec eux mes inquiétudes. C’était rassurant pour moi de me dire que ceux qui étaient loin dans les listes d’attente avaient réussi à passer."
L’année dernière, Juliette Godart avait même fait appel à la commission rectorale d’accès à l’enseignement supérieur pour trouver une place. En vain.
En effet, certaines filières ne sont pas en tension, comme les lettres ou les sciences, mais elles ne correspondent pas aux souhaits des étudiants vacants. De quoi rendre les choses compliquées.Je ne voulais pas mettre mon rêve de devenir infirmière de côté. Ils me proposaient des BTS qui ne m’attiraient pas, comme par exemple une formation pour devenir préparateur en pharmacie.
Dans l'académie d'Aix-Marseille, ce sont près de 5.000 nouveaux bacheliers qu’il faut accueillir, soit environ 600 rien que pour l'université. Va-t-elle pouvoir absorber le flot de nouveaux bacheliers? C’est toute la question qui se pose cette semaine en conseil d’administration, où un travail minutieux, presque de dentelle, s’opère avec les commissions et le rectorat.
Philippe Dulbecco, recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Provence-Alpe-Côte d’Azur, affirme qu’ils sont en plein processus. "C’est un sujet sur lequel nous travaillons avec le ministère depuis deux mois."
Il se dit confiant au vue des principaux moyens mobilisés : la création de places supplémentaires, le renforcement des formations hybrides et l'aide des commissions d’accès. Chaque place supplémentaire fera l'objet d'un financement supplémentaire de 1.600 euros par étudiant.
"Ce ne sont pas tant des négociations mais c’est vraiment de l’appareillement. C’est essayer de voir des places sur l’ensemble de la région et proposer la formation la plus proche. Dans le triangle Avignon - Aix Marseille - Toulon, on a la possibilité d'offrir des solutions satisfaisantes pour tous." Leur objectif à la fin de l'été : "plus aucun étudiant en recherche de places, de l'ordre de la centaine".
Mais, du côté des syndicats étudiants, on s’inquiète.
Yannis Nadji, président de la fédération étudiante de Marseille, s'insurge : "Le problème, c'est que nous avons beaucoup de mal à toucher le public concerné. Le diagnostic est le plus dur, car bien souvent les lycéens ne se manifestent pas ou bien ce sont leurs parents qui effectuent les démarches."Ma crainte, c’est qu’ils favorisent l’échec d’un public déjà fragile qui risque le double décrochage.
Les associations demandent à l’université de mettre en place des outils numériques et réclament au gouvernement plus de moyens. Ce à quoi répond Philippe Dulbecco, le recteur délégué d'Aix-Marseille : "Ce qu’on fait au mieux, c’est de soutenir les établissements dans leur capacité d’équipement numérique. On ne peut pas pousser les murs mais on peut mobiliser les équipes pédagogiques."
Yannis Nadji, lui, pense déjà aux conséquences de cette rentrée 2020. "C’est un mécanisme particulier car, les conditions d’obtention des années supérieures ayant été assouplies à cause du Covid-19, il y a aussi moins de redoublements. C’est un effet boule de neige." Pour lui, il faut donc d’ores et déjà anticiper la question des sélections en Master dans trois ans car ces dernières connaitront le même afflux.
Pour l’heure, en septembre, les étudiants seront très nombreux dans les amphis. Ils reprendront les cours en présentiel, tout en étant conscients qu’à la moindre vague, il faudra passer à l'enseignement à distance.